La reconstruction après le séisme : le bilan de quatre années
Onagawa : la vie reprend, quatre ans après le tsunami
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La nouvelle gare ferroviaire : un sérieux coup de pouce
« Bienvenue à Onagawa ». Quand je suis descendu du train à la gare d’Onagawa, au début du mois de juin 2015, j’ai été accueilli par ce chaleureux message inscrit sur une bannière bleue flambant neuve. Le bâtiment de deux étages à structure d’acier et panneaux de bois clair qui remplace l’ancienne gare détruite par le tsunami vient tout juste d’être inauguré. Situé 150 mètres plus loin à l’intérieur des terres que le précédent, il a été conçu par le célèbre architecte Ban Shigeru (voir interview Ban Shigeru : le rôle social de l’architecte). Outre la gare proprement dite, il abrite un centre communautaire et des bains publics. Le jour de mon arrivée, ce très bel édifice, dont le toit évoque un oiseau en train de prendre son envol, brillait dans la lumière chaude du soleil du mois de juin, au milieu de quelques constructions éparses. Des familles et des couples prenaient allègrement des photos-souvenirs avec leurs smartphones. Et une intense activité régnait dans les bains publics bien qu’on fût un jour de semaine et tôt dans la journée.
La gare d’Onagawa se trouve au terminus de la ligne Ishinomaki de la compagnie des chemins de fer de l’Est (JR East). La ligne a été entièrement remise en service depuis le 21 mars 2015, c’est-à-dire plus de quatre ans après l’effroyable tsunami qui a tout balayé sur son passage. Le port d’Onagawa est situé sur une étroite bande littorale, au pied de collines escarpées qui ont bloqué la progression de la vague géante. L’eau a ainsi atteint une hauteur de 20 mètres, bien supérieure à celle que l’on a observé ailleurs. Le tsunami a détruit tous les édifices du centre-ville, y compris la gare, et provoqué la mort ou la disparition de 827 personnes.
Il a fallu deux ans pour déblayer les débris laissés par la mer, avec l’aide de la préfecture et du gouvernement. Les travaux pour reconstruire le port et les routes, surélever le centre de la ville autour de la gare, et développer des zones résidentielles sur des terrains en hauteur progressent rapidement. C’est la quatrième fois que je me rends dans la ville depuis la catastrophe du 11 mars 2011. En comparaison du paysage de ruines et de dévastation que j’avais découvert lors de ma première visite, le changement est manifeste à la fois autour du port et à l’intérieur des terres. Il y a encore beaucoup d’emplacements vides mais l’aménagement de la place de la gare et d’une voie piétonnière a commencé. Et j’ai été frappé par le nombre de boutiques en cours de construction autour de la gare.
La reconstruction ne fait que commencer
Une semaine après l’inauguration de la gare, le « Centre de l’avenir » (Future Center) a ouvert ses portes non loin de là. Ce lieu, dont l’objectif est de faciliter les échanges entre les jeunes entrepreneurs, est géré par une ONG appelée Asu e no kibô (De l’espoir pour demain) qui encourage la création d’entreprises et organise des activités d’emploi- formation depuis deux ans. Outre la planification et le lancement du village de maisons mobiles El Faro, situé lui aussi dans la ville, Asu e no Kibô a contribué à la réalisation de différents projets dont un atelier et un café. Le responsable de cette ONG est Komatsu Yôsuke, 32 ans, originaire de Sendai, le chef-lieu de la préfecture de Miyagi. « À Onagawa, contrairement à Sendai qui est une grande ville, les liens communautaires sont très forts et les jeunes générations bénéficient de l’aide de leurs aînés. C’est quelque chose d’extrêmement réconfortant. »
D’après Komatsu Yôsuke, la réouverture de la ligne de chemin de fer a provoqué une augmentation du nombre des visiteurs et elle a donné un sursaut d’énergie nettement perceptible à la ville. Mais le responsable de l’ONG insiste aussi sur le fait que la reconstruction d’Onagawa dans laquelle les jeunes auront un rôle déterminant à jouer ne fait que commencer. « La prochaine étape sera décisive. Nous sommes prêts à soutenir des initiatives pour attirer toutes sortes de gens venus de l’extérieur, trouver des financements appropriés et permettre aux entreprises de se stabiliser. »
Après avoir visité la gare et ses environs, j’ai marché environ un quart d’heure en direction de la mer et je suis arrivé à l’agence locale de la Coopérative de pêche de la préfecture de Miyagi. C’est là que j’ai rencontré Itô Kazuyuki, un homme de 66 ans qui travaille depuis plus de 40 ans dans le secteur de l’aquaculture de coquilles Saint-Jacques, la spécialité d’Onagawa en matière de produits de la mer.
