Échapper à l’emprise de ses parents et de la secte Moon : le témoignage d’une ex-adepte japonaise
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Longtemps entourées de mystère, les activités de la secte Moon sont au centre de l’attention depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô par Yamagami Tetsuya, le fils d’une adepte de l’organisation. Plusieurs experts s’accordent à dire que les pratiques de la secte (de son nom officiel « Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification ») s’apparentent à de la manipulation mentale. Sous couvert d’anonymat, une ancienne adepte nous livre son témoignage.
Des parents unis dans un mariage de masse célébré par la secte
Réveil tous les matins à 5 heures pour se recueillir devant un autel où se trouve une photographie de Sun Myung Moon, le fondateur de la secte Moon. Ensuite, récitation du « serment de famille », suivie du chant de la secte, des prières, puis de la lecture d’un des textes canoniques du mouvement. Enfant, tel était son quotidien. Assister aussi aux offices tous les dimanches. Notre témoin se souvient que pour ses parents, toute critique de la secte ne pouvait être que « l’œuvre de Satan », ils les rejetaient toujours en bloc. Elle les entendait aussi souvent discuter de ces aides que le culte apportait au Parti libéral-démocrate (PLD, le parti au pouvoir).
Enfant d’adeptes, elle affirme que la secte Moon a eu un impact considérable sur sa vie. « Avec le recul, je ne peux que les considérer comme des escrocs, mais quand j’étais jeune, je pensais réellement que les fondateurs du mouvement étaient les véritables patriarches et matriarches de l’humanité. Ma vie était si radicalement différente de celle des enfants de mon entourage, comment aurais-je pu me faire des amis ? »
« J’étais constamment en lutte avec moi-même. Comment concilier la façon dont la société considérait ce groupe et ce que m’enseignaient mes parents ? J’étouffais. »
Elle décrit son déchirement d’avoir été tout à la fois une membre active de la secte et de l’avoir caché en public.
« Je n’ai pas un seul bon souvenir de l’école. »
Bien des années après, elle a encore du mal à regarder son passé en face, à en parler et à interagir normalement.
Son père avait rejoint la secte via la Collegiate Association for the Research of Principles, une organisation fondée par Moon qui a pour mission de recruter de nouveaux membres. C’était un fervent croyant. Diplômée d’un établissement du supérieur au cursus court, sa mère a d’abord travaillé dans une grande entreprise. Ce n’est que sur le tard qu’elle a été attirée par le culte. Leur union était arrangée. Ses parents ayant été unis lors d’un mariage de masse célébré par un officiant de la secte Moon, notre témoin est une « bénie de deuxième génération » car, selon les enseignements de la secte, ce type d’enfants n’est pas né sous le sceau du péché originel. Elle occupe donc une place de choix au sein du mouvement.
« J’ai commencé à me rebeller »
Malgré ce statut d’enfant sacré au sein de la secte Moon, petite déjà, elle se sentait mal dans sa peau. « Je suis allée dans une crèche pour enfants de la secte, mais ensuite, j’ai été scolarisée dans le public. Quand l’instituteur nous demandait ce que faisaient nos parents, je répondais vaguement. Je ne voulais pas parler de religion, ni prononcer le nom du culte. Jusqu’à la fin de mes études secondaires, je n’ai jamais mentionné à quiconque que j’en faisais partie. »
Rongée par le malaise, elle en respectait pourtant les rites. Tous les ans, ses parents l’emmenaient dans un camp en Corée du Sud, la « terre sainte » du mouvement. Elle se retrouvait alors face à Moon et son épouse Hak Ja Han, le patriarche et la matriarche de la secte.
Tout a changé à son entrée au collège. « J’ai commencé à me rebeller », se souvient-elle. « J’ai demandé à mes parents d’arrêter de me forcer la main et j’ai refusé de me rendre aux offices. »
Tout en espérant secrètement qu’elle revienne à la foi, ses parents ont essayé de ne pas lui mettre trop de pression. « Ils me racontaient souvent que les Japonais avaient fait des choses horribles aux Coréens et qu’ils devaient racheter ces fautes. Ils me disaient aussi que je ne devais pas sortir avec des garçons. »
Il est de notoriété publique que la secte Moon interdit à ses adeptes de boire de l’alcool, de fumer et de flirter. C’est sans doute parce qu’ils voulaient qu’elle n’ait pas de contacts avec des garçons que ses parents l’ont alors inscrite dans un lycée pour filles.
