
Comment restaurer l’intégrité financière du Japon
Pourquoi la taxe à la consommation japonaise est-elle inférieure à la moyenne de l’OCDE ?
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En avril 2018, Angel Gurria, le secrétaire général de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), a dit au ministre des Finances Aso Tarô : « Le Japon doit progressivement élever le taux de sa taxe à la consommation jusqu’à environ 19 %, le taux moyen pour les pays membres de l’OCDE. » Étant donné les problèmes de finances publiques que connaît le Japon, pourquoi le taux de sa taxe à la consommation est-il inférieur à la moyenne pratiquée au sein de l’OCDE ? Dans le texte qui suit, je décris les modifications du dispositif décisionnel au cours du temps et j’en expose les mécanismes.
Des politiques axées sur l’impôt sur le revenu
Avant de quitter le Japon, encore marqué par les cicatrices de la Seconde Guerre mondiale, Carl Shoup, un économiste américain, a qualifié d’« immature » la fiscalité de ce pays, axée depuis longtemps sur les impôts indirects.
Avant la Seconde Guerre mondiale, la politique fiscale japonaise privilégiait les recettes indirectes, provenant par exemple de l’impôt sur les boissons alcoolisées. Pendant les années suivantes, l’impôt sur le revenu a été augmenté pour financer la guerre, et il est devenu un pilier essentiel du dispositif fiscal. Le revenu nominal étant devenu ainsi l’unité de taxation, l’inflation a pesé lourdement sur les Japonais après la guerre. Dans le même temps, pour contenir l’inflation, les forces alliées d’occupation ne pouvaient pas laisser baisser les impôts. C’est ce qui a conduit le ministère des Finances à introduire un impôt sur le chiffre d’affaires. Ce prélèvement indirect sur les transactions aux niveaux de la fabrication, de la vente en gros et de la vente au détail a suscité une féroce opposition chez les petites et moyennes entreprises, et il a été supprimé au bout de 18 mois.
C’est dans ce contexte qu’une mission menée par Carl Shoup est venue au Japon pour fournir des conseils sur la fiscalité. La mission Shoup a recommandé un remaniement en profondeur qui donnerait la place centrale à une forme plus moderne de taxation : l’impôt sur le revenu. Les propositions de la mission ont été intégrées pratiquement intégralement dans la réforme fiscale de 1950. C’est grâce à elles que les politiques axées sur l’impôt sur le revenu ont pris racine au Bureau des impôts du ministère des Finances et que la fiscalité japonaise a pris l’orientation qui est la sienne depuis la fin de la guerre.
Après le retrait des forces alliées d’occupation, les fonctionnaires du Bureau des impôts ont renforcé leur emprise sur la politique fiscale. La Commission fiscale, sous le contrôle effectif du bureau, devint la plus haute instance décisionnelle en ce qui concernait les réformes menées par les pouvoirs publics. Alors que la taxe à la valeur ajoutée introduite en France en 1954 se répandait à travers le monde, le Bureau des impôts restait focalisé sur l’impôt sur le revenu, et la philosophie institutionnelle à laquelle il adhérait l’incitait à gommer les différences de revenus via l’ajustement du taux progressif de l’impôt, et à réduire le fardeau supporté par les citoyens en baissant les impôts. Même lors des réformes adoptées en 1966, quand une récession a conduit l’État à émettre des obligations pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, le ministère des Finances a fait le choix de réduire l’impôt sur le revenu.
L’adoption de la taxe à la consommation et l’ère de la réforme fiscale sous l’égide du parti au pouvoir
En 1955, une reconfiguration du paysage politique a débouché sur la domination d’un seul parti, et le Parti libéral-démocrate est devenu le point de ralliement des politiciens représentant des groupes d’intérêts. Quand la période de forte croissance économique a pris fin, la politique de partage des profits fondée sur l’augmentation naturelle des recettes fiscales est devenue intenable, et des mesures telles que les dérogations, les exonérations et les réductions d’impôts ont pris une importance croissante. Aux environs de l’année 1970, la Commission de recherche du PLD sur le système fiscal a commencé à faire office de médiateur dans les conflits d’intérêts entre les différents ministères et les entreprises et à exercer son influence sur l’aménagement de divers points particuliers de la fiscalité, dont les dérogations et les exonérations. Un petit nombre de dirigeants du PLD ont acquis un tel pouvoir que le Bureau du Premier ministre s’est tout simplement retrouvé sur la touche. C’est ainsi que le PLD a repris la direction des politiques fiscales au ministère des Finances.
