Le Covid-19 et la civilisation

L’humble virus : un ami ou un ennemi ?

Société Science

La pandémie de Covid-19 constitue pour le monde entier une crise inédite tandis que, sous nos yeux, un virus, la forme de vie la plus primitive, semble gagner la guerre qu’il a déclarée à la civilisation du XXIe siècle. Un scientifique japonais porte un regard sur la recherche virale et la signification des virus, qui nous éclaire sur le sens de la pandémie pour le genre humain. Alors, le virus est-il notre ami ou notre ennemi ?

Le placenta, formé grâce aux virus

Le statut de présages de terribles maladies infectieuses attribué aux virus peut certes leur conférer un caractère problématique, mais on trouve de plus en plus de preuves qu’ils sont indispensables aux systèmes biologiques et à l’écosystème. À titre d’exemple, lorsque nous sommes infectés par un virus, celui-ci envahit nos gènes et y insère sa propre information génétique. À travers ce processus, notre génome (l’intégralité de l’information génétique contenue dans notre ADN) a été réécrit par les virus, qui ont ainsi joué un rôle majeur dans notre évolution. On estime qu’environ 8% du génome humain résulte d’insertions virales.

Si cela vous semble difficile à appréhender, essayez de concevoir le virus comme une clé USB et la cellule comme un ordinateur dont le port USB n’a pas la même spécification, si bien qu’il est impossible d’y insérer la clé. Toutefois, après quelques tâtonnements, on parvient à adapter la clé au port USB, suite à quoi l’information qu’elle contient peut être transférée à l’ordinateur. Il arrive que les contenus de la clé écrasent des fichiers et infectent d’autres ordinateurs (un phénomène équivalent à une contamination par un virus informatique).

Le placenta joue un rôle important dans le développement des fœtus à l’intérieur du ventre des mammifères. Des chercheurs ont récemment découvert que le placenta est porteur d’informations génétiques introduites par les virus. Il y a environ 160 millions d’années, lorsqu’un gène infecté par un virus a été introduit dans le corps d’un ancêtre des mammifères, il en a résulté la formation du placenta. Cette découverte, due à Ishino Fumitoshi, de l’Université médicale et dentaire de Tokyo, a fait sensation dans le monde entier. La formation du placenta au cours de l’évolution des mammifères résulte donc de la fusion d’un certain type de virus acquis par infection avec les cellules de son hôte. L’incapacité de ce virus à fonctionner dans certains cas est la raison de l’absence de placenta chez les marsupiaux, endémiques de l’Australie et de l’Amérique du Nord, qui nourrissent leurs fœtus dans une poche externe.

En l’an 2000, on a découvert que le fœtus est protégé par les virus, une révélation qui a révolutionné une fois de plus les attitudes affichées à leur égard. Le fœtus hérite de traits génétiques provenant de ses deux parents. Cependant, le matériel génétique paternel, qui constitue la moitié du génome du fœtus, est considéré par le système immunitaire de la mère comme un corps étranger, ce qui veut dire qu’on pourrait s’attendre à ce que le corps de la mère rejette le fœtus de la même manière qu’il rejetterait un organe transplanté, si bien que le fœtus ne pourrait pas survivre.

Et pourtant, les fœtus arrivent à grandir et à naître. Pendant longtemps, ce fait est resté une grande énigme. La réponse est à chercher dans l’activité virale. Les virus vivant dans le corps humain s’activent pour créer une membrane cellulaire constituée de protéines (ce qu’on appelle le « syncytiotrophoblaste ») qui enveloppe le fœtus. Cette membrane laisse passer les nutriments et l’oxygène nécessaires au développement du fœtus, tout en protégeant ce dernier en faisant barrage aux lymphocytes de la mère, qui tempèrent le rejet des cellules par son système immunitaire.

Nous avons ouvert la porte d’un monde viral gigantesque

Il a été établi que les virus jouent aussi un rôle important dans l’écosystème. Quand les abeilles ouvrières sont infectée par un virus spécifique, elles deviennent agressives et combattent vaillamment leur ennemi naturel, le frelon asiatique. Les virus agissent également sur la « marée rouge » que la prolifération du plancton peut provoquer dans les océans. On sait en outre avec certitude que les virus participent de manière sigificative au cycle du carbone qui génère le réchauffement climatique mondial. Curtis Suttle, un virologue de l’Université de la Colombie-Britannique, a déclaré que, sans les virus, il n’y aurait pas d’êtres humains ni aucune autre forme de vie.

À mesure que l’importance de l’existence des virus devient de plus en plus claire, je suis préoccupé par l’idée que nous avons entrouvert la porte d’un monde viral gigantesque qui existe au sein de notre écosystème, et obtenu un bref aperçu d’une « réserve » de biodiversité génétique que personne n’avait découverte ou visitée jusque-là. Cette réserve pourrait renfermer des informations sur les antigènes, les anticorps et les protéines, voire le secret de l’évolution. Elle pourrait même devenir pour l’humanité une valeur précieuse, qui débouchera sur la mise au point de traitements du cancer et des maladies rares. Je nourris l’espoir que la bataille en cours entre les infections et la civilisation humaine va se clarifier à nos yeux.

(Photo de titre : hôpital de campagne dressé dans une installation sportive du quartier Santo André de Sao Paulo, au Brésil, en mai 2021, alors que le nombre de décès dépassait 435 000. © Mario Tama/Getty Images)

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