La cruelle réalité des idoles japonaises

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Au Japon, depuis les années 1970, on appelle « idoles » de jeunes garçons ou de jeunes filles qui dansent en chantant des chansons pop. Certains acquièrent une énorme popularité. Dans le passé, on ne qualifiait d’idoles que les plus célèbres d’entre eux, ceux dont on parlait à la télé, dans les magazines, que l’on voyait apparaître dans les plus grandes salles de concert et même jouer dans les films au cinéma. Mais plus récemment, la définition de l’idole s’est grandement élargie, il peut s’agir de modestes artistes, que l’on peut approcher dans de petites salles de concert, ou lors de séances où les fans viennent leur serrer la main. Cela peut d’ailleurs engendrer des problèmes d’exploitation humaine et de harcèlement, en particulier.

Aujourd’hui, tout le monde peut devenir une idole

Nous avons interrogé M. Kasai Kunitaka, avocat, co-président de la Japan Entertainer Rights Association, qui protège les droits des artistes de l’industrie du divertissement, et lui-même producteur d’un groupe d’idols, sur l’environnement professionnel des chika idol.

« Dans le passé, les idoles étaient des artistes qui apparaissaient dans les médias, télévision et magazines. Mais depuis environ 10 ans, avec l’apparition des AKB48, la situation a complètement changé. À Akihabara ou ailleurs, les salles d’une capacité de 100 ou 200 personnes se sont multipliées, ce qui a permis l’émergence des chika idol. D’autre part, avec les sites de vidéo ou de streaming sur Internet, il devient possible à tout le monde de diffuser des images de quelqu’un qui chante et qui danse. La base de la catégorie des idoles s’en trouve donc considérablement élargie, et les agences d’artistes professionnelles ne sont plus du tout les seules à gérer la carrière de ces personnes. »

Kasai Kunitaka, avocat, co-président de la Japan Entertainer Rights Association (photo : Imamura Takuma)
Kasai Kunitaka, avocat, co-président de la Japan Entertainer Rights Association (photo : Imamura Takuma)

Quel genre de problème cela pose-t-il ?

« Les adolescentes qui rêvent de devenir des idoles s’inscrivent sur des sites qui compilent les calendriers des auditions à venir. Mais seules une poignée de candidates se trouvent au final en mesure de choisir librement leur agence. Les autres, après plusieurs échecs, risquent de s’inscrire auprès d’agences souvent mal intentionnées, qui les empêcheront de démissionner, et les jeunes se retrouvent victimes d’abus d’autorité ou de harcèlement sexuel. Certains contrats permettent à l’agence de punir un membre par exemple en l’interdisant d’activité dans l’industrie du divertissement pendant six mois après sa démission, etc. D’autres prévoient le paiement de pénalités de 1 ou 2 millions de yens en cas de rupture de contrat. Certains cas existent où des punitions financières ont été exigées en cas de retard sur le lieu de travail... D’autres encore interdisent aux membres de communiquer leurs coordonnées entre elles, de façon à les empêcher de s’unir contre l’agence. Des agences poussent ainsi les membres à rivaliser entre elles afin de promouvoir les ventes. »

Des idoles qui se suicident aux idoles qui gagnent leur procès

Le 21 mars 2018, Ômoto Honoka, membre du groupe Enoha Girls, qui chantent et dansent pour faire la promotion de l’activité agricole de la préfecture d’Ehime, s’est suicidée. Elle avait 16 ans. Sa famille a attaqué en justice l’agence qui gérait le groupe et son président, et ont demandé des dommages-intérêts en alléguant que le suicide avait été causé par le harcèlement et le surmenage au travail. M. Kasai était l’avocat de la famille.

En 2017, il avait déjà été le conseil de quatre anciennes membres d’un groupe d’idoles qui ont intenté une action en justice contre leur ancienne agence. L’affaire s’est résolue à l’amiable par l’annulation des contrats et le paiement des arriérés de salaire, à la satisfaction de ses clientes. C’est à la suite de cette affaire que M. Kasai est lui-même devenu producteur du nouveau groupe formé par deux de ces idoles.

« Il ne suffit pas de gagner un procès pour que tout s’arrange. Le fait d’avoir intenté une action en justice contre leur ancienne agence leur a fermé les portes de toutes les autres agences. Mais leur expérience fait d’elles de véritables pionnières pour les autres idoles. Elles ont créé un spectacle de chansons et de danses qui décrit cette expérience, de façon à faire prendre conscience aux autres idoles des solutions qui existent. Et dans le processus, j’ai pris la décision de les accompagner. »

« Revival : I », le groupe d’idoles dirigé par M. Kasai
« Revival : I », le groupe d’idoles dirigé par M. Kasai (photo avec l’aimable autorisation de M. Kasai)

M. Kasai a analysé le problème de l’exploitation et du harcèlement dont les idoles sont victimes.

« À l’origine, les idoles étaient considérées comme des vestales, des êtres angéliques et quasi non-humains. Or, aujourd’hui, on demande aux chika idol de chanter et de danser, de serrer la main d’hommes, d’être prises en photo, de parler avec des hommes, c’est-à-dire essentiellement la même chose que des danseuses ou des entraîneuses de bar. La seule différence, c’est cette appellation “idole” qui leur fait perdre la tête. Il faut que les jeunes filles qui sont attirées par cet univers examinent la réalité. Quand on leur dit : “on a créé un site Internet, on a préparé une chanson et un costume spécialement pour vous, alors maintenant si vous voulez arrêter, vous devez payer un dédommagement”, elles préfèrent payer pour éviter les problèmes. Et même les familles acceptent généralement dès qu’on leur dit : “c’est la pratique de ce milieu”. Cette situation attire évidemment les agences les plus malhonnêtes. »

(Reportage : Kuwahara Rika et Kawano Shôichirô de Power News. Article recomposé par la rédaction de Nippon.com. Photo de titre : le groupe d’idoles Revival : I. Photo avec l’aimable autorisation de Kasai Kunitaka)

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