Les sept décennies de l’après-guerre au Japon

Japon, Corée du Sud : le moment est venu de construire une nouvelle relation

Politique

Kimura Kan [Profil]

L’année 2015 marque non seulement le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi le 50e anniversaire de la normalisation des liens du Japon avec la Corée du Sud. Au cours du demi siècle qui s’est écoulé depuis 1965, les relations internationales ont été le théâtre de grands changements et l’ancien schéma bilatéral n’est plus vraiment pertinent. Le spécialiste de la Corée Kimura Kan passe en revue les problèmes qui affectent la relation bilatérale et propose quelques idées pour y remédier.

Les relations nippo-sud-coréennes vues comme un microcosme de la politique mondiale

Depuis la normalisation des liens en 1965, les relations entre le Japon et la Corée du Sud se situent tout naturellement dans le même contexte de changement mondial. En fait, la relation bilatérale peut être vue comme un microcosme de la dynamique globale des relations internationales à l’œuvre au cours du demi siècle passé, microcosme axé d’une part sur le Japon, dernière puissance impérialiste dans les années qui ont précédé la seconde guerre mondiale, et de l’autre sur la Corée du Sud, meneur du peloton des économies nouvellement industrialisées (ENI), dont la montée en puissance date des années 1980. Ce constat semblera plus clair si l’on compare les positions relatives des deux pays en 1965 et aujourd’hui.

Le Japon de 1965 avait non seulement hébergé les Jeux olympiques l’année précédente, devenant ainsi le premier pays non occidental à remplir ce rôle, mais encore fait son entrée dans les rangs de l’Organisation de coopération et de développement économiques, le club bien connu des riches pays industriels. Les trains à grande vitesse desservaient déjà la ligne Tokyo-Osaka et l’économie s’envolait, avec un taux de croissance nominale nettement supérieur à 10 % par an. Trois ans plus tard, en 1968, le Japon dépassait l’Allemagne de l’Ouest en termes de produit intérieur brut, accédant par la même occasion au rang de deuxième puissance économique mondiale. Sur le front politique, le Parti libéral-démocrate, poussé par le vent de la croissance économique, avait construit une solide majorité à la Diète et s’apprêtait à instaurer son emprise à long terme sur le pouvoir.

En Corée du Sud, dans le même temps, et bien que 12 années se fussent écoulées depuis la fin de la guerre de Corée, les temps restaient durs à bien des égards. Le PIB par habitant atteignait à peine 100 dollars en 1965, soit un septième environ du niveau enregistré au Japon. Plus grave encore était l’état de la balance commerciale. Le montant total des exportations cette année-là, établi à 175 millions de dollars, restait loin derrière le chiffre de 463 millions enregistré pour les importations, et la Corée du Sud était tributaire de l’aide étrangère pour couvrir son gigantesque déficit commercial.

Dans le domaine militaire, la Corée du Nord affichait une puissance nettement supérieure à celle du Sud, bien que la Chine se fût retirée de la péninsule. Et les États-Unis, l’allié dont la Corée du Sud était tributaire pour sa sécurité, se détournaient d’elle pour concentrer leur attention sur le Vietnam, où la guerre était en pleine escalade. Park Chung-hee, le président sud-coréen arrivé au pouvoir grâce au coup d’État de 1961, ne bénéficiait pas d’un grand soutien populaire, comme en témoigne la marge étroite – 1,5 % des voix – de sa victoire sur le candidat de l’opposition lors de l’élection présidentielle de 1963. Bref, l’instabilité régnait aussi sur la scène politique.

Le traité de base qui a normalisé les liens entre Tokyo et Séoul en 1965 était un produit de la relation bilatérale en vigueur à l’époque, laquelle relation était de nature verticale. Les États-Unis, confrontés au fardeau de l’escalade du conflit au Vietnam, rognaient sur leur assistance à la Corée du Sud, et Séoul se trouvait dans l’obligation urgente de trouver une source de devises étrangères pour compenser ce manque à gagner. C’est ce qui a incité le gouvernement de Park Chung-hee à abandonner la ligne dure adoptée vis-à-vis de Tokyo et à faire d’amples concessions à la partie japonaise. Lors des négociations qui ont conduit à la conclusion du traité de base, la Corée du Sud a cédé du terrain non seulement sur le montant de devises étrangères apporté par le Japon, mais encore sur la dénomination de ces fonds, qu’elle a accepté de recevoir, non plus comme un dédommagement payé par le Japon pour sa tutelle coloniale, mais au titre de la « coopération économique ».

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Kimura KanArticles de l'auteur

Professeur à l’Université de Kobe ; président du Forum Pan-Pacifique. Titulaire d’un doctorat de droit de l’Université de Kyoto. A été expert invité à l’Université Harvard, à l’Université de Corée et à l’Institut Sejong. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Kankoku ni okeru « ken'ishugiteki » taisei no seiritsu (La mise en place du système autoritaire sud-coréen), qui a reçu le Prix Suntory pour les sciences sociales et humaines.

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