Les sept décennies de l’après-guerre au Japon

Pour en finir avec l’interminable période de l’après-guerre : l’avenir des jeunes Japonais en question

Société

Les jeunes Japonais se sentent heureux dans la société fondée sur la paix et l’opulence où ils vivent. Et ce, en dépit – ou à cause – de l’avenir incertain qui les attend. Dans les lignes qui suivent, le sociologue Furuichi Noritoshi analyse la politique qui, depuis les années 1990, a consisté à maintenir artificiellement l’économie japonaise dans le sillage de l’après-guerre au lieu de l’adapter aux réalités du moment.

Une jeunesse heureuse et satisfaite ?

Voyons maintenant ce qu’il en est des valeurs et du style de vie des jeunes Japonais qui sont nés et ont grandi dans un pays prospère et pacifique.
Comme je l’explique dans mon livre intitulé Zetsubô no kuni no kôfuku na wakamono tachi (Une jeunesse heureuse dans un pays désespéré), les jeunes Japonais n’ont jamais affiché un degré de bonheur et de satisfaction aussi élevé qu’aujourd’hui. Les résultats d’un sondage sur la vie quotidienne effectué en 2014 par le Bureau du Cabinet du gouvernement japonais montrent que 79,1 % des jeunes de 20 à 29 ans se sont déclarés satisfaits de leurs conditions de vie. C’est le taux de satisfaction le plus fort jamais enregistré pour cette tranche d’âge dans le cadre de ce sondage depuis 1967, date à laquelle il a commencé. Un chiffre nettement plus élevé que ceux enregistrés durant la période de haute croissance économique de la fin des années 1960 et du début des années 1970.

Cette tendance est encore plus flagrante dans la tranche d’âge de 10 à 19 ans. L’enquête sur la vie et les comportements des collégiens et des lycéens japonais menée en 2012 par l’Institut de recherches culturelles sur la radiotélévision de la NHK a révélé que 90 % des jeunes interrogés avaient répondu par l’affirmative à la question  « Considérez-vous que vous êtes heureux à l’heure actuelle ? »
94 % des collégiens ont dit qu’ils étaient « heureux » et 55 % d’entre eux qu’ils étaient « très heureux ». Cette enquête effectuée de façon régulière depuis 1982 montre par ailleurs que la proportion des élèves de l’enseignement secondaire qui se déclarent « très heureux » de leur sort n’a jamais cessé d’augmenter.

Mais ces résultats peuvent donner lieu à une toute autre interprétation, beaucoup plus négative. On est en effet en droit de se demander si les jeunes Japonais ne se sentent pas obligés de se considérer comme satisfaits par le présent parce qu’ils n’ont aucun espoir d’un avenir meilleur. D’autant plus que le degré de satisfaction tend également à être relativement élevé chez les personnes âgées dont le futur est censé être lui aussi limité. Quoi qu’il en soit, un sentiment aussi développé de bien-être n’est pas concevable sans un niveau relativement élevé de prospérité économique.

Une génération victime des déséquilibres de la société

Une des raisons pour lesquelles un si grand nombre de Japonais continuent à jouir d’un niveau de vie élevé en dépit de la période de stagnation économique où le pays est plongé depuis les années 1990, c’est que la déflation et la concurrence féroce qui règne sur les marchés ont permis à la population de bien vivre avec moins d’argent. Même si le coût de la vie a légèrement augmenté depuis un ou deux ans, il est encore possible de s’offrir un repas chaud à Tokyo pour seulement 300 à 400 yens (2,33 à 3,11 euros).

Le taux de satisfaction particulièrement élevé des jeunes Japonais s’explique aussi par la diffusion massive des technologies de l’information (IT). À l’heure actuelle, il suffit de disposer d’un smartphone et d’une connection à Internet pour occuper agréablement ses loisirs. Kawakami Nobuo, un célèbre entrepreneur du secteur IT, explique qu’au Japon, la culture Internet a été créée par des himajin, c’est-à dire « des gens qui ont du temps ». La toile est en effet pleine de contenus réalisés par des himajin. Et la quasi totalité des jeunes « qui ont du temps » peuvent devenir des créateurs de contenu sur Internet.
Dans ces conditions, les jeunes Japonais – y compris ceux qui gagnent moins de 1000 yens (7,81 euros) de l’heure – sont en mesure de mener une existence relativement plaisante. Leur niveau de vie est incontestablement plus élevé que celui des générations précédentes au même âge. Mais cela ne veut pas dire pour autant que les conditions de travail soient idéales. Le sociologue Yamada Masahiro a d’ailleurs défini le Japon comme le paradis des consommateurs et l’enfer des travailleurs.

Les jeunes Japonais risquent malheureusement d’avoir une vie beaucoup moins facile d’ici quelques temps. L’Archipel est en effet en train d’accumuler des problèmes qui vont peser sur son avenir. Baisse de la natalité dans une société vieillissante avec accroissement des disparités entre les générations en termes de protection sociale. Dette publique la plus élevée de tous les pays développés. Démantèlement de la centrale nucléaire de Fukushima. La liste est longue… Sans compter que les jeunes vont eux aussi forcément vieillir.

Suite > Les années 1990 : l’occasion manquée de tourner la page

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