S’engager sur le chemin de la décarbonisation : le Japon dans l’ère post-Glasgow

L’ordre du jour du Japon après la COP26 : résorber le « clivage carbone »

Environnement International

Yamada Takahiro [Profil]

Le Sommet de Glasgow (COP26) de novembre dernier sur le climat, qu’on attendait depuis longtemps, a débouché sur un consensus quant à la nécessité d’un renforcement de l’action en faveur du climat, mais n’a pas produit d’avancées majeures en ce qui concerne la réduction du « clivage carbone » entre le Nord et le Sud. L’auteur se penche ici sur la diplomatie climatique du Japon dans ce contexte mondial.

Diplomatie climatique et intérêt national

Cela nous amène à nous poser une question plus importante, celle des moyens à employer pour réconcilier la diplomatie climatique avec l’intérêt national du Japon. La réponse à ce dilemme dépend de la définition que nous adoptons de l’intérêt national.

Depuis quelque temps, les partisans du développement durable ont tendance à se focaliser sur les avantages économiques de la décarbonisation conçue comme une nouvelle stratégie de croissance. L’idée est que l’élan en faveur de la neutralité carbone va encourager l’innovation technologique dans des domaines comme l’énergie renouvelable, le captage du carbone, les piles à hydrogène et les batteries d’accumulateurs, ce qui en retour fera naître de nouveaux marchés. Les experts s’accordent à dire que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone générera tout un éventail d’opportunités commerciales, et les grandes puissances économiques mondiales ont d’ores et déjà commencé à canaliser l’investissement public en vue de se positionner à la pointe de la nouvelle économie.

L’UE s’est affirmée comme un leader en ce domaine. En janvier 2020, la Commission européenne a dévoilé son Plan d’investissement du pacte vert pour l’Europe, dont l’objectif est de mobiliser 1 000 milliards d’euros au cours des dix prochaines années en soutien à des projets liés par exemple à l’électrification des transports, à la production d’électricité à partir de la biomasse et au développement de technologies d’élimination du carbone. Le Plan emplois américain annoncé en mars 2021 par le président Biden prévoit 2 000 milliards de dollars de dépenses en huit ans, dont une bonne partie sera consacrée à l’investissement dans les véhicules électriques et les lignes à haute tension permettant d’alimenter les consommateurs en énergie renouvelable.

Et ces politiques ne sont pas confinées à l’occident industrialisé. Il y a plus de dix ans, la Chine a commencé à s’intéresser aux nouvelles technologies énergétiques, aux technologies et équipements écologiques, et aux véhicules nouvelles énergies en tant que « secteurs stratégiques émergents ». Elle a également entrepris de développer ses ventes à l’étranger de ce genre de produits et technologies via son Initiative ceinture et route. Tant et si bien que les entreprises chinoises contrôlent désormais 70 % du marché mondial des panneaux solaires, et que 5 des plus grands fabricants d’éoliennes sont chinois. Récemment, le Japon a pris le train en marche avec un Fond d’innovation verte de 2 000 milliards de yens (annoncé en décembre 2020) destiné à financer la mise au point de technologies visant à parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, et notamment l’énergie issue de l’hydrogène et celle, peu coûteuse, provenant de l’éolien en mer.

Ce genre de concurrence économique peut certainement jouer un rôle dans la promotion de la mise au point et de l’adoption de technologies à faible intensité en carbone. Mais la recherche du profit ne constitue pas une motivation susceptible d’altérer la trajectoire des pays en développement dans un délai suffisamment court pour éviter une crise climatique de grande ampleur. C’est pourquoi nous ne devons pas perdre de vue la raison fondamentale de la poursuite de la décarbonisation : la nécessité de stabiliser le climat de la terre conçu comme un bien public mondial essentiel.

Résorber le grand clivage carbone

Tandis que les pays développés élaborent des projets ambitieux pour sortir du charbon et des autres combustibles fossiles, les pays pauvres sont toujours en train de se battre pour satisfaire leurs besoins essentiels en énergie. À l’heure actuelle, l’Inde se repose sur le charbon à bon marché pour produire plus de 70 % de l’électricité qu’elle consomme. C’est pour cette raison que, à la COP 26, elle a refusé de céder aux pressions exercées par la Grande-Bretagne pour obtenir des parties prenantes qu’elles s’engagent à renoncer complètement à recourir au charbon. L’Inde a certes promis de porter à 50 % d’ici 2030 la part occupée par les renouvelables dans son mix énergétique, mais cette part reste aujourd’hui inférieure à 5 %. L’avènement rapide de la transition se heurte à de gigantesques obstacles économiques, politiques et techniques. Dans les prochains mois, qui plus est, à mesure que l’activité économique va reprendre en Inde et dans le reste du monde en développement, la construction de routes, de voies ferrées et d’usines va rebondir, et provoquer par la même occasion une augmentation de la demande de charbon destiné à la production d’électricité bon marché.

Il n’existe qu’une solution pour résorber ce grand clivage : que les pays riches subventionnent la transition énergétique dans le monde en développement. Faute d’une telle assistance, les pays en développement resteront dépendants du charbon dans un avenir prévisible et continueront de rejeter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. C’est pour cette raison qu’en 2009 les nations développées se sont engagées à débloquer de concert 100 000 milliards de dollars par an pour aider les pays pauvres à réduire leurs émissions et à s’adapter au changement climatique. Malheureusement, le monde industriel n’a pas respecté cet engagement collectif. (D’où l’importance de l’engagement, pris à Glasgow par le Premier ministre Kishida Fumio, d’attribuer 1 000 milliards de yens supplémentaires, soit 7,2 milliards d’euros, aux pays en développement.)

La menace du changement climatique ne concerne pas que les petites nations insulaires menacées de sombrer dans l’océan. Les événements climatiques extrêmes tels que l’ouragan Ida, qui a dévasté la côte est des États-Unis pendant l’été 2021, sont de plus en plus fréquents. C’est pourquoi nous disons que la stabilité du climat est un bien public. De ce point de vue, il est de toute évidence dans l’intérêt national du Japon de consacrer davantage d’efforts à la réduction de sa propre dépendance à la production d’électricité via le charbon et d’aider les pays en développement de la région à procéder à la même transition.

(Photo de titre : un modèle géant de la terre à la COP 26 à Glasgow, en Écosse, le 13 novembre 2021. DPA/Kyôdô)

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Yamada TakahiroArticles de l'auteur

Professeur, École supérieure d’études environnementales, Université de Nagoya. Né en 1959. Titulaire d’une maîtrise de l’Université Sophia et d’un doctorat de sciences politiques de l’Université de Californie, Berkeley. Ses recherches sont axées sur la gouvernance mondiale et la politique environnementale internationale.

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