Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon
Comment assurer la pérennité de la lignée impériale japonaise : un problème crucial
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Une famille impériale qui se rétrécit...
Peu avant son 59e anniversaire, le 23 février 2019, le futur empereur Naruhito avait donné une conférence de presse où il a déclaré ce qui suit. « La diminution constante de la proportion des hommes dans la famille impériale, leur âge de plus en plus avancé, et le fait que les femmes perdent leur statut de membre de la maison impériale à partir du moment où elles se marient sont autant de problèmes auquel l’avenir de la maison impériale est lié. »
Ce jour-là, le prince héritier a clairement exprimé l’inquiétude que lui inspire le devenir de la lignée impériale, mais il s’est abstenu d’en dire davantage, « préférant ne pas faire de commentaires sur les questions relatives au système » de la maison impériale. Celle-ci continue à compter de moins en moins de membres au fur et à mesure des décès et des mariages. Au point que l’on est en droit de se demander si la transmission du trône pourra se faire sans problème à la prochaine génération. Naruhito savait fort bien que s’il se prononçait au sujet des mesures à prendre pour remédier à cet état de fait, il risquait de déclencher une vaste polémique non seulement à la Diète mais aussi dans l’opinion, et c’est sans doute pourquoi il a choisi de se taire.
Une filiation exclusivement patrilinéaire : un principe très contraignant
L’Article 1 de la Loi de la maison impériale promulguée le 16 janvier 1947 stipule que « seuls les descendants mâles de lignage patrilinéaire peuvent accéder au trône ». Ce qui veut dire que depuis l’intronisation de Naruhito, le nombre des princes susceptibles de lui succéder se limite à trois. Le premier dans l’ordre de la succession est le prince Akishino, appelé aussi Fumihito, né en 1965, fils cadet de l’empereur retiré Akihito et frère du nouvel empereur Naruhito. Le second, le prince Hisahito né en 2006, est à la fois le fils du prince Akishino, le petit-fils de l’empereur retiré, et le neveu de l’empereur Naruhito. Le troisième est le prince Hitachi, appelé aussi Masahito, qui est né en 1935 en tant que fils cadet de l’empereur Hirohito (Shôwa) et frère d’Akihito. Masahito est également l’oncle de l’empereur actuel.
L’empereur retiré Akihito a été, semble-t-il, grandement préoccupé par l’avenir de la lignée impériale tout au long de son règne (1989-2019). Au point que cela aurait affecté sa santé. Il a eu trois enfants, deux garçons (Naruhito et Fumihito) et une fille qui s’est mariée en 2005. Ses deux fils lui ont donné quatre petits-enfants dont un de sexe mâle (Hisahito) et trois de sexe féminin (Aiko, Mako et Kako). Les trois petites-filles d’Akihito perdront automatiquement leur statut de membre de la famille impériale le jour de leur mariage, en vertu de l’Article 12 de la Loi de la maison impériale, à moins qu’elles n’épousent un membre de la famille impériale. Autrement dit, il se pourrait qu’un jour, l’avenir de la lignée impériale japonaise repose uniquement sur les épaules du prince Hisahito.
Des tentatives de réforme de la Loi de la maison impériale avortées
En mars 2019, Suga Yoshihide, le secrétaire général du Cabinet de l’époque, a annoncé à la Diète qu’après l’intronisation du nouvel empereur, au mois de mai, le gouvernement du Premier ministre Abe Shinzô commencerait à envisager des mesures pour que la lignée impériale puisse se perpétuer dans de meilleures conditions. Il devrait être notamment question de permettre aux princesses de garder leur statut après leur mariage avec un roturier, de fonder leur propre branche de la famille impériale et éventuellement de régner, de même que leurs enfants.
