Un syndicaliste chinois contre les abus envers les stagiaires techniques étrangers au Japon
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Le programme de formation des stagiaires techniques étrangers a été une aubaine pour le Japon, en manque de main-d'œuvre ces dernières années, ainsi que pour les résidents des pays asiatiques voisins, qui cherchent à acquérir de précieuses compétences professionnelles.
Mais depuis sa création en 1990, lorsque le Japon a lancé son visa de résidence pour les stagiaires techniques, l’initiative a été en proie à des violations du droit du travail et des droits de l’homme. La plupart de ces nouveaux venus n’ont pas les compétences linguistiques, le poids social et la compréhension de la loi japonaise nécessaires pour résister aux employeurs sans scrupules.
Cependant, des militants syndicaux comme Zhen Kai, d’origine chinoise, apportent un soutien essentiel pour traiter les griefs. Conseiller au sein du syndicat Ippan Rôdô Kumiai de Gifu, Zhen a des années d’expérience dans la prestation de conseils juridiques aux travailleurs étrangers.
De simple interprète à grand activiste au Japon
Zhen est arrivé au Japon en tant qu’étudiant d’échange en 1986, à 27 ans. Il a passé deux ans à étudier dans une école de langue japonaise avant d’entrer à la Faculté de droit de l’Université Tôyô. Après avoir obtenu son diplôme, il a rejoint une entreprise japonaise d’habillement, où ses fonctions comprenaient l’interprétation pour des stagiaires chinois employés dans les filiales.
Au cours des six années suivantes, il a acquis une compréhension intime du sort de ces travailleurs étrangers. Il est ensuite allé travailler pour un compatriote chinois, fournissant un soutien linguistique aux entreprises de Chine continentale cherchant à faire des affaires au Japon, notamment en aidant à faciliter le processus d’obtention de prêts auprès des banques japonaises. Au travail, Zhen a entendu les reproches de ses collègues chinois, qu’il a consciencieusement transmis à la tête de l’entreprise. Ses actions ont toutefois soulevé la colère de son patron, entraînant son licenciement.
Se retrouvant au chômage à l’âge de 40 ans, Zhen s’est lancé dans la recherche d’un emploi, mais a découvert que peu d’entreprises étaient intéressées à embaucher quelqu’un de son âge. Il a finalement commencé à travailler pour une association internationale d’échanges culturels financée par la municipalité à Satte, une ville de la préfecture de Saitama, qui aide à gérer des projets visant à créer des liens communautaires entre les résidents locaux et les enclaves croissantes d’étrangers. Il a servi pendant un certain temps en tant que directeur de l’organisation avant de démissionner pour ouvrir un restaurant chinois, une décision qui a conduit à sa carrière de défenseur des droits du travail.
Le restaurant a offert aux expatriés chinois un environnement familier, et est devenu un lieu de prédilection pour les stagiaires vivant et travaillant dans la région, attirés par le panneau de la fenêtre indiquant ni hao, « bonjour » en chinois. Les convives ont fait part de leurs insatisfactions au travail, tels que les longues heures supplémentaires non rémunérées, et le rejet des demandes d’indemnisation des travailleurs. Ému par leurs histoires, Zhen a porté en 2004 leurs plaintes à la division des affaires internationales du gouvernement préfectoral de Saitama, qui lui a conseillé de contacter le syndicat Zentôitsu, basé à Tokyo.
Zhen a commencé à travailler au syndicat comme intermédiaire et interprète pour les travailleurs étrangers à Tokyo et dans les préfectures environnantes. Sa réputation d’homme de référence a finalement atteint la branche de l’organisation dans la préfecture de Gifu, qui n’avait pas d’interprète chinois. Lorsqu’ils lui ont proposé un poste, il a accepté.
Après avoir déménagé à Gifu en 2011, Zhen a ouvert sa propre maison à des stagiaires techniques fuyant les abus sur leur lieu de travail et d’autres problèmes. Il a d’abord accueilli trois personnes, mais avec ce nombre qui augmentait régulièrement, il s’est décidé à louer un immeuble de trois étages appartenant à un collègue pour en faire un refuge. Au cours des quatre années qui ont suivi son ouverture, il a accueilli près de 265 travailleurs de Chine, ainsi que de pays comme le Cambodge, Myanmar, les Philippines et le Vietnam.
