
Le Japon malade de ses « hikikomori » : tirons la sonnette d’alarme !
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Un problème sociétal qui n’existe pas seulement au Japon
Aujourd’hui, ce phénomène des hikikomori se rencontre également ailleurs qu’au Japon. Il y aurait en Corée du Sud autour de 300 000 personnes concernées, et il existe en Italie une association de familles de hikikomori. Le phénomène se manifeste dans des sociétés où la famille joue un rôle important et tend à vivre ensemble. Les hikikomori sont nombreux dans les pays où le taux de cohabitation avec les parents est élevé, où un nombre croissant de jeunes adultes y vivent jusqu’à la trentaine.
Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui sont des sociétés individualistes où la cohabitation est peu fréquente, le problème des hikikomori est comparativement moins important, mais il y a dans ces pays beaucoup de jeunes adultes sans-abri. Étant donné que la définition d’un sans-abri varie selon les pays, une simple comparaison est impossible, mais il y aurait aux États-Unis 1,6 million de jeunes adultes dans cette situation, et 250 000 en Grande-Bretagne. Au Japon, on estime qu’ils sont moins de 100 000, un nombre bien moins élevé.
L’idée que les faibles doivent être rejetés et mis en quarantaine
Au Japon, l’idée selon laquelle les handicapés doivent être rejetés et mis en quarantaine est bien ancrée. Depuis les années 1980, la désinstitutionnalisation a progressé dans le monde entier, et beaucoup de handicapés vivent maintenant chez eux, mais il y a encore au Japon 300 000 lits en hôpital psychiatrique, ce qui correspond à 20 % du total mondial. Pour M. Saitô, « l’idée selon laquelle les personnes en situation de handicap doivent être rassemblées et soignées ensemble subsiste. On peut dire que le Japon est en retard en ce domaine ».
Le psychiatre prend l’exemple de l’attaque au couteau à Kawasaki en mai dernier, qui a fait plusieurs victimes. « Lorsque de tels crimes sont commis au Japon, plutôt que se préoccuper des victimes et des familles endeuillées, on se focalise dans les médias sur la personnalité de l’agresseur, et sa famille fait aussi l’objet de campagnes de dénigrement. Il me semble que cette conception de responsabilité familiale est une caractéristique japonaise. » Historiquement, au Japon, on a laissé aux familles la charge de s’occuper des faibles, des personnes en situation de handicap ou âgées, et M. Saitô craint que cette logique de rejet en vienne aussi à être appliquée aux hikikomori.
Des mesures sont possibles
Mais alors, que doivent faire les familles des hikikomori ?
Le psychiatre a présenté le cas d’un homme de 21 ans qui n’était pas sorti de chez lui pendant 5 ans. Les parents sont venus consulter un psychiatre pour parler de leurs problèmes avec leur fils, et ont suivi une thérapie qui les a conduits à cesser de gronder leur enfant. Cela qui a graduellement amélioré les relations au sein de la famille. Quatre mois après la première consultation des parents, le fils est lui-même venu pour un examen de son cas et a commencé à fréquenter un centre de jour pour hikikomori. Il a créé des liens avec d’autres patients qui partageaient son goût pour les jeux vidéo. Deux ans après sa première consultation, il s’est inscrit au lycée par correspondance, et a participé à toutes les séances de classe qui avaient lieu régulièrement. Aujourd’hui, il a de bons résultats scolaires et s’est stabilisé.
Nous présentons ici une partie de la méthode de traitement mise au point par M. Saitô sur la base de son expérience. Comme les familles fournissent le premier soutien à la personne affectée, elles ont la possibilité de consulter des psychiatres et de suivre des thérapies. Elles sont mises en relation avec d’autres familles dans le même cas, ce qui les aide à sortir de leur isolement, et à rétablir un contact avec la société. Tout en continuant la thérapie qu’elles ont commencée, elles créent des liens avec des groupes de soutien de la société civile ou encore avec les centres locaux d’aide aux hikikomori ou les centres médico-psychologiques, afin d’aider à mieux interagir avec leur enfant. Ce processus entraîne petit à petit un changement chez la personne en souffrance.
Pour ce qui est de la question du vieillissement des hikikomori, M. Saitô estime qu’il est important que les parents âgés réfléchissent à la manière dont leur enfant, qui a lui-même la quarantaine ou la cinquantaine pourra continuer à vivre après leur disparition. Il faut que les parents planifient cette situation, sans honte et sans craindre le regard critique de l’extérieur, en ayant recours aux aides qui existent, comme l’allocation de minimum vital ou l’allocation pour personnes âgées en situation de handicap. Le gouvernement japonais, et c’est regrettable, ne semble pas avoir pris conscience du problème, et ne donne aucun signe d’envisager des mesures ou des mécanismes d’aide envers ces personnes. Il est donc important que les familles s’aident elles-mêmes.
L’objectif final n’est pas la reprise des études ou le retour au travail
Lorsqu’une personne, suite à un un événement si petit soit-il, cesse de quitter sa maison et s’installe dans une situation où elle n’a plus de contact avec la société, des symptômes psychiatriques secondaires apparaissent, dépression ou taijin kyôfushô (une sorte de phobie sociale), ou encore l’inversion du jour et de la nuit. Voilà pourquoi il faut le plus vite possible rechercher un point de contact avec l’extérieur. Sortir de l’état de hikikomori, pour M. Saitô, c’est permettre à la personne affectée d’accepter positivement ce qu’elle est, ainsi que sa situation. Pour lui, l’objectif final n’est pas nécessairement la reprise des études ou le retour à la vie active.
Voir également nos deux autres articles sur la question des hikikomori :
- Hikikomori : témoignage d’un psychiatre qui les a suivis
- Les « hikikomori » : des reclus en marge d’une société vieillissante
(Reportage, texte et photos de Nippon.com. Photo de titre : le psychiatre Saitô Tamaki, lors de sa conférence au Foreign Press Center, dans le quartier d’Uchisaiwaichô à Tokyo, le 29 juillet 2019)