Des désaccords ont été exprimés, notamment à propos de l’iniquité de l’impôt sur le revenu et de la nécessité de recettes fiscales stables compte tenu des émissions régulières d’obligation d’État. En réaction, le Bureau des impôts a commencé à envisager de recourir aux impôts indirects. Il s’agissait à l’époque d’une taxe spécifique à la consommation prélevée au cas par cas sur des produits comme les automobiles ou l’alcool. Mais la réforme de la fiscalité s’est heurtée à des difficultés quand les intérêts commerciaux concernés se sont regroupés et que les politiciens se sont mêlés de l’affaire, malgré le nombre réduit des produits concernés et le taux modéré de taxation. À mesure qu’ils répondaient au cas par cas aux demandes des entreprises et se trouvaient débordés par la tâche, les fonctionnaires du Bureau des impôts sont devenus plus réceptifs à l’idée d’une taxe généralisée à la consommation appliquée à taux fixe sur tous les produits et services.
Le Bureau des impôts a commencé par se tourner vers le Premier ministre, qu’il a cherché à gagner à sa cause au fur et à mesure des opportunités qui se présentaient. Cette démarche s’est avérée payante, et le cabinet du Premier ministre Ôhira Masayoshi s’est donné pour objectif en janvier 1979 d’introduire une taxe à la consommation dès l’exercice budgétaire 1980. Le Premier ministre Nakasone Yasuhiro, fortement influencé par les réformes fiscales opérées en 1985 par le président Reagan, s’est mis en tête de procéder à une réforme fondamentale de la fiscalité passant notamment par l’introduction d’une taxe généralisée à la consommation. Mais ces deux premiers ministres se sont heurtés à une forte opposition des électeurs, et tous deux ont subi un cuisant échec électoral : le Premier ministre Ôhira lors de l’élection de 1979 à la Chambre des représentants et le Premier ministre Nakasone en 1987, lors de l’élection partielle à la Chambre des conseillers et des élections locales à l’échelle de la nation. À la suite de quoi le projet d’introduction de la taxe à la consommation a été abandonné.
Takeshita Noboru, qui a succédé à Nakasone à la tête du gouvernement, voyait favorablement l’introduction d’une taxe généralisée à la consommation. La commission fiscale du PLD, qui s’est réunie à de nombreuses reprises avec la participation d’organismes industriels, a mis en place un grand nombre de dérogations pour les petites et moyennes entreprises, par exemple l’autorisation temporaire des ententes sur les prix, qui étaient interdites par la Loi contre les monopoles. Petit à petit, les secteurs d’activités en proie à l’inquiétude ont été apaisés et l’opposition est retombée. La veille de Noël 1988, la Loi sur la taxe à la consommation a finalement été adoptée. Ce qui n’a pas empêché le PLD de subir de lourdes pertes l’année suivante lors de l’élection à la Chambre des conseillers.
La Commission fiscale du PLD est restée puissante au cours des années suivantes. Au début des années 2000-2010, le Premier ministre Koizumi Jun’ichirô, absorbé par le chantier des réformes structurelles, a laissé le débat se dérouler au sein de la commission fiscale du parti, sans chercher à prendre la direction des opérations.
Le Premier ministre Takeshita Noboru en conversation avec Yamanaka Sadanori (à gauche), le président de la Commission de recherche du PLD sur le système fiscal, le 18 mai 1988, au Bureau du Premier ministre à Tokyo. (Jiji Press)