Il y a encore des gens qui y vivent depuis plus de deux ans et qui attendent encore que leurs demandes d’indemnisation professionnelle soient reconnues. « En règle générale, une personne blessée au travail reçoit une somme forfaitaire après avoir terminé un traitement médical pour compenser le coût de ce traitement et la perte de revenus », explique-t-il. « Mais si un employeur rejette la réclamation, l’affaire va devant les tribunaux pour être tranchée. L’ensemble du processus peut durer des mois, voire des années. »
Des cibles faciles pour les abus : quelques exemples
En moyenne, le bureau du syndicat de Gifu s’occupe de plus de 100 cas chaque année. Bien que peu de militants syndicaux s’occupent des travailleurs étrangers dans la mesure où Zhen le fait, ce dernier pense que c’est une simple nécessité d’aider les personnes les plus exposées au risque d’exploitation.
« Les stagiaires se sentent impuissants à se battre contre un employeur abusif », affirme-t-il. « Ils viennent dans un pays étranger, dont ils ne connaissent pas bien la langue, et ne parviennent pas à résoudre seuls leurs problèmes ; ils se rendent à notre syndicat parce qu’ils sont désespérés et seuls. »
De nombreuses entreprises embauchent des stagiaires pour des travaux manuels, et Zhen dit avoir vu d’innombrables blessures en raison d’une mauvaise formation ou de mesures de sécurité inadéquates sur place. Il cite un incident d’un stagiaire technique chinois nouvellement arrivé employé dans une ferme ostréicole qui a subi une grave blessure oculaire causée par un fil de fer mal placé après une chute à bord d’un bateau de travail. De tels incidents se produisent régulièrement.
Zhen nous parle également d’un stagiaire dans une usine de carton qui a eu trois doigts écrasés dans une machine, et d’un autre, travaillant sur un chantier de démolition, qui est tombé d’un échafaudage alors qu’on ne lui avait pas fourni de harnais de sécurité.
Cependant, les dangers ne sont pas seulement physiques. Les travailleurs étrangers courent également le risque de souffrir d’abus moraux, comme le harcèlement et le travail forcé. Zhen dit qu’il a aidé un technicien stagiaire qui avait fait une tentative de suicide en sautant du troisième étage du bâtiment de son entreprise après avoir été sévèrement harcelé, et un autre qui a été tourmenté par des supérieurs pour avoir utilisé des toilettes réservées aux employés japonais car celle des travailleurs chinois était occupée.
Les salaires impayés et les conditions de travail médiocres sont également des sujets de préoccupation majeurs. Zhen se souvient d’une entreprise employant environ 15 stagiaires de Chine qui les avait contraint de conserver leur emploi pendant toute la durée de leur contrat et ce, en retenant 50 000 yens sur leur salaire en plus des déductions normales chaque mois. L’entreprise qualifiait cette somme d’ « économie forcée ». Si elle a fini par rendre cet argent, d’un montant total de 1,8 million de yens par personne, lorsque les travailleurs sont rentrés chez eux au bout de trois ans, Zhen dit que de tels abus sont inexcusables.
« Ce type de déduction des salaires est strictement contraire à la loi », s’exclame-t-il, ajoutant que « l’entreprise a également sous-payé considérablement les heures supplémentaires et a déposé le bilan pour éviter d’avoir à rembourser plus d’argent lorsque le syndicat a eu vent des violations. »
Alors que le syndicat s’efforce au possible à protéger les droits des stagiaires techniques, Zhen souligne que pour améliorer la situation globale, les travailleurs étrangers doivent comprendre qu’ils sont tous dans la lutte. Cependant, il n’est pas toujours facile pour ces derniers de voir dans leurs cas autre chose que des problèmes personnels.
Pour illustrer son propos, Zhen décrit le cas d’une technicienne stagiaire qui a contacté le syndicat car elle avait été contrainte d’effectuer un nombre extrême d’heures supplémentaires. La femme a déclaré qu’elle s’était effondrée d’épuisement après avoir été obligée de travailler trois jours d’affilée, avec à peine deux heures de repos sur cette période. Elle a contacté le syndicat après que l’agence basée en Chine qui lui avait obtenu le poste a refusé d’intervenir.
Au cours du processus de négociation collective, le syndicat a convaincu l’entreprise d’accepter un accord pour 1 million de yens, mais la stagiaire a considéré cette somme comme n’étant pas suffisante. Elle a également refusé l’offre suivante de la société, à 1,2 million de yens. Alors que les négociations s’éternisaient, elle a décidé de rompre les liens avec le syndicat et de traiter directement avec son employeur, recevant éventuellement un gros paiement avant de rentrer chez elle.
