Les relations sino-américaines et le Japon sous l’administration Trump

Politique International

Kawashima Shin [Profil]

Si la tension monte entre la Chine et les États-Unis, en raison de l’augmentation des droits de douanes décidée par Donald Trump et de la riposte chinoise, il n’y a pas encore de visibilité sur ce que sera la politique de la seconde administration du dirigeant américain vis-à-vis de Pékin.

Les alliés des États-Unis choqués

Comme on vient de le voir, la Chine, tout en essayant de comprendre la politique étrangère de la seconde administration Trump, s’efforce aussi de renforcer ses liens avec ses voisins. Elle a tendance à le faire lorsque la situation internationale est incertaine, et on le remarque une fois encore. Ensuite, et même simultanément, elle cherche de même à améliorer et renforcer ses relations avec les alliés des États-Unis, ainsi que les pays qui leur sont proches, tout en cherchant à les éloigner des USA. Cette politique est fondée sur la perception chinoise selon laquelle le président Trump n’accorde sans doute pas grande importance aux relations entre son pays et les pays alliés, ou proches, ni à l’OTAN, ni au dialogue stratégique entre le Japon, les États-Unis, l’Australie, et l’Inde, pas plus qu’au système de partage des information Four Eyes (États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande), ou aux cadres de dialogue Japon-États Unis-Corée, ou encore Japon, États-Unis, et Philippines.

À cet égard, Pékin a des attentes envers le nouveau gouvernement en Corée du Sud, et elle se montre aussi plus flexible face aux Philippines dans le but d’améliorer la relation bilatérale. Elle a aussi essayé d’entrer en contact avec le gouvernement Ishiba. En Chine, on a fait grand cas du fait que l’actuel Premier ministre japonais a tendance à montrer de l’indépendance vis-à-vis des États-Unis, et qu’il est un disciple de Tanaka Kakuei, l’homme qui a normalisé les relations avec la Chine, ou encore que son gouvernement ne compte pas de membres de l’ancienne faction Abe. D’où la déception chinoise après la rencontre Trump-Ishiba, dont le résultat l’a forcée à revenir à la réalité. Le communiqué publié à l’issue de ce sommet, contrairement à ceux de l’ère Biden, ne mentionnait pas les « valeurs » mais comprenait à propos de Taïwan plusieurs passages plus volontaires que ceux de l’équipe précédente.

Les nouvelles relations sino-américaines et la question de Taïwan

L’équipe responsable des questions de sécurité et de diplomatie de la seconde administration Trump poursuit la politique de grande fermeté de l’administration Biden. Cela a conduit par exemple à une modification du site web du département d’État(*1), et on peut penser que la politique américaine en matière de vente d’armes continuera comme précédemment. Mais le président Trump lui-même se montre résolu à l’égard de Taïwan au sujet des semi-conducteurs, dont il a parlé dans un discours en évoquant une hausse des droits de douane. Sa vision à long terme de la Chine est celle d’un pays concurrent, mais pour l’instant il est impossible de dire jusqu’à quel point il voit la « carte taïwanaise » comme quelque chose qui pourra lui être utile dans sa politique envers Pékin. 

Sur ce sujet, la politique de la seconde administration Trump demeure floue, ce qui inquiète bien sûr les Taïwanais. Même s’il y a une continuité avec celle de l’administration Biden, le sous-secrétaire à la politique de la défense Eldridge Colby et d’autres sonnent l’alarme sur la dépendance excessive de l’île vis-à-vis des États-Unis, en soulignant qu’il est essentiel que Taïwan soit plus engagé dans sa défense. Enfin, il est impossible de prévoir l’avenir des cadres « mini-latéraux » (par exemple États-Unis, Japon, Philippines, Taïwan) créés par Taïwan parce qu’il n’a pas accès aux relations diplomatiques. À propos de Taïwan aussi, on peut dire que l’heure est à la prudence attentive.

Quant au Japon, si les discussions entre le président Trump et le Premier ministre Ishiba ont abouti à un résultat qui a dépassé les attentes, nous ne pouvons pas pour autant être rassurés. Contrairement à l’époque de la Guerre Froide, la politique internationale est de nos jours extrêmement complexe, et se limiter au maintien affirmé du Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre le Japon et les États-Unis ne suffit plus. Il faut réagir de manière autonome, non plus seulement dans les cadres internationaux, ou entre pays avancés ou avec les pays voisins, mais dans des relations multi-niveaux depuis le niveau mondial, de l’Asie de l’Est, bilatéral, multi-pays, sur la base de la situation de chaque pays, chaque région.

Cela exige une réponse différente de celle que nous connaissons. Par exemple, un des points-clé de nos relations avec les États-Unis sera sans doute comment, et jusqu’à quel point, le Japon pourra réagir à la logique de la politique intérieure américaine toujours présente à l’esprit du président Trump. Enfin, étant donné que la politique étrangère de l’administration Trump n’est pas encore suffisamment claire, il est indispensable de renforcer les liens avec les autres pays avancés et, à un moment où le dialogue direct entre la Chine et les États-Unis est plus limité, maintenons le dialogue avec Pékin. Ensuite, le rôle du Japon est aussi de poursuivre sa politique étrangère avec les pays du Sud global, en les écoutant, et en faisant entendre leurs voix aux États-Unis et aux pays avancés.

Mais mener tout cela de front ne sera pas facile.

(Photo de titre : AFP/Jiji)

(*1) ^ Le 13 février dernier, le département d’État a mis à jour son Fact Sheet présentant les grandes lignes de la politique américaine vis-à-vis de la Chine. La version actuelle, plus négative, critique notamment le Parti communiste chinois.

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Kawashima ShinArticles de l'auteur

Président du comité consultatif de rédaction de Nippon.com. Né en 1968 à Tokyo, il obtient en 1992 un diplôme de chinois à l'Université des langues étrangères de Tokyo. Il étudie ensuite à l'Université de Tokyo où il passe son doctorat en histoire. D'abord maître de conférence à l'Université de Hokkaido, puis le même poste à l'Université de Tokyo, il devient professeur à la même université en avril 2015. Auteur notamment de Chūgoku kindai gaikō no keisei (La formation de la politique étrangère chinoise moderne), 2004, et de Kindai kokka e no mosaku 1894-1925 (Vers un état moderne, 1894-1925), 2010.

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