Réfléchir à Okinawa

Qu’est-ce que l’identité d’Okinawa ?

Politique

Shimabukuro Jun [Profil]

Que recouvre l’identité d’Okinawa qui forme le pivot de l’opposition au projet du gouvernement Abe d’imposer le transfert d’une base américaine à Henoko ? Nous présentons ce mouvement fondé sur la reconnaissance de l’histoire des habitants d’Okinawa et des discriminations structurelles subies par cet archipel qui vise à créer une solidarité unissant la société d’Okinawa.

L’identité des Okinawaïens comme Japonais

Lorsque je dis qu’Okinawa souhaite avoir le droit à l’autodétermination, cela ne signifie pas qu’à l’heure actuelle la majorité de ses habitants est favorable à l’indépendance. Aujourd’hui, la plupart d’entre eux pensent comme M. Onaga, le gouverneur, qu’ils ont une identité double, japonaise et uchinânchu, comme ils s'appellent eux-mêmes. Ils luttent contre le déplacement de la base de Futenma à Henoko, tout en posant pour prémisse leur volonté de contribuer à la société japonaise dont ils font partie.

Iha Fuyū (1876-1947), connu comme le père des études okinawaïennes, soulignait que le Japon et Okinawa partagent les mêmes origines, tant pour ce qui est du peuplement que de la culture. Il pensait que subsistaient à Okinawa une langue, des coutumes et des traditions de l’ère Nara (710-794), voire plus anciennes, c’est-à-dire qu’il était possible de rattacher la culture indigène d’Okinawa, différente de celle du reste du Japon, aux strates plus anciennes de la culture japonaise. C’est de cette façon qu’il justifiait l’individualité et l’originalité d’Okinawa au sein du Japon.

Ainsi Iha, tout en acceptant l’assimilation au Japon, a essayé d’établir simultanément l’identité uchinânchu. C’est une approche qui intègre habilement dans le cadre japonais la culture et la langue propre à Okinawa. Iha a eu une énorme influence sur les chercheurs et les intellectuels qui s’intéressent à Okinawa, et on peut affirmer que sa pensée continue à être dominante aujourd’hui.

Mais un problème est indiscutablement apparu dans l’après-guerre, celui des « discriminations structurelles » vis-à-vis d’Okinawa, qui ont fait que l’archipel n’a pas été traité de la même façon que le reste du Japon. Depuis 1945, année de la bataille d’Okinawa qui jouait alors le rôle d’un pion sacrifié pour la défense du reste du pays, le Japon s’est « séparé » d’Okinawa à divers égards. Actuellement l’identité uchinânchu, fondée sur l’histoire d’Okinawa après la guerre, considère que ses habitants doivent retrouver les droits qu’ils ont perdus à cause de cette séparation, ainsi que le droit à l’autonomie.

Un message de l’empereur établit la permanence des bases américaines

La marine américaine qui a débarqué en mars 1945 à Okinawa a publié la Proclamation de Nimitz(*1) qui suspendait le contrôle du Japon sur la population d’Okinawa, et a créé le 5 avril un gouvernement militaire à Hija, dans le bourg de Yomitan. La bataille d’Okinawa a duré plus de trois mois.
Les partis politiques d’Okinawa apparus en 1946 et 1947 réclamaient tous l’indépendance. À leurs yeux, si Okinawa n’était plus rattaché au Japon, l’archipel devait avoir le droit à l’autodétermination, et ses habitants devaient exiger le retour à la souveraineté. Ces positions embarrassaient au plus haut degré les États-Unis qui souhaitaient rendre permanentes leurs bases à Okinawa.

En septembre 1947, l’empereur Hirohito a adressé un message(*2) aux États-Unis, dans lequel il exprimait son intention de « prêter Okinawa à long terme, de 25 à 50 ans, ou même plus si nécessaire ». L’article 3 du traité de paix de San Francisco de 1952 fait écho à ce message qui satisfaisait pleinement les États-Unis : il reconnaissait la souveraineté du Japon sur Okinawa tout en établissant que l’archipel était sous contrôle américain.

Les partisans de l’indépendance représentés par l’Association pour des études approfondies en vue de l’indépendance des Lew Chuans estiment que l’indépendance est le seul moyen de sortir du système qui plonge ses racines dans les structures politiques fondamentales du Japon d’avant-guerre, dans le cadre duquel le gouvernement japonais décide du traitement d’Okinawa sans reconnaître son droit à l’autodétermination. Cette association a plusieurs caractéristiques : elle est fondée sur le mouvement pour le rétablissement des droits des peuples autochtones ; il faut pour y appartenir être descendant de la population autochtone qui habitait Okinawa à l’époque du royaume des Ryûkyû ; elle a une conscience très vive des violations commises à l’encontre de transmission de la langue et de la culture d’Okinawa qui sont aujourd’hui en danger. L’association estime qu’Okinawa ne dispose pas aujourd’hui de la liberté de transmettre sa culture et de la développer. En effet, les établissements scolaires d’Okinawa suivent les directives d’orientation de l’enseignement du ministère de l’Éducation, et les jeunes Okinawaïens reçoivent le même enseignement que les élèves du reste du Japon. Les programmes scolaires n’enseignent ni l’histoire ni la langue des Ryûkyû , et pour l’association, cela constitue une atteinte aux droits des gens d’Okinawa.

(*1) ^ Ordonnance de l'amiral Chester Nimitz (1885-1966), commandant en chef de la flotte des États-Unis dans le Pacifique et de la POA (Pacific Ocean Areas), qui affirme qu'Okinawa est désormais sous occupation américaine.

(*2) ^ Il s'agit d'une note relative à l'occupation par l'armée américaine d'Okinawa, transmise à William J. Sebald, conseiller politique du Commandement suprême des forces alliées, par Terasaki Hidenari de l'Agence de la maison impériale. Dans cette note, l'empereur expliquait que l'occupation d'Okinawa par les États-Unis était bénéfique au Japon comme à la puissance occupante, et que le peuple japonais était susceptible de l'approuver parce qu'il était inquiet de l'influence du bloc communiste.

Suite > Faire connaître au monde les atteintes aux droits de l’homme que subit Okinawa

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Shimabukuro JunArticles de l'auteur

Professeur à l’Université des Ryûkyû, né en 1961 dans la ville de Naha. Spécialiste des collectivités régionales et des systèmes administratifs, il a fait ses études à l’Université Waseda où il a obtenu son doctorat en sciences politiques. Il enseigne depuis 1993 à l’Université des Ryûkyû dont il est professeur depuis 2007. Il a créé en 2002 le centre de recherches sur l’autonomie pour Okinawa, auquel participent des fonctionnaires territoriaux et des citoyens. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Okinawa, dont Okinawa shinkô taisei wo tou (Questions sur le système de promotion d’Okinawa) publié en 2013 aux éditions Hôritsu bunkasha.

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