Tout l’argent pour le culte
La jeune femme raconte comment ses parents faisaient passer la secte Moon avant tout le reste, même avant leur propre famille. « Dès mon plus jeune âge, j’ai vu ma mère s’absenter de la maison six mois d’affilée pour des missions à l’étranger. » Au primaire, on l’a même obligée à participer à certains de ces voyages hors du Japon. Responsable local de la secte Moon, son père était lui impliqué du matin au soir dans les activités de l’organisation. Nous n’avons jamais pu construire une relation parent-enfant normale. »
Aisée, la famille de sa mère leur apportait un soutien financier. Pourtant, ses parents menaient une vie sans aucun superflu car tout leur argent partait en dons pour la secte. La jeune femme se souvient qu’enfant, elle n’a jamais porté que des vêtements d’occasion. « Ils ne m’ont jamais acheté d’habits neufs. Et quand je recevais des étrennes au Nouvel An, je devais en donner un dixième à la secte et économiser le reste. » Elle fut choquée plus tard de découvrir que ses parents récupéraient son argent pour les dépenses du ménage au lieu d’en faire don. « Ils n’auraient certainement pas pu joindre les deux bouts autrement. »
Adolescente, elle commence à s’inquiéter : ses parents ne seraient-ils pas en train de prévoir qu’elle « reçoive une bénédiction » ? Une expression utilisée dans la secte pour désigner un mariage entre membres. L’idée ne serait-elle pas qu’elle donne le jour à des enfants qui deviendraient des adeptes de troisième génération ? Voyant ses soupçons fondés, elle comprend que sa vie est contrôlée par d’autres, et plonge dans le désespoir.
La jeune femme explique qu’elle a cessé de se rendre aux offices de la secte Moon à son entrée au collège. Pourtant, sous le choc d’avoir échoué à l’examen d’entrée de l’université qu’elle ambitionnait, la lycéenne accepte de participer à une retraite de 40 jours organisée par l’organisation en Corée du Sud.
« Tous les autres participants étaient de fervents croyants », se souvient-elle. « Personnellement, j’étais déçue de voir à quel point Moon et les autres étaient de si mauvais orateurs. » Alors qu’elle ne voulait pas entendre parler d’un mariage arrangé, la pression aidant, elle commence à se laisser gagner par l’idée. « J’ai commencé à croire que c’était ce que je souhaitais. »
Elle participe alors à une autre retraite au Japon, mais ses doutes restent tenaces. Elle ne pouvait accepter qu’on ne la laisse ni s’émanciper, ni rien décider. « Je voulais vivre ma vie. »
Traitée de « démon » par ses propres parents
À 19 ans, elle décide de quitter le foyer familial. Sa tante est dans la confidence. Après avoir réglé les derniers détails avec ses proches, elle saisit sa chance.
« J’ai attendu que mes parents soient occupés à travailler pour la secte. J’ai pris ma valise et suis partie. » Elle se rend dans une autre préfecture où elle rejoint son oncle et sa tante. Mais ses parents comprennent rapidement où elle se trouve. « Ils ont dit à mon oncle et à ma tante — qui essayaient seulement de me protéger — qu’ils devraient se suicider. Ils racontaient qu’ils me ramèneraient à la maison pour me rééduquer parce que j’étais devenue un “démon” ». Sentant le danger, elle part en cavale pendant un certain temps, ses parents ne cèdent pourtant pas. « Ils me poursuivaient. Une fois, ils ont même demandé à la police de me ramener à la maison. »
Sa tante prend finalement contact avec un avocat coutumier de l’aide aux victimes de la secte Moon. Après courte une bataille judiciaire, la jeune femme est légalement autorisée à couper tout lien avec ses parents, qui s’engagent alors de leur côté à ne pas tenter de la faire revenir de force au foyer familial.
« J’ai eu la chance d’être soutenue par des proches. », explique la jeune femme. « Et je leur en suis éternellement reconnaissante. Il doit être très difficile pour un disciple de rompre avec la secte comme je l’ai fait. Il n’aurait probablement même pas l’idée d’en parler avec quelqu’un de l’extérieur. C’est dire combien est forte l’emprise et des parents et de la secte sur les adeptes de deuxième génération. »
Les parents de la jeune femme disaient que l’avocat qui l’avait aidée à se libérer de leur emprise était « un démon », mais c’est par son entremise que sa mère lui a tout de même fait parvenir dix lettres. Pourtant, dans aucun de ces messages elle ne lui disait qu’elle serait libre de ne pas fréquenter la secte, elle enjoignait seulement sa fille à revenir à la maison.
