Le Japon face à la Russie dans le litige des Territoires du Nord : les leçons de l’invasion de l’Ukraine

Politique International

Harada Chikahito [Profil]

Après le train de sanctions sévères envers la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine, le Japon a récolté le fruit de la colère de Moscou : le gel des discussions sur un traité de paix, jamais signé entre les deux pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à cause d’un litige territorial. Malgré cela, un ancien ambassadeur japonais à Moscou appelle Tokyo à continuer à faire front contre l’expansionnisme russe.

Rester ferme surtout quand on négocie avec la Russie

En principe, la coopération dans le secteur économique devrait être systématiquement encouragée, tant qu’elle bénéficie aux monde des affaires du Japon et qu’elle sert le pays dans sa globalité. Mais dans ce domaine, comme dans celui des négociations diplomatiques, la patience et les délibérations sont essentielles. Quand l’un des deux protagonistes est trop pressé d’obtenir des résultats, il peut aisément être entraîné vers des arrangements qui vont contre ses meilleurs intérêts.

Avec la Russie en particulier, nous avons besoin de procéder en nous appuyant sur une politique étrangère ferme et cohérente, tout en nous assurant que tous les négociateurs, ainsi que les autres représentants japonais, dont nos conseillers expérimentés, soient sur la même longueur d’onde. Si tous les aspects de notre politique avec la Russie, notamment la coopération économique, ne sont pas soigneusement coordonnés depuis le sommet jusqu’à la base, il devient trop facile pour Moscou de poursuivre ses propres intérêts matériels, séparément des négociations pour le traité de paix.

Il est toutefois important que Tokyo ne fasse pas ouvertement miroiter des perspectives de coopération économique en échange de progrès dans le cadre du litige territorial : cela provoquerait inévitablement une réaction hostile des Russes, ce qui serait totalement contreproductif d’un point de vue japonais.

Un signal d’avertissement pour le Japon

Les questions territoriales sont au cœur même de la souveraineté nationale. Les Territoires du Nord, faisant partie intégrante du Japon, sont occupés illégalement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, d’abord par l’Union soviétique puis par la Russie. À long terme, le Japon doit continuer à lutter pour conclure un accord de paix, sur la base inébranlable d’une solution qui restitue la propriété des quatre îles au Japon. Mais si l’on se réfère à notre propre expérience, et sans même évoquer les récents évènements en Ukraine, penser que Vladimir Poutine est un partenaire de négociation digne de confiance serait une grossière erreur.

D’un point de vue sécuritaire, le Japon doit traiter l’invasion russe de l’Ukraine comme un signal d’avertissement. À travers ses mots et ses actions, notre gouvernement doit envoyer un message sans équivoque à Moscou et au reste du monde qu’il ne tolèrera pas de violation de sa souveraineté, ni de son intégrité territoriale, sous aucun prétexte que ce soit. À cette fin, nous devons augmenter nos propres capacités de défense, renforcer notre alliance avec les États-Unis, et intensifier notre coopération avec les autres pays du G7. Tout en travaillant en étroite collaboration avec les Nations unies, nous devrions également fournir plus d’efforts dans notre partenariat avec l’OTAN, en partant du postulat que la sécurité de l’Asie et de l’Europe sont indissociables.

Avec la mise en place de cette police d’assurance, le gouvernement japonais doit faire respecter son engagement de signer un traité de paix avec la Russie en négociant une solution pour le litige territorial d’après les principes de la Déclaration de Tokyo de 1956, que ce soit avec Poutine ou avec un de ses successeurs.

(Photo de titre : le Premier ministre japonais Abe Shinzô et le président russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre au sommet de Singapour, le 14 juillet 2018. AFP/Jiji)

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Harada ChikahitoArticles de l'auteur

Ancien ambassadeur de la Fédération de Russie. Né en 1951. Diplômé de l’Université de Tokyo, il a commencé à travailler pour le ministère des Affaires étrangères en 1974. Il a dirigé la division russe du ministère et est devenu ambassadeur de la République Tchèque avant d’occuper ce même poste en Russie de 2011 à 2015.

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