L’accession au trône d’une femme ne serait pas vraiment une nouveauté pour le pays. Au cours de son histoire, le Japon a eu au total huit empereurs féminins – dont deux ont régné à deux reprises – et qui étaient tous, comme l’ensemble des autres souverains de l’Archipel, issus d’un lignage patrilinéaire. En 2005, le Premier ministre Koizumi Junichirô avait déjà chargé le Comité consultatif pour la Loi de la maison impériale de faire un rapport sur ce sujet. Et cet organisme s’était prononcé en faveur d’une révision de la Loi de la maison impériale, notamment par l’adoption du principe de primogéniture qui permettrait à la princesse Aiko, la fille du prince héritier Naruhito, de succéder à son père. Mais en 2006, l’épouse du prince Akishino a mis au monde Hisahito, le premier héritier de sexe mâle né dans la famille impériale depuis 40 ans. Du coup, le projet de réforme n’a pas été présenté à la Diète comme il aurait dû l’être. Sans compter l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement du Premier ministre Abe Shinzô immédiatement après, qui, opposant véhément à une réforme de la loi impériale, a mis ce sujet aux oubliettes. (Voir notre article lié : L’empereur du Japon versus le Premier ministre Abe : plus de dix ans de désaccords)
En 2011, Haketa Shingo, le directeur de l’Agence de la maison impériale avait déclaré que la création de branches de la famille impériale issues d’un lignage matrilinéaire était à l’étude afin de faciliter la succession au trône et de conserver un nombre suffisant de descendants susceptibles d’assumer des fonctions officielles. Le Parti démocrate du Japon (PDJ) alors au pouvoir avait réagi en demandant l’avis de spécialistes en la matière. Noda Yoshihiko, le Premier ministre de l’époque, avait même envisagé de soumettre un amendement dans ce sens à la Diète en 2013. Mais celui-ci n’a jamais abouti. En effet, Abe Shinzô est revenu au pouvoir en 2012 après la victoire du Parti libéral-démocrate (PLD) aux élections, et s’est chargé à nouveau d’enteriner ce projet.
Le peuple japonais est partagé sur la question
Les Japonais sont loin d’être d’accord sur la façon d’assurer la pérennité de la lignée impériale. Si une partie d’entre eux ne semble à priori pas hostile à l’accession au trône d’une femme, d’autres, en particulier dans le rang des conservateurs, sont encore très attachés aux règles de succession en vigueur surtout en ce qui concerne la filiation patrilinéaire. Ils redoutent en effet que la suppression de ce principe n’aboutisse à une mainmise des branches féminines de la famille impériale sur le trône. Ils préfèreraient que l’on rende aux branches collatérales de la maison impériale le statut dont elles ont été dépossédées peu après la Seconde Guerre mondiale.
Un sondage d’opinion effectué au cours de l’automne 2018 par le journal Yomiuri Shimbun a révélé que 40 % des personnes interrogées étaient favorables à la « création de branches féminines pour assister la maison impériale dans ses activités ». Dans le même temps, 16 % d’entre elles se sont déclarées opposées à cette idée et 43 % ne se sont pas prononcées. Les résultats de cette enquête montrent clairement à quel point le peuple japonais est partagé à cet égard. Le débat sur les branches féminines devra aussi porter sur l’accession éventuelle des époux des princesses à un statut impérial. Le problème, déjà très délicat en raison de l’absence d’un véritable consensus dans l’opinion, s’est encore compliqué après la révélation par les médias des démêlés financiers de Komuro Kei, le fiancé de la princesse Mako, fille aînée du prince Akishino et nièce de l’empereur Naruhito. Ce scandale est particulièrement malvenu dans la mesure où il risque de diviser complètement la population de l’Archipel. (Voir notre article lié : Le mariage de la princesse Mako du Japon : un geste concret est attendu de la part du prétendant)
Le débat sur la succession impériale est étroitement lié à l’avenir de la famille de l’empereur Naruhito et de celle de son frère, le prince Fumihito. Le moment est venu pour le Japon de se pencher sérieusement sur le problème de la lignée impériale et de choisir le système le plus approprié pour assurer sa pérennité. Le nouvel empereur ne peut pas s’exprimer directement sur le sujet mais son comportement et ses commentaires vont être suivis de très près.
Les effets contreproductifs d’une attente excessive
L’empereur Naruhito risque aussi d’être préoccupé par la santé de son épouse, l’impératrice Masako. Celle-ci souffre en effet de troubles de l’adaptation liés au stress, qui l’ont tenue longtemps à l’écart de ses fonctions officielles. La comparaison avec l’impératrice Michiko, qui a apporté un soutien sans faille à son époux l’empereur Akihito tout au long de son règne, pourrait donc tourner à son désavantage. Depuis un an, la princesse héritière avait multiplié les apparitions en public. Dans une déclaration à l’occasion de son 55e anniversaire, le 9 décembre 2018, elle a dit qu’elle faisait « tout son possible pour continuer à améliorer son état de santé » et qu’elle entendait « accomplir ses obligations officielles, dans la mesure du possible ».
