Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon
Les derniers mois de l’empereur Akihito avant son abdication : des cérémonies remplies d'émotion
Politique Société- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
La dernière fête de la récolte célébrée par l’empereur
Le 23 novembre 2018 a eu lieu le Niiname-sai, la fête de la récolte. Ce rite, dont on dit qu’il remonte à l’époque Asuka (538-710), a été célébré par l’empereur au palais Shinka-den, un établissement sacré situé dans l’enceinte même du palais impérial à Tokyo. Le souverain était pour cette occasion vêtu d’habits traditionnels bien différentes des tenues occidentales qu’il porte au quotidien.
Le Japon a longtemps été un pays agricole, et les récoltes des « cinq céréales », dont le riz est la principale, ont toujours été honorées par des célébrations. Le Niiname-sai, ou « nouvelle gustation des prémices », est celle où l’empereur manifeste sa reconnaissance aux dieux en leur offrant des céréales nouvellement récoltées, puis en les mangeant. Parmi elles figure le riz repiqué par l’empereur lui-même en mai dans sa rizière privée.
Le Niiname-sai comporte deux temps, le rite du soir, ou yoi-no-gi, qui commence à 18 heures et finit à 20 heures, et le second, rite de l’aube, akatsuki-no-gi, de 23 heures à 1 heure du matin. En raison de son âge avancé (alors 84 ans), l’empereur n’a participé qu’à la deuxième partie du yoi-no-gi. Le prince héritier Naruhito et son frère, le prince Akishino, ainsi que le Premier ministre Abe Shinzô assistaient à ce rituel réalisé à la lumière des torches. La dernière cérémonie Niiname-sai de l’ère Heisei a eu lieu en suivant la tradition au cœur de la capitale immense.
Les rites et cérémonies du palais impérial (prières du Nouvel An, fêtes du printemps et de l’automne, célébration de l’anniversaire de l’empereur) pourraient être décrites comme des fêtes de la famille impériale. En effet, elles sont destinées à permettre à l’empereur de prier pour la prospérité et la paix de la nation et de son peuple. Après la guerre, le souverain a perdu son statut de divinité incarnée, et ces cérémonies sont devenues des rites de la maison impériale, entièrement financées par celle-ci. Le souverain les a accomplis avec passion et y a presque toujours participé tant que son état de santé le permettait.
La dernière conférence de presse marquant son anniversaire
Le 20 décembre dernier, trois jours avant son anniversaire et presque un mois après le Niiname-sai, l’empereur a donné la dernière conférence de presse de son règne. Cette pratique instaurée par son père, l’empereur Hirohito, constitue un moment précieux pendant lequel le peuple peut écouter l’empereur exprimer ses pensées.
Ce jour-là, il a évoqué pendant 16 minutes les événements marquants de sa vie, d’une voix parfois nouée par une émotion extrême. Sa Majesté avait longuement préparé ce texte, dont voici quelques extraits, correspondant aux moments où sa voix semblait être la plus émue.
« Je continuerai à avoir une affection particulière pour les habitants d’Okinawa qui ont connu tant de sacrifices. »
« Il est important de ne pas oublier que la paix et la prospérité de notre pays après la guerre ont été bâties grâce aux sacrifices de très nombreuses vies, et aux efforts inlassables du peuple. Transmettre cela précisément aux personnes nées après la guerre est tout aussi important. »
« Je suis profondément soulagé de voir que l’ère Heisei est sur le point de s’achever dans une époque sans guerre. »
Ces propos font entendre l’importance qu’a pour lui la préservation de la paix. L’empereur Akihito a aussi exprimé sa sympathie pour les victimes des nombreux désastres naturels qui se sont produits pendant son règne, qu’il a manifestée en multipliant les visites dans les lieux affectés (voir notre article lié).
« Il est encourageant de voir que la réaction et la conscience vis-à-vis des catastrophes sont aujourd’hui plus élevées, et que de plus en plus de gens sont prêts à aider de diverses façons, comme les bénévoles. »
Un empereur reconnaissant à la nation et à l’impératrice
Sa voix a tremblé à deux autres occasions.
