
Échapper à l’emprise de ses parents et de la secte Moon : le témoignage d’une ex-adepte japonaise
Société- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Longtemps entourées de mystère, les activités de la secte Moon sont au centre de l’attention depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô par Yamagami Tetsuya, le fils d’une adepte de l’organisation. Plusieurs experts s’accordent à dire que les pratiques de la secte (de son nom officiel « Fédération des familles pour la paix mondiale et l’unification ») s’apparentent à de la manipulation mentale. Sous couvert d’anonymat, une ancienne adepte nous livre son témoignage.
Des parents unis dans un mariage de masse célébré par la secte
Réveil tous les matins à 5 heures pour se recueillir devant un autel où se trouve une photographie de Sun Myung Moon, le fondateur de la secte Moon. Ensuite, récitation du « serment de famille », suivie du chant de la secte, des prières, puis de la lecture d’un des textes canoniques du mouvement. Enfant, tel était son quotidien. Assister aussi aux offices tous les dimanches. Notre témoin se souvient que pour ses parents, toute critique de la secte ne pouvait être que « l’œuvre de Satan », ils les rejetaient toujours en bloc. Elle les entendait aussi souvent discuter de ces aides que le culte apportait au Parti libéral-démocrate (PLD, le parti au pouvoir).
Enfant d’adeptes, elle affirme que la secte Moon a eu un impact considérable sur sa vie. « Avec le recul, je ne peux que les considérer comme des escrocs, mais quand j’étais jeune, je pensais réellement que les fondateurs du mouvement étaient les véritables patriarches et matriarches de l’humanité. Ma vie était si radicalement différente de celle des enfants de mon entourage, comment aurais-je pu me faire des amis ? »
« J’étais constamment en lutte avec moi-même. Comment concilier la façon dont la société considérait ce groupe et ce que m’enseignaient mes parents ? J’étouffais. »
Elle décrit son déchirement d’avoir été tout à la fois une membre active de la secte et de l’avoir caché en public.
« Je n’ai pas un seul bon souvenir de l’école. »
Bien des années après, elle a encore du mal à regarder son passé en face, à en parler et à interagir normalement.
Son père avait rejoint la secte via la Collegiate Association for the Research of Principles, une organisation fondée par Moon qui a pour mission de recruter de nouveaux membres. C’était un fervent croyant. Diplômée d’un établissement du supérieur au cursus court, sa mère a d’abord travaillé dans une grande entreprise. Ce n’est que sur le tard qu’elle a été attirée par le culte. Leur union était arrangée. Ses parents ayant été unis lors d’un mariage de masse célébré par un officiant de la secte Moon, notre témoin est une « bénie de deuxième génération » car, selon les enseignements de la secte, ce type d’enfants n’est pas né sous le sceau du péché originel. Elle occupe donc une place de choix au sein du mouvement.
« J’ai commencé à me rebeller »
Malgré ce statut d’enfant sacré au sein de la secte Moon, petite déjà, elle se sentait mal dans sa peau. « Je suis allée dans une crèche pour enfants de la secte, mais ensuite, j’ai été scolarisée dans le public. Quand l’instituteur nous demandait ce que faisaient nos parents, je répondais vaguement. Je ne voulais pas parler de religion, ni prononcer le nom du culte. Jusqu’à la fin de mes études secondaires, je n’ai jamais mentionné à quiconque que j’en faisais partie. »
Rongée par le malaise, elle en respectait pourtant les rites. Tous les ans, ses parents l’emmenaient dans un camp en Corée du Sud, la « terre sainte » du mouvement. Elle se retrouvait alors face à Moon et son épouse Hak Ja Han, le patriarche et la matriarche de la secte.
Tout a changé à son entrée au collège. « J’ai commencé à me rebeller », se souvient-elle. « J’ai demandé à mes parents d’arrêter de me forcer la main et j’ai refusé de me rendre aux offices. »
Tout en espérant secrètement qu’elle revienne à la foi, ses parents ont essayé de ne pas lui mettre trop de pression. « Ils me racontaient souvent que les Japonais avaient fait des choses horribles aux Coréens et qu’ils devaient racheter ces fautes. Ils me disaient aussi que je ne devais pas sortir avec des garçons. »
Il est de notoriété publique que la secte Moon interdit à ses adeptes de boire de l’alcool, de fumer et de flirter. C’est sans doute parce qu’ils voulaient qu’elle n’ait pas de contacts avec des garçons que ses parents l’ont alors inscrite dans un lycée pour filles.
Tout l’argent pour le culte
La jeune femme raconte comment ses parents faisaient passer la secte Moon avant tout le reste, même avant leur propre famille. « Dès mon plus jeune âge, j’ai vu ma mère s’absenter de la maison six mois d’affilée pour des missions à l’étranger. » Au primaire, on l’a même obligée à participer à certains de ces voyages hors du Japon. Responsable local de la secte Moon, son père était lui impliqué du matin au soir dans les activités de l’organisation. Nous n’avons jamais pu construire une relation parent-enfant normale. »
Aisée, la famille de sa mère leur apportait un soutien financier. Pourtant, ses parents menaient une vie sans aucun superflu car tout leur argent partait en dons pour la secte. La jeune femme se souvient qu’enfant, elle n’a jamais porté que des vêtements d’occasion. « Ils ne m’ont jamais acheté d’habits neufs. Et quand je recevais des étrennes au Nouvel An, je devais en donner un dixième à la secte et économiser le reste. » Elle fut choquée plus tard de découvrir que ses parents récupéraient son argent pour les dépenses du ménage au lieu d’en faire don. « Ils n’auraient certainement pas pu joindre les deux bouts autrement. »
Adolescente, elle commence à s’inquiéter : ses parents ne seraient-ils pas en train de prévoir qu’elle « reçoive une bénédiction » ? Une expression utilisée dans la secte pour désigner un mariage entre membres. L’idée ne serait-elle pas qu’elle donne le jour à des enfants qui deviendraient des adeptes de troisième génération ? Voyant ses soupçons fondés, elle comprend que sa vie est contrôlée par d’autres, et plonge dans le désespoir.
Couples lors d’un mariage de masse organisé par la secte Moon. (© Reuters)
La jeune femme explique qu’elle a cessé de se rendre aux offices de la secte Moon à son entrée au collège. Pourtant, sous le choc d’avoir échoué à l’examen d’entrée de l’université qu’elle ambitionnait, la lycéenne accepte de participer à une retraite de 40 jours organisée par l’organisation en Corée du Sud.
« Tous les autres participants étaient de fervents croyants », se souvient-elle. « Personnellement, j’étais déçue de voir à quel point Moon et les autres étaient de si mauvais orateurs. » Alors qu’elle ne voulait pas entendre parler d’un mariage arrangé, la pression aidant, elle commence à se laisser gagner par l’idée. « J’ai commencé à croire que c’était ce que je souhaitais. »
Elle participe alors à une autre retraite au Japon, mais ses doutes restent tenaces. Elle ne pouvait accepter qu’on ne la laisse ni s’émanciper, ni rien décider. « Je voulais vivre ma vie. »