Après l’assassinat d’Abe Shinzô, le vrai visage de la secte dévoilé
Notre témoin nous a également fait part de ses réflexions sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô. Yamagami Tetsuya, l’homme qui arrêté pour ce meurtre, a déclaré que les difficultés financières de sa famille étaient le motif de son ressentiment, sa mère donnant tout leur argent à la secte Moon. Et il pensait l’ancien dirigeant japonais lié au culte.
« Quand j’ai appris que la secte était à l’origine de l’assassinat d’Abe, ma première réaction a été la tristesse. » Cependant, elle dit comprendre Yamagami, qu’il se soit senti acculé au meurtre, et elle ne peut se résoudre à condamner son acte.
Après le décès tragique d’Abe, les médias commencent à parler de la secte Moon. Elle découvre alors les horreurs commises par le groupe religieux et en reste profondément choquée. « Certes, je ne voulais pas retourner dans ma famille, mais personnellement, je ne me m’étais jamais dit que la secte était mauvaise en soi », admet-elle. C’est en regardant les reportages sur les pratiques abusives, avec notamment de l’extorsion de fonds et des dons forcés, qu’elle commence à faire le lien avec sa propre histoire. « Je me souviens que mon père appelait parfois d’autres adeptes qui venaient de recevoir un peu d’argent, par exemple à l’occasion d’un héritage, et leur demandait combien ils avaient l’intention de donner à la secte. Il chapitrait aussi sévèrement ceux qui ne parvenaient pas à convaincre un potentiel converti d’intégrer le culte ».
Vivre dans la peur d’être retrouvée par ses parents
Rescapée de la secte Moon, elle a su couper les ponts avec ses parents et ses anciens camarades. Depuis, elle s’est fait de nouveaux amis, elle a rencontré et épousé un homme qui comprend ce par quoi elle est passée. Aujourd’hui, elle a des enfants et un travail. Si est désormais maître de son destin, elle confesse pourtant ne pas parvenir à se débarrasser ni des enseignements, ni de sa peur de la secte.
« Au début, boire un verre suffisait à me faire culpabiliser. Oui, j’étais partie de chez mes parents, mais il m’a fallu de longues années avant de parvenir à jeter à la poubelle ma photo de Moon. Les enseignements de la secte étaient en moi, même si je n’avais jamais été vraiment croyante. »
Dix ans après avoir coupé les ponts avec la secte Moon et ses parents, elle peut aujourd’hui regarder en face les sentiments complexes qui l’habitent et tenter de se défaire de l’emprise. « Petite, on m’a constamment dit que j’irais en enfer si je choisissais le mauvais amoureux. Vous ne pouvez peut-être pas comprendre, mais quand j’ai quitté la maison, j’étais sûre d’être damnée. Je n’ai toujours pas réussi à me défaire de ce sentiment. »
Elle reste toujours hantée par la peur d’avoir à retourner chez ses parents et par la crainte que son enfant ne soit enlevé. Elle continue de faire attention à ce que ses parents ne puissent retrouver sa trace. La loi lui permet de limiter par exemple l’accès aux informations relatives à son lieu de résidence, elle s’est inscrite en ce sens au poste de police local et doit donc s’acquitter tous les ans de démarches administratives. Chaque renouvellement de dossier décuple sa détermination.
« Je n’ai rien fait de mal », déclare-t-elle. « Je ne comprends pas pourquoi je devrais continuer à me battre. Cette seule pensée me rend triste, mais je crains de ne jamais réussir à saper cette conception déformée de l’amour que m’ont inculquée mes parents. »
Aujourd’hui, elle regarde la secte Moon d’un œil critique. « Quel genre de secte est-ce donc ? Elle dit prôner l’harmonie familiale alors qu’elle ne me laisse pas d’autre choix que de couper les ponts avec mes propres parents ? Combien d’enfants ont eu à souffrir de la sorte ? Pour moi, il est flagrant que la secte Moon est une organisation criminelle qui méprise le droit des enfants. Les adeptes doivent prendre conscience de cette vérité. »
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(Reportage et texte d’Ogawa Masanori, de Power News. Photo de titre : Pixta)