Réfléchir à Okinawa

Qu’est-ce que l’identité d’Okinawa ?

Politique

Shimabukuro Jun [Profil]

Que recouvre l’identité d’Okinawa qui forme le pivot de l’opposition au projet du gouvernement Abe d’imposer le transfert d’une base américaine à Henoko ? Nous présentons ce mouvement fondé sur la reconnaissance de l’histoire des habitants d’Okinawa et des discriminations structurelles subies par cet archipel qui vise à créer une solidarité unissant la société d’Okinawa.

La solidarité sociale devient une identité de l’archipel

Depuis le Mouvement de protestation générale (Shimagurumi tôsô), comme on désigne la lutte au milieu des années 1950 autour des terres que s’était appropriées l’armée américaine, les habitants d’Okinawa qui n’ont jamais accepté ces expropriations espéraient que l’ensemble du Japon s’indignerait de ces violations de leurs droits. Mais la loi de 1972, qui, loin les condamner, a légalisé cette occupation de leurs terres, a été pour eux une cruelle déception. Plusieurs événements intervenus dans les années qui ont suivi, notamment le viol d’une fillette d’Okinawa par des soldats américains en 1995, ont renforcé le sentiment que les discriminations structurelles qu’ils subissent sont ignorées.

Aujourd’hui, même les conservateurs et les milieux économiques d’Okinawa sont de plus en plus irrités par ces discriminations culturelles imposées par le Japon. Les Okinawaïens ont le sentiment non seulement que le gouvernement central continue à attendre d’eux qu’ils se résignent à la présence des bases américaines parce qu’elles servent les intérêts nationaux, mais aussi que cette attitude du gouvernement ne pose aucun problème à l’opinion publique ou aux médias du reste du Japon.

Afin de lutter contre cette discrimination structurelle, il est nécessaire d’apprendre à nouveau de l’histoire d’Okinawa depuis le Mouvement de protestation générale. Il faut ainsi comprendre clairement que cette lutte a pour but de faire respecter les droits de l’homme et le droit à l’autonomie d’Okinawa. Si les Uchinânchu perpétuent ce mouvement, cela servira à établir l’identité d’Okinawa.

Une identité fondée sur l’histoire douloureuse de l’après-guerre

On peut affirmer que l’identité revendiquée et partagée aujourd’hui à Okinawa est moins directement liée au royaume des Ryûkyû qu’à cette histoire douloureuse de l’après-guerre. Jusqu’au milieu des années 50, la stratégie de l'armée américaine pour assurer l’occupation, qui consistait en la division des habitants, ont porté ses fruits. Mais à l’occasion du Mouvement de protestation générale en 1956, les bases d’une lutte pour protéger le droit sur les terres et les droits humains à laquelle a participé l’ensemble de la société, ont été établies. Dans les années 60, les conflits avec le haut-commissaire Caraway(*3) autour du droit à l’autonomie n’ont fait que renforcer la solidarité au sein du peuple d’Okinawa qui s’est opposé dans tout l’archipel aux pressions et aux violations insensées de ses droits.

Les politiciens japonais et la plupart des médias japonais sont aujourd’hui incapables de remettre en question la nécessité d’avoir des bases permanentes de la marine à Okinawa pour des raisons militaro-géographiques, et cela malgré l’invraisemblance d’un conflit entre ces forces et l’armée chinoise. Leur ton vis-à-vis d’Okinawa est discriminatoire : la population doit se résigner à ces bases qui lui rapportent de l’argent, tant par les transferts financiers qu’elles lui procurent que par l’activité qu’elles génèrent. Cela revient à nier l’histoire d’Okinawa dans l’après-guerre, qui a vu la lutte solidaire de toute la population opposée contre les pressions exercées sur elle et l’injustice de la construction et du maintien des bases américaines, et à refuser de reconnaître et de respecter l’identité de la population d’Okinawa. Cette attitude est perçue comme un nouveau refus opposé à Okinawa par la politique et les médias japonais.

(D’apres l’original en japonais du 30 juin 2015. Photo de titre : l’ambassadrice américaine au Japon Caroline Kennedy en visite au château de Shuri à Naha, dans la préfecture d’Okinawa, en février 2014. Jiji Press )
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(*3) ^ Paul Caraway (1905-1985), troisième haut-commissaire américain à Okinawa, en fonction de 1961 à 1964. Il a mis en place des mesures autoritaires et a attisé la colère du peuple d'Okinawa en disant que le droit à l'autonomie d'Okinawa « n'était qu'un mythe ».

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Shimabukuro JunArticles de l'auteur

Professeur à l’Université des Ryûkyû, né en 1961 dans la ville de Naha. Spécialiste des collectivités régionales et des systèmes administratifs, il a fait ses études à l’Université Waseda où il a obtenu son doctorat en sciences politiques. Il enseigne depuis 1993 à l’Université des Ryûkyû dont il est professeur depuis 2007. Il a créé en 2002 le centre de recherches sur l’autonomie pour Okinawa, auquel participent des fonctionnaires territoriaux et des citoyens. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Okinawa, dont Okinawa shinkô taisei wo tou (Questions sur le système de promotion d’Okinawa) publié en 2013 aux éditions Hôritsu bunkasha.

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