Les femmes dans le Japon d’aujourd’hui

Les femmes japonaises face aux dures réalités du travail et du mariage

Société

Kawaguchi Akira [Profil]

Le gouvernement japonais a annoncé haut et fort qu’il a pris des mesures pour faciliter l’accès des femmes au marché du travail. Mais les Japonaises n’en restent pas moins confrontées à des difficultés spécifiques tant du point de vue économique, que de leur vie professionnelle, du mariage et de l’éducation des enfants. Dans l’article qui suit, le chercheur en études de genre Kawaguchi Akira dresse un tableau de la situation des femmes dans le Japon d’aujourd’hui et en particulier du décalage entre leurs espérances et la réalité.

L’augmentation du nombre des femmes qui travaillent va de pair avec celui des emplois précaires

Le taux d’emploi des femmes progresse, même si c’est lentement. En 1990, juste avant l’éclatement de la bulle économique, 56 % des femmes âgées de 15 à 65 ans travaillaient. Et en 2014, ce pourcentage a atteint 64 %. Mais durant toute cette période, le taux d’emploi des hommes est resté pratiquement le même.

L’augmentation de la proportion des femmes dans la population active ne signifie pas pour autant qu’elles ont davantage de chances de faire valoir leurs compétences. Entre 1990 et 2015, le nombre des Japonaises travaillant à temps complet est passé de 10 500 000 à 10 150 000, soit une diminution de 3,3 %. Dans le même temps, celui des femmes cantonnées dans un emploi précaire a plus que doublé puisqu’il a progressé de 6 460 000 à 13 430 000.(*3) Si le taux d’emploi des Japonaises a augmenté, c’est donc essentiellement à cause des emplois précaires féminins. Une tendance qui contribue plus que tout autre facteur au maintien de l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes.

Des femmes poussées à travailler à cause de la baisse des salaires des hommes

La baisse des salaires masculins a contribué à faire grimper le taux d’emploi des femmes. Depuis l’éclatement de la bulle économique au début des années 1990, les salaires des hommes qui ont poste à temps complet stagnent et le nombre des emplois précaires masculins augmente. En 2014, on a recensé 2 350 000 emplois temporaires ou CDD masculins de plus qu’en 1990, soit une augmentation de 171 %. La baisse des revenus des employés de sexe masculin a contribué à augmenter le nombre des femmes qui travaillent pour deux raisons.

En premier lieu, le mariage est exclu pour les hommes de plus en plus nombreux qui ont de trop faibles revenus. Les Japonais des deux sexes ont donc tendance à se marier plus tard ou pas du tout et les femmes qui restent célibataires en continuant à travailler se multiplient. En second lieu, les couples mariés ne peuvent plus espérer un niveau de vie comparable à celui du temps où le mari faisait vivre toute sa famille avec son seul salaire, ce qui pousse les femmes à contribuer à leur tour aux revenus du ménage. Beaucoup de Japonaises continuent à travailler une fois mariées. Et si elles quittent leur poste quand elles ont des enfants, elles reprennent un emploi à temps partiel dès que ceux-ci ont grandi. Elles rejoignent ainsi le groupe de plus en plus vaste des salariés précaires.

Le décalage entre l’idéal et la réalité

Les femmes japonaises souhaitent-elles vraiment travailler ? D’après une enquête réalisée en 2010 par l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale auprès de célibataires des deux sexes, la plupart des femmes célibataires espèrent quitter leur emploi après le mariage et la naissance des enfants puis à recommencer à travailler après avoir élevé leur progéniture. 35 % des Japonaises célibataires interrogées sur leurs souhaits en matière de vie professionnelle et familiale ont choisi cette option. 31 % préféraient continuer à travailler tout en se mariant et en ayant des enfants et ce faisant, elles espéraient concilier leur carrière et leur vie familiale. 20 % souhaitaient devenir des femmes au foyer à plein temps une fois qu’elles seraient mariées et mères de famille. 5 % ont manifesté le désir de rester célibataire en continuant à travailler. Enfin, à peine 3 % des femmes célibataires interrogées envisageaient de se marier sans avoir d’enfants.(*4)

L’enquête menée en 2010 par l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale portait non seulement sur la vie dont rêvent les femmes célibataires japonaises mais aussi sur ce à quoi elles s’attendent dans la réalité. Le contraste entre les deux est particulièrement frappant dans plusieurs cas. Si 20 % de ces femmes espéraient consacrer leur vie à leur famille, 9 % à peine pensaient que ce serait possible. De même, 25 % seulement de celles (31 %) qui souhaitaient concilier carrière et vie familiale croyaient qu’elles y parviendraient.Le choix des femmes qui voulaient rester célibataires en continuant à travailler semblait en revanche beaucoup plus réaliste, 5 % seulement considérant qu’il s’agissait d’un idéal alors que 18 % s’attendaient à ce que les choses se passent ainsi. Ce qui veut dire que ces Japonaises étaient persuadées qu’elles ne pourraient pas se marier même si elles le souhaitaient.

(*3) ^ Rôdôryoku chôsa (Enquête sur la population active), ministère des Affaires intérieures et des communications, 2015.

(*4) ^ Dai 14 kai shusshô dôkô kihon chôsa : kekkon to shussan ni kansuru zenkoku chôsa (14e enquête nationale sur l’évolution de la fécondité : attitudes envers le mariage et la famille chez les célibataires japonais), Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale, 2010

Suite > Une période défavorable au mariage

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Kawaguchi AkiraArticles de l'auteur

Né en 1958 dans la préfecture de Kagawa. Professeur à la faculté des sciences politiques de l’Université Dôshisha de Kyoto depuis 2004. Spécialiste de l’économie du travail et des études de genre. Diplômé de la faculté d’économie de l’Université de Kyoto (1982). Titulaire d’un doctorat d’économie de l’Université nationale d’Australie (1990). A donné des cours à la faculté d’économie et de commerce de l’Université de Melbourne, puis à la faculté d’économie de l’Université Ôtemon Gakuin d’Osaka jusqu’en 2004 où il a accédé à son poste actuel. Auteur de divers ouvrages dont Nihon no gender o kangaeru (Réflexion sur l’inégalité entre les hommes et les femmes au Japon, Yûhikaku, 2013) et Jenda keizai kakusa (Le décalage économique entre les hommes et les femmes, Keisôshobô, 2008).

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