« J’ai l’impression que nous sommes en train de nous rétablir plus vite que les autres localités victimes du tsunami. Je pense que nous avons bien assuré compte tenu de l’ampleur des dégâts que nous avons subis. » Itô Kazuyuki avait l’air relativement paisible en prononçant ces mots. Pourtant, il a échappé de peu à la vague géante. Il a eu en effet tout juste le temps de quitter précipitamment son lieu de travail situé sur la côte, sauter dans un camion et aller se réfugier sur les hauteurs. Mais sa maison et les treize radeaux de son exploitation de coquilles Saint-Jacques ont été emportés par la mer. La vague géante a également provoqué la mort d’un grand nombre de ses amis et de ses parents, y compris la mère de son épouse dont le corps n’a pas été retrouvé.
« J’ai perdu la totalité de ma récolte du printemps, juste avant de l’expédier. C’était un coup vraiment très dur. Il a fallu tout nettoyer et puis recommencer à partir non pas de zéro mais de moins que zéro. »
Le renouveau de l’industrie de la pêche
Itô Kazuyuki a malgré tout réussi à reprendre rapidement son activité. Il a commencé par installer trois nouveaux radeaux pendant la période où il a habité dans un logement temporaire. Il a ensuite commandé des juvéniles en provenance d’Hokkaidô et cultivé à nouveau des coquilles Saint-Jacques. Son exploitation compte à présent dix radeaux. Grâce à des aides entre autres du gouvernement, il a remplacé son bateau. Cette année, le chiffre d’affaires de son entreprise s’est élevé à quelque dix millions de yens ( environ 73 000 euros), c’est-à-dire l’équivalent d’avant la catastrophe du 11 mars 2011. Et à la fin de l’année 2014, l’aquaculteur a vu se réaliser le souhait qui lui tenait tant à cœur de reconstruire sa maison sur un terrain en hauteur.
Le visage d’Itô Kazuyuki est devenu plus grave quand il a ajouté : « Les blessures du cœur sont toujours là. Beaucoup de mes camarades ont arrêté la pêche après la catastrophe. Mais en ce qui me concerne, je ne pouvais pas abandonner l’aquaculture comme ça, après toutes ces années. Je voulais absolument continuer. Et maintenant, je vois enfin le bout du tunnel. »
Avant le tsunami de 2011, l’activité économique d’Onagawa était essentiellement centrée autour de la pêche et de la transformation des produits de la mer. L’industrie de la pêche a connu une reprise particulièrement spectaculaire. Outre les coquilles Saint-Jacques, l’aquaculture des spécialités locales – saumon argenté, huitres, hoya (ascidie crustiforme) – a recommencé assez rapidement. Et la pêche aux sanma (scombresoces) et autres espèces locales a repris presque normalement. D’après des données fournies par la Coopérative de pêche et la municipalité, le chiffre d’affaires total pour l’année fiscale qui vient de s’écouler (avril 2014-mars 2015) a été de 5,5 milliards de yens (environ 40 millions d’euros) un chiffre légèrement supérieur à celui de l’année qui a précédé la catastrophe (5 milliards de yens). Et ce bien que le nombre des habitants de la ville travaillant dans le secteur de la pêche soit passé de 570 à 410 depuis le 11 mars 2011.
Onagawa est plus proche de Sendai, la ville la plus peuplée de la préfecture, et des mareyeurs du grand port d’Ishinomaki qu’aucun autre port de pêche de la côte nord du Sanriku. Cet avantage lui a permis de retrouver plus rapidement sa clientèle.
Toutefois, l’augmentation du chiffre d’affaires du secteur de la pêche s’explique essentiellement par la montée des prix que l’on observe depuis quelques années. Les quantités de poisson pêché sont inférieures de 20 % à celles enregistrées avant le 11 mars 2011 et le problème urgent qui se pose à l’heure actuelle est de trouver le moyen d’augmenter la production tout en restant au même niveau de prix. En effet, l’autre industrie importante de la ville, à savoir la transformation des produits de la mer, est étroitement tributaire des quantités pêchées.
Je me suis entretenu avec Ishimori Yôetsu, le vice-président de la Coopérative des mareyeurs d’Onagawa qui regroupe les acheteurs de produits de la mer pour l’industrie de transformation. « Nous nous sommes efforcés d’appliquer une convention tacite, celle de faire des offres les plus élevées possibles, de façon à contribuer au rétablissement de la ville dans un esprit de coopération mutuelle de tous ses habitants. Mais les quantités pêchées ne sont pas encore revenues à leur niveau d’avant la catastrophe. Et les usines de transformation des produits de la mer situées autour du port n’ont recommencé à fonctionner que cette année. Il n’y a donc aucune raison de se montrer optimiste », m’a-t-il confié.
