Les sept décennies de l’après-guerre au Japon

Pour en finir avec l’interminable période de l’après-guerre : l’avenir des jeunes Japonais en question

Société

Furuichi Noritoshi [Profil]

Les jeunes Japonais se sentent heureux dans la société fondée sur la paix et l’opulence où ils vivent. Et ce, en dépit – ou à cause – de l’avenir incertain qui les attend. Dans les lignes qui suivent, le sociologue Furuichi Noritoshi analyse la politique qui, depuis les années 1990, a consisté à maintenir artificiellement l’économie japonaise dans le sillage de l’après-guerre au lieu de l’adapter aux réalités du moment.

Les années 1990 : l’occasion manquée de tourner la page

Pour assurer l’avenir du Japon et de sa jeunesse, nous devons une fois pour toutes en finir avec la période de l’« après-guerre ». La politique suivie par les autorités depuis les années 1990 a eu pour effet de prolonger une époque qui aurait dû être considérée comme terminée et de favoriser l’apparition de déséquilibres et de distorsions qui menacent l’avenir de la société japonaise.

Du point de vue économique, la période de l’après-guerre aurait dû logiquement prendre fin dans les années 1990, quand l’expansion économique rapide de l’Archipel – dont l’apogée se situe entre les années 1960 et le début des années 1970 – s’est arrêtée. Le ralentissement de l’économie a été indéniablement provoqué par l’éclatement de la bulle économique des années 1980 mais certains facteurs structurels, en particulier le vieillissement rapide de la population ont eux aussi contribué au fléchissement de la croissance.

La haute croissance économique du Japon après la guerre a été grandement facilitée par l’arrivée sur le marché d’une profusion de jeunes travailleurs consécutive à l’explosion de la natalité des années 1947-1949. Mais dans les années 1990, la génération du baby boom avait déjà commencé à prendre de l’âge, ce qui a accéléré le vieillissement de la population japonaise et entrainé d’importants surcoûts en termes de sécurité sociale.

Les années 1990 ont également coïncidé avec la fin d’une époque dans le reste du monde. La guerre froide qui a marqué la période de l’après-guerre est arrivée à son terme avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. On s’accorde en général à reconnaître que cette « guerre » a contribué, à bien des égards, au développement économique du Japon où l’industrie manufacturière et les exportations ont joué un rôle prépondérant. À l’époque, la Chine communiste n’occupait pas  une grande place sur les marchés. La Corée du Sud et les pays non-communistes de l’Asie du Sud-Est étaient encore dirigés par des dictateurs pro-américains et, de ce fait, ils n’avaient pas la stabilité politique et le niveau d’éducation qui leur auraient permis de concurrencer le Japon en tant qu’« usine du monde ». Mais à l’issue de la guerre froide, l’Archipel a perdu la position qui était la sienne face à la Chine et aux pays émergents de l’Asie du Sud-Est. Ce changement a sonné le glas de la société industrielle stable du Japon de l’après-guerre et l’aube d’une économie post-industrielle fondée sur les services.

Un prolongement artificiel de la période de l’après-guerre

Malheureusement, le Japon n’a pas réagi de façon appropriée aux mutations du monde des années 1990. Il n’a pas su mettre en œuvre une véritable politique pour lutter contre la baisse du taux de fécondité dans l’Archipel. Il tarde encore à prendre les mesures nécessaires pour assurer une protection sociale et une retraite aux travailleurs en activité. À l’heure actuelle, les jeunes Japonais se disent satisfaits de leur mode de vie, mais peu d’entre eux jouissent d’une situation financière suffisamment stable pour fonder une famille.

Le taux de fécondité des Japonaises a légèrement augmenté depuis quelques années – environ 1,4 enfant par femme. Mais ce chiffre risque fort de diminuer tôt ou tard, parce que les femmes dont les parents faisaient partie de la génération du baby boom ne seront bientôt plus en âge d’enfanter. Le Japon aurait dû prendre des mesures efficaces pour freiner la baisse du taux de fécondité et limiter le vieillissement de sa population. Il aurait pu réagir de multiples façons, par exemple en mettant en place un dispositif de sécurité gouvernemental pour les travailleurs avant de supprimer la garantie de l’emploi traditionnellement assurée par les entreprises de l’Archipel. Mais il n’en a pas moins continué, tout au long des années 1990, à rester fidèle au modèle de l’après-guerre en jouant notamment sur des mécanismes de croissance obsolètes comme les dépenses de travaux publics.

C’est ainsi que la société japonaise a continué à fonctionner jusqu’à aujourd’hui comme un prolongement étrange de l’après-guerre. Les réformes entreprises sans tenir compte des changements des années 1990 ne peuvent avoir, au bout du compte, qu’une action superficielle et momentanée. Il va de soi que notre société fondée sur la paix et la prospérité ne pourra pas durer indéfiniment. Quand le Japon va-t-il se décider à mettre une fois pour toutes un terme à la période de l’après guerre ?

(D’après un article en japonais du 13 janvier 2015. Photo de titre : la rue Takeshita dôri du quartier de Harajuku, à Tokyo, est le point de ralliement des jeunes fans de la mode japonaise. Jiji Press)

▼A lire aussi
Le modèle familial japonais en pleine mutation Les jeunes Japonais favorables au retour des femmes au foyer Combien de temps le modèle familial japonais va-t-il encore tenir ?

Tags

histoire dette sondage guerre vieillissement croissance paix Showa anniversaire sociologie jeune

Furuichi NoritoshiArticles de l'auteur

Sociologue né à Tokyo en 1985. Doctorant de l’Institut des arts et des sciences de l’Université de Tokyo. Chercheur invité à l’Institut de recherches de l’Université Keiô à Fujisawa (SFC). Membre de plusieurs commissions d’experts du gouvernement japonais, notamment le Conseil pour la promotion du mouvement Cool Japan. Auteur de divers ouvrages dont Zetsubô no kuni no kôfuku na wakamono tachi (Une jeunesse heureuse dans un pays désespéré) et Dare mo sensô o oshiete kurenakatta (Personne n’a pris la peine de nous parler de la guerre).

Autres articles de ce dossier