Les femmes dans le Japon d’aujourd’hui

Les actrices X japonaises : du personnage à la personne

Société

Suzuki Suzumi [Profil]

Les actrices X cherchent à la fois à rester une « fille comme les autres » et à faire progresser leur valeur marchande dans le secteur du sexe. Conscientes de la duplicité du regard porté par les hommes sur les femmes, elles apportent un éclairage sur la société masculine japonaise.

Pornographie et virginité

Seulement, il suffit d’élargir le champ d’investigation pour comprendre que le système qui façonne ces actrices X en femmes fières et libres reflète largement le regard de la société. Par exemple, hormis les rares exemples d’actrices qui gagnent en notoriété, la valeur marchande d’une actrice X est généralement à son plus haut dans ses premiers films, après quoi elle baisse graduellement. Cette réalité, strictement reflétée dans sa rémunération, traduit le prix que les spectateurs, avides de « virginité », accordent à la jeunesse, à la nouveauté et au manque d’expérience.

Même si son niveau technique en tant qu’actrice X (par exemple, effectuer une fellation en tenant compte de l’angle de la prise de vues, savoir jouer le rôle dominant dans un film de lesbiennes, trouver le ton juste pour s’exprimer, devancer les souhaits du réalisateur en adaptant son jeu) progresse fortement, il est rare que son cachet augmente proportionnellement.

Au contraire, plus elle tourne de films et étoffe sa carrière, plus ses cachets baissent et les scènes tournées sont extrêmes. Cela reflète ce que recherchent la société et les spectateurs : ils ne demandent pas aux actrices X d’être des professionnelles aguerries, mais des jeunes femmes timides et pures qui vivent leur première expérience dans un film porno.

C’est précisément parce que les actrices débutantes, qui n’ont ni technique ni expérience à revendiquer, dominent la hiérarchie du X, que les actrices chevronnées élaborent une grille de valeurs différente de celle des spectateurs. Tout au long de leur descente dans la hiérarchie – d’actrice sous contrat d’exclusivité avec un producteur, bien rémunérée, à actrice free-lance, de moins en moins bien rémunérée au fil de sa carrière –, elles adoptent une grille de valeurs qui leur est propre, éloignée de celle des spectateurs ; elles favorisent les relations de confiance avec les réalisateurs et leurs équipes et choisissent les rôles plus complexes, fermés aux jeunes actrices inexpérimentées, préférant être considérées pour leur expérience plutôt que couvertes d’éloges en tant que jeune première.

Un storytelling nécessaire

À mes yeux, la prolixité des actrices X lorsqu’on les interviewe, les mots qu’elles utilisent pour parler de leurs choix, tout leur storytelling apparaît comme une forme de résistance face à la grille de valeurs inflexible des spectateurs, qu’elles ont intégrée.

Dans tous les cas, on leur demande immanquablement pourquoi elles ont eu envie de jouer dans un film porno, pourquoi elles sont devenues actrice X. Et dans tous les médias, elles répondent habilement à cette question. Leur prolixité convainc les spectateurs qu’elles ont choisi ce métier pour une raison bien précise, qu’elles ne sont pas comme les gens normaux (à savoir, les femmes qui ne deviennent pas actrices porno), qu’elles jouent dans ces films pour dépasser une situation difficile ou pour faire à fond ce qui leur plaît.

Ces questions reviennent aussi immanquablement dans les entretiens avec les producteurs, et les actrices peaufinent leur storytelling pour faire bonne impression face aux producteurs, marquer les esprits, se mettre en avant en espérant susciter une demande. Bref, la prolixité apparente des actrices X est le produit naturel des règles du secteur : tel est le point de vue que je défendais dans mon précédent ouvrage. L’image qu’elles donnent – jouer dans des films pornographiques pour une raison précise – est soutenue par le discours qu’elles mettent au point dans la gestion de leur carrière.

Ce visage qu’elles présentent colle en quelque sorte accidentellement avec celui qu’attendent les spectateurs, qui souhaitent établir une distinction entre les femmes de leur entourage et les actrices X. Ils sont ainsi rassurés sur les raisons pour lesquelles elles travaillent et peuvent les classer dans une catégorie à part.

Ces hommes qui prennent plaisir à regarder des actrices X, symboles de l’activité sexuelle, s’ils découvraient qu’une femme de leur entourage joue dans un film porno, la rejetteraient violemment. En effet, ils cherchent à se convaincre que les femmes qui sont l’objet de leur plaisir sexuel et celles avec lesquelles ils travaillent ou vivent ne sont pas les mêmes.

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Suzuki SuzumiArticles de l'auteur

Née en 1983 à Tokyo, diplômée en études de l’environnement et de l’information à l’Université Keio, titulaire en 2009 d’un master en études interdisciplinaires de l’information à l’Université de Tokyo, spécialité sociologie. Auteur de Sociologie des actrices X (Seidosha, 2013) et Une passe et adieu (Gentosha, 2014).

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