Le même jour, les médecins de l’Agence de la maison impériale ont publié un message où ils laissaient entendre que même si la convalescence de la princesse héritière Masako suivait son cours, celle-ci avait toujours des hauts et des bas en termes de fatigue. Ils ont enjoint le public à veiller à ne pas trop exiger d’elle pour éviter d’aggraver son état et à prendre conscience que 2019 allait être une année particulièrement chargée pour elle, où il faudrait qu’elle évite tout excès. (Voir notre article lié : L’état de santé de l’impératrice Masako, fragile mais en voie de guérison ?)
En 2004, le prince héritier Naruhito, en général d’un tempérament plutôt calme, avait fait une déclaration d’une fermeté singulière à propos de son épouse. Il n’avait en effet pas hésité à affirmer que « certaines actions sont allées jusqu’à nier la carrière et la personnalité de Masako ». En 2001, la princesse héritière avait donné naissance à une fille, la princesse Aiko, alors que l’on attendait d’elle qu’elle mette au monde un enfant de sexe mâle. Deux ans plus tard, elle avait dû commencer à suivre un traitement médical. Rien n’est venu du hasard : même si Masako a de toute évidence eu du mal à s’acclimater à son nouvel environnement, cette pression de devoir mettre au monde un enfant mâle l’a fait tomber dans un stress profond.
La déclaration du prince héritier avait ainsi été interprétée par beaucoup comme une critique de l’attitude négative de l’Agence de la maison impériale vis-à-vis d’elle. Cette dernière avait réagi en publiant un communiqué dans lequel il annonçait que la princesse héritière Masako souffrait de troubles de l’adaptation et qu’il lui faudrait beaucoup de temps pour guérir...
L’empereur Naruhito espère probablement que les Japonais se montreront compréhensifs si l’impératrice de l’ère Reiwa se montre moins active que celle de l’ère Heisei. Encore faudra-t-il que le Bureau des chambellans de l’Agence de la maison impériale, qui est au service du couple impérial, donne des explications adéquates à ce sujet. Je crois qu’il faudrait aussi que, de temps à autre, l’empereur dise franchement ce qu’il pense et qu’il donne lui-même des nouvelles de l’état de santé de son épouse. Ce faisant, le peuple japonais sera au courant des efforts consentis par l’impératrice et il se sentira plus proche d’elle.
S’aider de ses proches pour devenir un grand souverain
Certains Japonais trouvent que le nouvel empereur ne s’est pas exprimé assez clairement sur ses intentions une fois sur le trône. Pourtant en 1989, au début de l’ère Heisei, on avait reproché la même chose à son père. Toutefois, pendant son règne, l’empereur retiré Akihito s’est employé à réconforter les victimes des catastrophes naturelles et à rendre un véritable hommage à celles de la guerre, qui avait été jusque-là insuffisant. Par ses actions méritoires, il a fait de l’ère Heisei une grande époque. L’empereur Naruhito devrait prendre exemple sur son prédécesseur en gardant toujours à l’esprit la définition qu’il a donnée de son rôle. « Assumer sa fonction de symbole en restant toujours aux côtés du peuple, dans la joie comme dans la peine. »
Le nouveau souverain japonais va devoir affronter de sérieux défis mais il pourra toujours compter sur la présence de son père. L’empereur retiré Akihito saura se faire discret tout en prodiguant des conseils avisés à son fils. Ce dernier pourra aussi bénéficier de la précieuse expérience de son épouse, l’impératrice Masako, qui a beaucoup vécu à l’étranger et entamé une brillante carrière diplomatique au ministère des Affaires étrangères avant d’entrer dans la famille impériale. Fort de l’appui de ces deux proches, l’empereur Naruhito devrait être en mesure de faire face aux difficultés qui l’attendent.
(Article mis à jour en février 2021. Photo de titre : Naruhito et son épouse Masako en train de saluer, après avoir participé à la 42e Fête nationale de la sylviculture, le 17 novembre 2018, à Tokyo. Jiji Press)