L’isolement social au Japon

Le Japon malade de ses « hikikomori » : tirons la sonnette d’alarme !

Société Famille

« Si rien n’est fait, le Japon pourrait compter plus de dix millions de hikikomori. » Saitô Tamaki, le psychiatre qui a contribué à faire connaître l’existence de ces personnes reclus chez eux, sonne l’alarme. Il évoque la situation actuelle et les mesures à prendre de toute urgence.

Une société où la vie est très difficile

Le livre du psychiatre Saitô Tamaki paru en 1998, intitulé « Les hikikomori, une adolescence sans fin » (Shakaiteki hikikomori : owaranai shishunki), a fait connaître l’existence de ces Japonais qui refusent de quitter leur chambre. Fin juillet, il a évoqué les mesures à prendre pour les aider lors d’une conférence de presse destinée aux médias étrangers, donnée au Foreign Press Center, dans le quartier d’Uchisaiwaichô à Tokyo. Selon lui, le nombre de hikikomori évalué par les enquêtes menées en 2015 et 2018 par le Bureau du Cabinet, environ 1,15 million (âgées de 15 à 64 ans), est sans doute sous-évalué. Il estime pour sa part que 3 à 5 % de la population est atteinte, ce qui donnerait un total d’environ 2 millions de personnes. Selon cette méthode de calcul, si rien n’est fait, on arrivera en 13 ans à un total dépassant les 10 millions. M.Saitô pense que beaucoup de ces hikikomori, à la différence des sans-abris qui ont une espérance de vie réduite, ne rencontrent pas de difficultés matérielles parce qu’ils sont entretenus par leur famille et vont sans doute vieillir sans que leur état ne change.

Selon ce spécialiste de la question, les personnes qui vivent recluses de cette manière sont des gens normaux se retrouvant malgré eux dans une situation difficile. Aujourd’hui, l’emploi précaire est fréquent, le vieillissement démographique progresse, et les personnes qui ont dû quitter leur travail pour s’occuper de leurs parents âgés ont du mal à revenir à l’emploi. En clair, la société est devenue très difficile à vivre.

Son analyse est la suivante : la société continue à ne pas respecter les individus, et ceux qui ne sont pas utiles pour elle ou pour leur famille sont considérés comme sans valeur. Les personnes qui se trouvent dans ce cas le perçoivent et cela les pousse à se replier sur elles-mêmes.

Le harcèlement scolaire : une des causes ? 

Le harcèlement scolaire par les pairs ou les enseignants est souvent à l’origine d’un isolement chez soi. Selon M. Saitô, il est très rare que le syndrome de stress post-traumatique ou la maltraitance soient impliqués. Lorsque ce repli temporaire dépasse une certaine durée, un mécanisme négatif s’installe, et la personne est prise dans un cercle vicieux (voir le diagramme). À l’état normal, il existe des points de contact entre les individus, les familles et la société, mais lorsque débute le repli sur soi, les hikikomori perdent tout contact avec autrui. Puis, par une sorte de sentiment de « honte », c’est au tour de la famille de perdre à son tour graduellement contact avec la société... Une fois cette grave situation installée dans la durée, comment réaliser un retour dans la société en ne comptant que sur ses propres forces ? C’est extrêmement difficile. Les enfants affectés atteignent l’âge mûr, leurs parents vieillissent, et cela renforce encore leur isolement...

Il se trouve que 10 % de ces hikikomori font subir des violences à leur famille. M. Saitô lance l’alarme : « Les personnes qui vivent renfermées dans leur solitude maladive souffrent beaucoup parce qu’elles ne valent rien et que leur vie n’a pas de sens. Comme il leur est trop douloureux de penser qu’elles sont elles-mêmes responsables de leur état, elles commencent à se dire que la faute en incombe à leurs parents qui les ont mal élevées. Alors qu’elles n’ont en réalité pas subi de maltraitance, elles se persuadent que cela a été le cas. Leur ressentiment vis-à-vis de leurs parents peut aisément les conduire à la violence à leur égard. Lorsqu’ils commencent à adopter cette conduite, ils sont pris dans une escalade, semblable à une accoutumance. »

La violence familiale doit être obstinément refusée. La famille doit prévenir son auteur que s’il y a recours, elle appellera la police ou ira se réfugier ailleurs. Elle doit impérativement se tenir à cette idée. « Une fois que la famille se sera réfugiée ailleurs, dit M.Saitô, elle devra réduire au strict minimum ses contacts avec la personne, et choisir le bon moment pour revenir, une fois que le hikikomori se sera engagé à ne plus jamais utiliser la violence. » Cela permettra sans doute de traiter le problème.

Suite > Un problème sociétal qui n’existe pas seulement au Japon

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