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Les enfants de Sailor Moon, ou l’évolution de la « Magical Girl »

Culture

Les « Magical Girls », du type Sailor Moon ou Pretty Cure, sont le résultat d’un processus évolutif spécifiquement japonais à partir d’un modèle idéal-typique emprunté à la « sorcière » occidentale moderne. Ce qui se montre dans cette évolution, c’est la lutte menée par les fillettes japonaises sur le terrain du genre.

Depuis les années 2000 : l’époque de « l’égalité des sexes »

Little Witch Academia met en scène les aventures d’une héroïne nommée Akko et de ses amies, au sein d’une prestigieuse école européenne de sorcières. Après la mise en ligne d’une version sous-titrée en anglais sur YouTube, la réaction mondiale fut telle qu’un financement par crowdfunding fut lancé pour la production d’un long métrage à venir. © Y.YOSHINARI / TRIGGER

Suite au succès de Sailor Moon, la Magical Girl combattante à métamorphose est passée de sous-genre à genre à part entière, et de nombreuses séries ou parodies correspondant à ce concept sont sorties. Par exemple, Pretty Cure (appelée aussi PreCure) a fêté son 10e anniversaire en octobre 2014 et ses deux héroïnes de 2e année de collège poursuivent la lutte. D’autres séries ont trouvé une diffusion sur les créneaux nocturnes, comme Magical Girl Lyrical Nanoha (2004-2007), Magical Girl Madoka Magica (2011), Day Break Illusion (2013) ou Fate/kaleid liner Prisma Illya (2013). Des évolutions de la Magical Girl qui étaient difficiles à faire passer en série pour les enfants aux heures grand public, comme les comédies absurdes déjantées ou des thématiques qui abordent le sujet de la mort trouvent maintenant à s’exprimer par ce format.

Citons aussi Tweeny Witches (2003-04) ou Little Witch Academia, diffusé sur la plateforme Anime Mirai 2013 et qui a connu un énorme succès mondial grâce à l’Internet. Dans ces séries, l’évolution du concept de départ va jusqu’au point où ce sont de petites filles humaines qui réussissent à communiquer aux sorcières du monde magique en déshérence la valeur du rêve et un message d’espoir.

Différence avec l’image des héroïnes occidentales

Un bref regard sur les histoires des séries de type Magical Girl nous a montré que toutes, grâce aux pouvoirs que donne la magie, permettent à des fillettes d’âge scolaire, du primaire au secondaire, de grandir, malgré quelques différences superficielles, qui vont de la résolution de petits problèmes quotidiens au destin de la planète et de l’humanité toute entière. Bien entendu, le concept de la Magical Girl existe aussi en Occident, où sont également produits des séries télé avec des héroïnes de type Sally, comme Sabrina, l’apprentie sorcière, ou d’autres de type Sailor Moon, comme Buffy contre les vampires, et même des dessins animés comme W.I.T.C.H. (pour celui-ci, l’influence de Sailor Moon semble d’ailleurs plus directe) etc.

Toutefois, nous pouvons remarquer une différence : dans le passé, quand une jeune fille possédait des pouvoirs magiques ou paranormaux dans une œuvre de fiction occidentale, la symbolique y était souvent négative et attachée à l’instabilité de la puberté (c’est le cas dans des films comme L’Exorciste ou Carrie, etc.). Pour mettre en scène une femme puissante, en Occident on utilisera plutôt une femme adulte qu’une fillette. C’est le cas des héroïnes de films comme Wonder Woman, Xena, la guerrière ou Lara Croft : Tomb Raider, qui vient du jeu vidéo. En tant que femmes adultes, en même temps que leur est donnée une force de type masculine, elles n’échappent pas à leur destin de se voir attribuer un physique sexuellement atractif.

D’autre part, le thème de la maternité, fréquente au Japon depuis Sailor Moon, n’existe pour ainsi dire pas dans les séries télé et dessins animés européens ou américains. Le fait que la jeune héroïne devienne mère est une sorte de tabou, alors que dans l’anime japonais, le fait d’être mignonne, de s’occuper des enfants (de leur donner des soins « féminins ») est associé à la puissance acquise. La division traditionnelle des rôles sexuels est confortée et donc la montée en puissance des femmes ne constitue pas une menace pour les hommes.

Désir d’être une princesse et résistance au schéma hétérosexuel

Ainsi, si le dessin animé japonais s’est développé sur la base de l’image de la sorcière moderne occidentale, il a donné naissance à une représentation de la fillette très différente de la fillette occidentale, par l’expression de caractères hybrides hétérogènes, la recherche de la « beauté mignonne », la puissance, la maternité. Et inversement, le succès des héroïnes de type Sailor Moon en Europe et aux États-Unis est peut-être en train de servir de point de départ pour un nouveau travail de création vers un nouveau type de Magical Girl.

Happiness Charge PreCure!, 11e titre de la série Pretty Cure, qui a fêté son 10e anniversaire en 2014. Le 12e titre Go! Princess PreCure est en cours de diffusion. © ABC/Toei Animation

Quelle pourrait être la destination finale du dessin animé de type Magical Girl ? La nostalgie est l’une des possibilités. On le voit déjà sur Happiness Charge PreCure!, se rêver en princesse peut accompagner un désir de retourner à l’âge où l’on était la seule princesse spéciale, plutôt que de rechercher à être positivement mignonne.

Une autre direction possible, comme on le voit dans Magical Girl Madoka Magica, pourrait être la fraternité féminine, par la conjonction avec la lutte des femmes en rupture du modèle hétérosexuel hégémonique, vers l’opposition à la norme. Remarquons d’ailleurs (même s’il ne s’agit encore que d’une série parodique), que le personnage du garçon qui se transforme en Magical Girl est récemment apparu.

De fait, l’anime de genre Magical Girl est aujourd’hui un lieu privilégié pour observer la lutte des jeunes filles japonaises sur le terrain du genre.

(D’après un original en japonais du 5 janvier 2015. Image de titre : Little Witch Academia ©Y. YOSHINARI/TRIGGER)

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