La première, quand il a dit ceci : « Maintenant que je suis sur le point d’arriver au bout de mon chemin comme empereur, je suis profondément reconnaissant envers tous ceux qui m’ont accepté dans mon rôle de symbole de la nation et n’ont cessé de me soutenir. »
Et la seconde, lorsqu’il a adressé ce message à l’impératrice Michiko, uni avec elle depuis bientôt 60 ans : « Je lui suis reconnaissant d’avoir toujours été à mes côtés, et de s’être dévouée à la maison impériale et à la nation avec la plus grande sincérité. »
Pour finir, l’empereur a aussi parlé de la nouvelle époque qui s’ouvrira avec son abdication le 30 avril : « Le prince héritier qui va monter sur le trône, et son frère, le prince Akishino qui le soutiendra, ont tous les deux accumulé une grande expérience, et je suis sûr qu’ils sauront avancer avec leur époque dans cette société en constante évolution, tout en assurant la perpétuation des traditions de la maison impériale. »
Le 23 décembre, malgré la pluie, plus de 82 000 personnes, le chiffre le plus élevé de ces cinquante dernières années, ont profité de l’ouverture au public du palais impérial à l’occasion de l’anniversaire de l’empereur pour lui exprimer leur affection. Observer cette foule a dû faire forte impression sur le jeune prince Hisahito, 12 ans, petit-fils de l’empereur. Nul doute qu’un jour, il saisira la portée de ce moment et comprendra à quel point son grand-père était aimé.
Le dernier Nouvel An comme empereur
Au palais impérial, les cérémonies du Nouvel An commencent toujours à l’aube du 1er janvier. Il y a tout d’abord le Shihô-sai, rite dans lequel l’empereur se prosterne devant les dieux des quatre directions, dont celle du sanctuaire d’Ise où sont vénérés ses ancêtres, et celles des tombes de ses prédécesseurs. Ensuite, pendant la matinée, il reçoit, aux côtés de l’impératrice, les vœux des membres de la famille impériale, puis des représentants du pouvoir exécutif (le Premier ministre Abe Shinzô), législatif et judiciaire. L’après-midi est consacrée aux vœux des 130 ambassadeurs présents au Japon. Ce dernier jour de l’An a probablement été très fatigant pour un homme âgé de 85 ans.
L’ouverture au public de la place devant le palais impérial le 2 janvier était la dernière occasion pour les Japonais de voir et d’entendre l’empereur actuel. Pas moins de 30 000 personnes attendaient déjà devant les grilles avant leur ouverture. Il était prévu que la famille impériale salue la foule à cinq reprises. À la demande du souverain, il y en a eu deux de plus, et il n’a quitté définitivement le balcon qu’après 16 heures, sous les applaudissements fervents du public.
30 ans depuis la mort de Hirohito...
Le 7 janvier, l’empereur et l’impératrice ont commémoré le 30e anniversaire de la mort de l’empereur Hirohito au mausolée de Musashino, qui se trouve dans la ville de Hachiôji. Une autre cérémonie en son honneur a été réalisée dans le sanctuaire Kôrei-den, dans l’enceinte du palais, où sont vénérées les âmes des précédents empereurs et membres de la famille impériale. Le prince héritier Naruhito et sa femme Masako, tous deux vêtus d’habits de cour traditionnels, y ont participé. C’était la première fois depuis trois ans que la princesse Masako, de santé fragile, pouvait le faire.
Le 11 janvier a eu lieu le Kôsho-hajime, une cérémonie pendant laquelle des intellectuels éminents présentent à l’empereur une conférence sur leur spécialité, puis le 16, le Utakai-hajime, ou première lecture de poèmes. Celle-ci, la dernière des cérémonies de la nouvelle année, remonte à 1267. Elle est aujourd’hui organisée au palais impérial avec la participation de citoyens, et constitue un lien entre la famille impériale et le peuple.
Pour la dernière année de son règne, le souverain a lu un poème dans lequel il évoquait des tournesols qui avaient refleuri dans le jardin d’une victime du Grand tremblement de terre de Kobe en 1995. On y entend sa sympathie pour les victimes des désastres.
Okurareshi
himawari no tane wa
hae soroi
ha wo hiroge yuku
shoka no hikari ni
Ces tournesols nés
De graines offertes
Ont poussé très haut
Leurs belles feuilles déployées
Sous le soleil du début de l’été
... et 30 ans de règne d’Akihito
Le 24 février a été organisée au Théâtre national de Tokyo une cérémonie pour célébrer le 30e anniversaire de l’intronisation de l’empereur, à laquelle ont assisté 1 100 invités, à commencer par le Premier ministre Abe Shinzô, ainsi que les représentants des pouvoirs législatif et judiciaire, et bien d’autres personnalités.