Les capitaux du Qatar : une manne providentielle
Les choses n’en ont pas moins commencé à bouger dans le domaine de la pêche, du marché du poisson et de l’industrie de transformation des produits de la mer. L’usine de pointe multifonctionnelle de transformation des produits de la mer Maskar a joué un rôle capital à cet égard, depuis qu’elle a ouvert ses portes en octobre 2012. Sa construction, dont le coût s’est élevé à 2 milliards de yens (environ 15 millions d'euros), a été financée par un programme d’aide adopté par le Qatar Friendship Fund (QFF) à la suite de la catastrophe de 2011. L’usine Maskar a été conçue pour résister même à un tsunami de l’ampleur de ceux qui frappent la région une fois par siècle. Le rez-de-chaussée est affecté à la manutention du fret et le premier étage à des installations frigorifiques pouvant contenir jusqu’à six mille tonnes de marchandises. Le second étage est hors d’atteinte des tsunamis et il sert de centre d’évacuation d’urgence. L’usine Maskar, qui est gérée par la Coopérative des mareyeurs d’Onagawa, est utilisée conjointement par des entreprises spécialisées dans l’industrie de transformation.
« Depuis l’automne 2014, nous avons fait le plein, grâce à une série de livraisons de scombresoces, maquereaux, saumons et autres bonites », raconte Ishimori Yôetsu, soudain plus détendu. « L’usine Maskar est devenue le symbole du retour à la vie de la ville, au même titre que la gare. Les gens d’Onagawa sont d’un naturel plutôt indépendant. Ils gardent une immense tristesse au fond de leur cœur mais en même temps, ils veulent que ce type de symbole serve aussi de support à la reconstruction de la ville. Et les choses sont en train de prendre forme, petit à petit. »
Avant le tsunami du 11 mars 2011, la ville disposait d’installations frigorifiques d’une capacité totale de cinquante trois mille tonnes, soit neuf fois plus que l’usine Maskar. Pour compenser cette perte, la Coopérative des mareyeurs d’Onagawa est en train de construire de nouvelles installations dans les environs.
Des retards dans l’aménagement des terrains à bâtir
Depuis le tsunami de 2011, la population d’Onagawa a diminué de façon dramatique. Outre les huit cent vingt-sept personnes décédées ou portées disparues, beaucoup de personnes ont été contraintes de quitter la ville. Le nombre d’habitants est passé de dix mille à sept mille et il est encore en train de diminuer. En raison de retards dans l’aménagement des terrains à bâtir et de la construction de logements sociaux subventionnés destinés aux victimes de la catastrophe, plus de deux mille cent personnes se sont retrouvées dans des installations temporaires mises en places après le séisme du 11 mars 2011. Et celles-ci sont encore occupées à 80 % de leur capacité. Jusqu’à présent, à peine 25 % des mille logements sociaux prévus ont été construits. Lors de ma précédente visite en 2013, Suda Yoshiaki, le maire d’Onagawa, m’avait dit qu’il faudrait cinq à six ans pour mener à bien la construction des logements sociaux. Mais cette fois, il m’a expliqué que l’aménagement des terrains avait plus de trois mois de retard et comment la ville s’y prenait pour remédier à cette situation.
« Nous sommes d’abord tombés sur un soubassement de roche compacte qui n’avait pas été repéré lors des sondages préliminaires. Ensuite, il nous a fallu du temps pour racheter les terrains concernés à leurs multiples propriétaires. Nous avons dû aussi faire face à des problèmes d’inondation provoqués par un affaissement de subsidence. Pour éviter de prendre encore du retard, nous envisageons de réduire le temps des travaux en reconsidérant les méthodes employées et en cherchant à en trouver de nouvelles. Onagawa est, paraît-il, la première des villes victimes du tsunami à avoir eu recours au dynamitage pour traverser les couches rocheuses. Quoi qu’il en soit, cette technique nous a permis d’aller vraiment beaucoup plus vite qu’avec les engins de chantier. »
La réouverture du port est une étape cruciale dans la remise sur pied de l’industrie de la pêche à Onagawa. Les quais et les installations portuaires devraient être achevés d’ici la fin de l’année fiscale en cours (avril 2015-mars 2016). Le port sera alors en mesure de fonctionner. « Le redémarrage de l’industrie de transformation des produits de la mer pêchés dans les environs jouera alors un rôle-clé », explique Suda Yoshiaki. « Nous avons prévu d’achever d’ici deux ans l’aménagement des terrains destinés à la reconstruction d’usines et qui devraient aussi nous permettre d’étendre nos activités.
Onagawa est en train de se doter de nouvelles infrastructures de base. La population et les entreprises commencent à revivre. Le chemin qui les attend est semé d’embûches, mais les autorités locales, les habitants de la ville et des gens venus d’ailleurs continuent à aller de l’avant en conjuguant de plus en plus leurs efforts.
(D’après un texte en japonais du 18 juin 2015. Photographies de l’auteur. Photographie de titre : la nouvelle gare d’Onagawa inaugurée quatre ans après que la précédente eut été emportée par le tsunami du 11 mars 2011.)▼A lire aussi :
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