Selon Zhen, la femme voulait éviter de payer au syndicat 20 % du règlement à titre d’honoraires de négociation, ce qu’elle avait initialement accepté. En plus de cela, son agence avait propagé une rumeur en Chine selon laquelle le syndicat s’était occupé de son cas dans l’unique objectif de recevoir une part du paiement, des allégations que Zhen réfute fermement. Il soutient que de tels cas ne sont cependant pas inhabituels. « C’est dommage, mais tous ceux que nous essayons d’aider ne comprennent pas qu’ils rendent un mauvais service à leurs collègues stagiaires dans la même situation en mettant leurs propres intérêts au premier plan. »
Le gouvernement mène-t-il à bien son rôle de protection ?
Les techniciens stagiaires sollicitent également l’aide de Zhen pour résoudre les problèmes de leur vie quotidienne. « J’ai aidé pour toutes sortes de choses, allant des bagarres mêlant des stagiaires qui pensent avoir été dupés, jusqu’au aux grossesses inattendues... », dit-il. « Bien qu’il ne s’agisse pas de problèmes liés au travail en soi, ils affectent la capacité d’une personne à travailler. »
Il souligne que les petits problèmes non contrôlés peuvent devenir des sources d’ennui majeurs. « C’est un travail difficile, mais il est préférable d’étouffer un problème dans l’œuf avant qu’il ne devienne incontrôlable. »
Zhen n’est pas seul dans sa croisade. L’organisation pour la formation technique des stagiaires, un organe de supervision créé par le gouvernement, propose un soutien aux stagiaires en six langues, mais Zhen note que les conseils proposés sont limités.
« L’organisation ne s’occupe pas des problèmes de fond de la vie des gens », explique-t-il. Cette lacune doit être corrigée, car les travailleurs étrangers ont tendance à être isolés socialement et ont souvent recours à des mesures désespérées pour échapper à leurs problèmes.
Il raconte l’histoire d’un stagiaire vietnamien qui s’est caché après que son entreprise lui a dit que son visa de travail était révoqué dans trois jours. « À l’improviste, ils lui ont tendu un billet d’avion et lui ont donné l’ordre de rentrer chez lui », raconte Zhen. Comme beaucoup de travailleurs, l’homme avait emprunté des fonds à une banque locale dans son pays d’origine avec la promesse de rembourser l’argent avec le salaire qu’il gagnerait au Japon. « Avec ses plans inexplicablement abrégés, il a appelé sa mère pour obtenir des conseils, mais elle était hors d’elle-même, inquiète de savoir comment ils rembourseraient la dette. Ses camarades stagiaires ne pouvaient pas non plus lui apporter d’aide. Désespéré, il s’est enfui avec un ami pour éviter d’être renvoyé chez lui, mais il n’a pas pu trouver de travail puisque son entreprise avait toujours son passeport, sa carte de résident étranger et tous les documents nécessaires à son visa. Il a fini par se réfugier chez un ami pour ne pas être expulsé, mais le stress de l’épreuve a eu de lourdes conséquences sur sa santé mentale. »
Un ami japonais a finalement présenté l’homme au bureau de Zhen, mais ce dernier déclare que le cauchemar aurait pu être évité si l’organisation de supervision japonaise avait fait son travail. « Un immigré peut effectuer une demande pour une catégorie de visa différente, même si son visa de technicien stagiaire expire », affirme-t-il. « Mais l’organisation de supervision, au lieu de conseiller cet homme, a simplement dit à l’entreprise de le renvoyer au Vietnam. »
En avril 2019, le Japon a introduit un nouveau type de visa pour compétences spécifiques qui ouvre la voie à des dizaines de milliers de travailleurs étrangers peu qualifiés et semi-qualifiés pour pourvoir des postes dans des secteurs désignés comme l’agriculture, les soins infirmiers, la construction, la fabrication et l’hôtellerie. Avec l’afflux de travailleurs étrangers, Zhen soutient que le gouvernement doit renforcer les mécanismes de contrôle pour s’assurer que les employeurs offrent à ces personnes des environnements de travail sûrs, et qu’ils ne soient pas engagés dans des pratiques de travail illégales. C’est un rôle qu’il estime que son équipe syndicale est qualifiée pour occuper. Il a formé une association à but non-lucratif, et est actuellement en train de demander des subventions gouvernementales. S’il admet que c’est un processus lent, il reste déterminé à soutenir les travailleurs étrangers opprimés.
(Reportage et texte de Kuwahara Rika, de Power News. Photo de titre : les résidents préparent le dîner dans un refuge pour techniciens stagiaires étrangers géré par le syndicat général de la préfecture de Gifu. Toutes les photos ont été fournis par Zhen Kai.)
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