Réfléchir à Okinawa

Qu’est-ce que l’identité d’Okinawa ?

Politique

Shimabukuro Jun [Profil]

Que recouvre l’identité d’Okinawa qui forme le pivot de l’opposition au projet du gouvernement Abe d’imposer le transfert d’une base américaine à Henoko ? Nous présentons ce mouvement fondé sur la reconnaissance de l’histoire des habitants d’Okinawa et des discriminations structurelles subies par cet archipel qui vise à créer une solidarité unissant la société d’Okinawa.

« L’identité plutôt que l’idéologie »

Si l’on évoque fréquemment aujourd’hui « l’identité d’Okinawa », c’est grâce à Onaga Takeshi qui avait pour slogan de sa campagne de 2014 pour devenir gouverneur d’Okinawa « l’identité plutôt que l’idéologie ». Il cherchait à coaliser l’ensemble des forces politiques de la préfecture, depuis les conservateurs jusqu’aux sympathisants du Parti communiste japonais, dans le cadre de l’opposition au transfert de la base aérienne américaine de Futenma, située dans la ville de Ginowan à Henoko dans la ville de Nago.

L’idée que « c'est Okinawa qui doit décider de ses affaires » avait déjà été défendue par le passé, notamment par des candidats aux élections nationales, à la Chambre haute comme à la Chambre basse du Parlement japonais. Mais personne n’avait jamais encore bâti sa campagne autour du thème de l’identité d’Okinawa, en cherchant à rassembler tant les conservateurs que les radicaux.

Après la rétrocession en 1972, la vie politique à Okinawa était organisée, comme dans le reste du Japon, autour de l’opposition entre les sections locales du Parti libéral démocrate et des partis de gauche. Cette opposition se retrouvait dans le dialogue social, avec d’un côté les partisans du maintien des bases militaires à Okinawa, et de l’autre les opposants. Le projet de transférer la base de Futenma à Henoko, évoqué pour la première fois en 2010, a tout changé puisqu’il a été rejeté tant par les deux camps. Même si, un peu plus tard, la direction centrale du PLD a réussi à faire revenir la plupart des sections locales du parti à son propre camp, l'identité d'Okinawa est alors apparue comme le pivot d'une coalition unissant le reste des conservateurs et la gauche.

Okinawa était autrefois reconnu comme État souverain

« L’identité d’Okinawa » est un synonyme de l’affirmation du droit à l'autodétermination de ses habitants pour leur propre terre, leur mer et leurs ressources. C’est le principal facteur de l’opposition du transfert de Futenma à Henoko.

Le droit à l’autodétermination est un droit souverain, qui dépasse de loin l’autonomie locale. Si les fondements permettant de justifier un pouvoir aussi vaste étaient établis, le Japon et les États-Unis ne pourraient plus décider seuls du maintien des bases à Okinawa, car il leur faudrait respecter la volonté d’Okinawa. Théoriquement, tant que le Japon ne présenterait pas de décision respectant l’autodétermination d’Okinawa, celle-ci ne pourrait être acceptée.

Cette revendication se fonde sur l’histoire d’Okinawa et des Ryûkyû. Deux faits historiques sont importants à cet égard : l’annexion du royaume des Ryûkyû par le Japon, et le placement de l’archipel sous administration américaine après l’acceptation par le Japon de la Déclaration de Potsdam. Avant l’annexion imposée par le Japon en 1879, les Ryûkyû étaient un royaume indépendant qui payait un tribut à la Chine. Le royaume était tributaire de la Chine depuis le XIVᵉ siècle, mais l’indépendance politique du royaume était reconnue par celle-ci.

Ce système n’était pas sans avantage pour le clan de Satsuma, qui, même après avoir envahi l’archipel des Ryûkyû en 1609, a eu pour principe de ne pas intervenir dans les affaires intérieures du royaume. Sous ce régime, le royaume a conclu en 1854 un traité d’amitié avec les États-Unis. Ce qui revient à dire que les Ryûkyû étaient alors traités comme un pays souverain dans le droit international coutumier.

Le Japon a ensuite annexé les Ryûkyû par la force en assiégeant le château de Shuri. Il y a eu ensuite diverses formes de résistance, comme le mouvement pour sauver les Ryûkyû (appelé encore mouvement de retour à l’indépendance), des demandes d’assistance faites à la Chine des Qing par des nobles du royaume des Ryûkyû, ainsi que des demandes d’aides formulées auprès des ambassades de chaque pays. Le Japon de Meiji réprima drastiquement ces mouvements et certains nobles se réfugièrent en Chine ou plus tard à Hawaï. Pour finir, l’ancienne classe dominante du royaume qui continuait à résister étant abolie, Okinawa fut contrainte d’accepter l’assimilation au Japon.

« Cette annexion sous la contrainte du royaume des Ryûkyû, alors reconnu comme nation souveraine, était injustifiable du point de vue du droit international. » « Les habitants des Ryûkyû (d’Okinawa) n’ont jamais transféré volontairement au Japon leur droit à l’autodétermination. » Telles sont les bases des revendications actuelles. Ce sont aussi ces deux arguments qui ont conduit à la formation de l’Association pour des études approfondies en vue de l’indépendance des Lew Chuans, dont nous reparlerons.

Suite > Le modèle du « Claim of Rights » écossais

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Shimabukuro JunArticles de l'auteur

Professeur à l’Université des Ryûkyû, né en 1961 dans la ville de Naha. Spécialiste des collectivités régionales et des systèmes administratifs, il a fait ses études à l’Université Waseda où il a obtenu son doctorat en sciences politiques. Il enseigne depuis 1993 à l’Université des Ryûkyû dont il est professeur depuis 2007. Il a créé en 2002 le centre de recherches sur l’autonomie pour Okinawa, auquel participent des fonctionnaires territoriaux et des citoyens. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur Okinawa, dont Okinawa shinkô taisei wo tou (Questions sur le système de promotion d’Okinawa) publié en 2013 aux éditions Hôritsu bunkasha.

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