
La réforme du travail va-t-elle transformer le Japon ?
Le Japon à la recherche de l’équilibre entre travail et vie de famille
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Moins d’heures supplémentaires pour revaloriser le travail
En septembre 2016, le gouvernement japonais a chargé le Conseil pour la « réalisation de la réforme de la façon de travailler » d’élaborer un plan d’action dans ce sens. L’objectif le plus remarquable de ce plan, dévoilé en mars 2017 et approuvé par le patronat et les syndicats, est une limitation légale des heures supplémentaires assortie de pénalités en cas d’infraction. Une clause précise que le nombre maximum de ces heures par mois ne peut pas être supérieur à 100. Un tel nombre d'heures doit sans doute paraître incroyable dans les autres pays. Mais pour le Japon où il n’existait jusqu’à présent aucune restriction en la matière, c’est un premier pas important qui va changer les critères d’évaluation des employés. L’application de la réforme du travail concoctée par le gouvernement devrait transformer la société et le monde de l’entreprise japonais où les journées interminables de travail sont la norme.
À l’heure actuelle, une des composantes essentielles de la culture d’entreprise du Japon est son système d’évaluation du personnel fondé sur la quantité de travail effectuée par mois ou par année. Dans les pays où le nombre des heures supplémentaires est limité, la productivité des employés est calculée sur la base du rendement par heure. La promotion fondée sur le rendement n’a pas la même signification au Japon et ailleurs, même si dans les deux cas on met l’accent sur les résultats ou les mérites des travailleurs. En effet, les employés de l’Archipel sont jugés d’après leur rendement par « période » – de plusieurs mois ou semaines – et les plus prisés d’entre eux sont ceux qui sont capables grâce à leur grande résistance physique de faire le maximum d’heures supplémentaires.
Comment les patrons japonais vont-ils évaluer leurs subordonnés une fois que les limites sur la durée excessive du travail imposées par la réforme seront en place ? Il faut espérer qu’ils commenceront à privilégier les individus efficaces qui effectuent les tâches dans un minimum de temps, rentrent chez eux à une heure raisonnable et reviennent en forme le lendemain. Si c’est le cas, les employeurs en viendront peut-être à finir par considérer les femmes comme un atout. Les médias de l’Archipel ont beaucoup insisté sur le fait que les heures supplémentaires ont été limitées à un maximum de 100 par mois. Mais ils se sont bien gardés de préciser que la réforme prévoit également que leur nombre ne doit pas dépasser 45 par mois, sauf dans les entreprises où la direction et les syndicats ont conclu un accord. Et quand une telle convention existe, tout employé ayant effectué 100 heures supplémentaires pendant un mois n’est autorisé à en faire que 60 le mois suivant. Quoi qu’il en soit, il ne faut surtout pas oublier que c’est la première fois en 70 ans, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que le Japon va appliquer des restrictions en matière d’heures supplémentaires.
Une absence de mesures efficaces pour contrer le déclin démographique
Entre le milieu des années 1960 et celui des années 1990, le Japon a bénéficié d’un « bonus démographique » grâce au pourcentage élevé des jeunes actifs dans sa population. La faible proportion des personnes âgées a permis au gouvernement d’investir dans les infrastructures plutôt que dans des dépenses de sécurité sociale. Le Japon a tiré le meilleur parti de ces conditions idéales pour un développement et une croissance rapides. Un des moyens pour y parvenir a été de recruter massivement des employés de sexe masculin travaillant sans relâche pendant que leur épouse se chargeait de tout ce qui concernait leur foyer (voir article Les femmes japonaises face aux dures réalités du travail et du mariage).
Mais depuis, la population de l’Archipel est entrée dans une phase de vieillissement si aiguë que l’on parle de « fardeau démographique », une proportion relativement faible d’individus en âge de travailler subvenant aux besoins d’un grand nombre de personnes âgées. Dans ce cas de figure, les journées de travail interminables ont tendance à constituer un handicap pour la société. Ceux qui ont un emploi ont en effet besoin de temps pour s’occuper non seulement de leurs parents âgés mais aussi de leurs enfants, d’autant plus que la baisse du taux de fécondité contribue à l’accélération du processus de vieillissement de la population. Ce dont le Japon a besoin à présent, c’est d’employés capables de travailler efficacement dans un minimum de temps avec le meilleur rendement possible.
En Europe, où le vieillissement démographique a commencé avant le Japon, la quasi-totalité des pays ont conscience du changement de la structure de la société en cours et ont pris des mesures pour y faire face. Pour tirer le meilleur parti de leur population active limitée, ils ont mis en place des structures d’accueil afin que ceux qui ont des jeunes enfants ou des parents âgés puissent travailler en dehors de chez eux. Certains pays européens ont par ailleurs pris des dispositions pour augmenter le nombre de naissances et avoir une main-d’œuvre plus conséquente dans l’avenir. Dans les manuels scolaires japonais, ils sont présentés avec un certain dédain comme des États-providence alors que les faits ont montré qu’ils ont adopté la stratégie à long terme adéquate pour combattre le vieillissement de leur population.
Le Japon est quant à lui entré brutalement dans une phase de vieillissement démographique rapide sans prendre aucune mesure efficace. La politique du gouvernement pour encourager les naissances a été quasi inexistante et les entreprises japonaises continuent à tenir les femmes à l’écart du monde du travail en restant fidèles à leur stratégie de l’emploi fondée sur les longues journées de travail.
La réussite économique du Japon durant la phase de haute croissance de l’après-guerre est considérée comme exceptionnelle y compris par rapport au récent développement accéléré de la Chine. On a même parlé de « miracle japonais » à son propos. Mais ce succès extraordinaire semble avoir paralysé les Japonais quand il s’est agi de se défaire des habitudes contractées durant cette période. À l’heure actuelle, les dirigeants d’entreprise conscients du changement de la structure démographique de l’Archipel sont une infime minorité. Ce sont souvent des gens qui sont allés travailler en Europe ou ont dirigé une entreprise à capitaux étrangers au Japon. Être familiarisé avec le fonctionnement de la société américaine n'est pas forcément favorable au développement de méthodes de gestion adaptées à une société vieillissante, parce que l’afflux constant d’immigrants tend à compenser le déclin démographique des États-Unis. Qui plus est, les patrons au fait du problème ont bien du mal à convaincre les actionnaires et les investisseurs, et à appliquer intégralement la « réforme de la façon de travailler » à leur entreprise.