Le 12 mars dernier, l’empereur a entamé le premier des 11 rites liés à son abdication . À l’exception du dernier d’entre eux, à savoir la cérémonie officielle d’abdication, les frais sont couverts par les fonds privés de la maison impériale. Le souverain a clairement exprimé son désir de limiter le fardeau financier de la nation jusqu’au bout de son règne. Pour lui, rien ne justifie de dépenser des fonds publics pour des cérémonies à forte teneur religieuse.
La remise des Trésors sacrés
Le caractère unique de l’ensemble de ces manifestations qui marquent la fin de l’ère Heisei leur vaut une grande attention. C’est en effet la première fois depuis plus de deux siècles qu’un empereur abdique, le dernier à l’avoir fait étant l’empereur Kôkaku, qui a régné de 1779 à 1817. Dans les autres cas, les souverains restaient sur le trône jusqu’à leur mort.
Revenons sur l’avènement de l’empereur Akihito. L’état de santé de son père, l’empereur Hirohito, déjà bien dégradé, s’est détérioré davantage dans les premiers jours de l’année 1989 : il est tombé dans le coma le 5 janvier. Deux jours plus tard, le 7 janvier, à 6 heures 33 minutes, le combat contre la maladie qu’il menait depuis 111 jours s’est achevé. L’empereur s’était éteint.
À 10 heures du matin, la cérémonie de remise des insignes impériaux, le premier et le plus important rituel de la succession, a eu lieu dans le salon Matsu-no-ma, la pièce d’apparat de plus haut rang du palais. Pendant celui-ci, le nouvel empereur a reçu deux des Trois Trésors sacrés, à savoir l’épée Kusanagi et le joyau Magatama, que les souverains se transmettent depuis des temps anciens, ainsi que le Sceau privé du Japon et le Grand Sceau du Japon qu’il appose sur les documents publics de la nation. En raison de cette dimension officielle, cette cérémonie revêt un caractère national.
Funérailles de Hirohito en présence de réprésentants de 164 États
Trois heures et demie à peine après avoir vu son père expirer, c’est le visage grave et rempli d'affliction que le nouvel empereur a marché jusqu’au centre du salon. Les chambellans qui avaient servi l’empereur Hirohito ont placé devant lui les coffrets contenant les Trois Trésors sacrés. Cette cérémonie n’avait pas été accomplie depuis 62 ans, après le décès de l’empereur Taishô en 1926. Je n’oublierai jamais la silhouette du nouvel empereur qui regardait droit devant lui, pénétré de sa nouvelle responsabilité. Le même jour, un peu après 14 h 30, le nom de la nouvelle ère, Heisei, a été annoncé à la résidence officielle du Premier ministre. La place devant le palais impérial était remplie d’une foule venue signer le registre de condoléances de l’empereur Hirohito.
Deux jours plus tard, le 9 janvier, a eu lieu une autre cérémonie d’État, la « Première audience de Sa Majesté à la cour » avec la participation des chefs des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et d’autres représentants du peuple japonais. Dans la brève allocution que le nouvel empereur a tenue en utilisant les mots et les tournures de la langue japonaise telle qu’elle est parlée aujourd’hui, il a déclaré ceci : « Je jure de protéger à vos côtés la Constitution japonaise, et de remplir le rôle qu’elle m’assigne, sans jamais cesser d’espérer la poursuite du développement de notre pays, la paix dans le monde, et les progrès du bien-être de l’humanité. »
Le 24 février 1989 ont eu lieu les funérailles de l’empereur Hirohito dans le parc de Shinjuku Gyoen. Il faisait froid ce jour-là, dans les 3 degrés, et il tombait de la neige fondue. Empreinte de la tradition japonaise, elle a commencé sous le regard d’environ 10 000 invités, qui représentaient différents corps japonais, et de nombreux chefs d’État étrangers, dont François Mitterrand et George Bush, ainsi que des représentants de 164 pays, un total surpassant de loin les 119 pays représentés aux funérailles du président Tito de Yougoslavie en 1980.
(Photo de titre : le couple impérial quitte le Théâtre national de Tokyo à la fin de la cérémonie commémorant leur 30 ans de règne, le 24 février 2019. Jiji Press)