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Les enfants de Sailor Moon, ou l’évolution de la « Magical Girl »

Culture

Sugawa Akiko [Profil]

Les « Magical Girls », du type Sailor Moon ou Pretty Cure, sont le résultat d’un processus évolutif spécifiquement japonais à partir d’un modèle idéal-typique emprunté à la « sorcière » occidentale moderne. Ce qui se montre dans cette évolution, c’est la lutte menée par les fillettes japonaises sur le terrain du genre.

Les années 1980 : les filles à « l’ère des femmes »

Ces séries de Magical Girl étaient essentiellement le fait des studios de la Tôei Dôga (devenus depuis Tôei Animation). Dans les années 1980, d’autres studios s’y essaient et réussissent à capter des téléspectateurs masculins. C’est le cas en particulier pour les séries Magical Princess Gigi (1982), puis de Creamy, merveilleuse Creamy (1983-84). Gigi est du type Sally, alors que Yû, l’héroïne de Creamy, merveilleuse Creamy, appartient au type Akko. Toutefois, elle possèdent toutes les deux un point commun, à savoir leur volonté que la magie les aide à développer leur Moi adulte.

L’héroïne de Magical Princess Gigi (Momo dans la version originale), est la princesse de la planète Fenarinasa venue sur Terre pour apporter rêve et espoir aux humains. Mais pour résoudre les questions qu’il n’est pas possible de résoudre quand on est enfant, elle choisit de devenir adulte. À la fin, ayant perdu ses pouvoirs magiques, elle meurt dans un accident de la circulation (plus exactement, elle se réveille comme une humaine normale, ce qu’elle a vécu jusque là devenant un rêve qu’elle a fait avant de se réveiller).

Yû, l’héroïne de Creamy, merveilleuse Creamy, a 9 ans quand elle obtient des pouvoirs magiques pour un délai d’un an. Elle se transforme en adulte, et à ce titre se voit proposer une carrière de chanteuse, sous le nom de Creamy (Mami dans la V.O.). En outre, quand son ami d’enfance, Toshio, tombe amoureux de Creamy, elle fait l’étrange expérience d’une relation triangulaire avec son Moi transformé. Tant qu’elle peut faire l’aller-retour entre son personnage de chanteuse idole et sa nature réelle de petite écolière, elle pense que c’est en tant que Creamy qu’elle est vraiment elle-même, mais quand finalement ses pouvoirs magiques arrivent à expiration, elle se reconnaît véritablement en tant que Yû.

Devenir adulte et trouver son identité réelle… Pour les fillettes, si le monde des adultes est attrayant, cela ne signifie pas pour autant qu’elles ont envie de devenir adulte. Elles préféreraient pouvoir « s’essayer en adulte » de façon temporaire grâce à la magie, et ainsi gagner les moyens d’une auto-affirmation et d’expression de soi.

Les années 1980 furent ces années où des personnalités politiques d’envergure comme Doi Takako [première femme à diriger un parti politique représenté au Parlement, puis première femme présidente de la chambre basse du Parlement, NdT], ont réussi à obtenir un certain pouvoir, où la chanteuse Matsuda Seiko et le groupe de rock féminin Princess Princess occupaient les premières places de l’industrie du divertissement. On a appelé cette époque « l’ère des femmes ». La Loi d’opportunité égale de l’emploi fut promulguée en 1985, le discours autour des femmes était un discours encourageant. Pour les petites filles, dans l’espace transcendant des animes, les pouvoirs de la Magical Girl leur permettaient d’accéder au statut désirable de « grande sœur », de dépasser l’espace de leur vrai Soi et de s’affirmer dans celui de la « beauté » et de la « sexualité » et non plus de la simple mignonne petite fille.

Les années 1990 : l’ère du « Girl Power »

Au cours des années 1990, la Magical Girl a changé sa panoplie pour un costume beaucoup plus attirant, avec des accessoires de mode et des ustensiles comme un sceptre qui lui permettent de libérer l’énergie magique et combattre les ennemis. Cette image de la « Magical Girl combattante à métamorphose » se répandit dans le monde entier grâce à Sailor Moon (1992-96). Au début de l’histoire, Usagi, l’héroïne, est une Magical Girl de type Akko, mais passe au type Sally quand elle apprend qu’elle est en réalité la réincarnation de la princesse de la Lune. Outre cette double typologie Akko-Sally, Sailor Moon intégrait de nombreuses autres spécificités : des héroïnes multiples (Usagi fait partie d’une groupe de cinq Magical Girls), des métamorphoses par changement de costumes et « relooking », combats, et le thème de la maternité.

Quand Sailor Moon, série de Magical Girls en équipe inspirée plus ou moins du genre sentai, connaît un succès planétaire, c’était l’époque où des groupes de filles comme les Spice Girls atteignaient une immense popularité en chantant le Girl Power, en Europe comme aux États-Unis. Les Sailors ne comptent plus sur le pouvoir masculin (Tuxedo Mask, qui les aide dans les combats au début, disparaît peu à peu), en cela elles représentent très exactement le « Girl Power » japonais.

En outre, quand les combattantes Sailors passent leurs costumes marin, leur rouge à ongles et leurs accessoires, que leurs cheveux s’allongent, leur métamorphose leur donne une forme à l’évidence peu propice à un véritable combat. Contrairement aux transformations opérées par les groupes de combattants masculins de type Kamen Riders ou Super Sentai, qui se transforment pour devenir plus forts, la métamorphose des Magical Girls correspond avant tout à un renforcement en « beauté » et « sexualité ». L’expression de « beauté » et « sexualité » en termes de pouvoir et de force a supprimé la dichotomie mignon/fort, ce qui correspondait à un changement de paradigme très novateur.

Remarquons en outre qu’il y a dans Sailor Moon accomplissement de l’amour hétérosexuel entre Usagi et Chiba Mamoru, et qu’avec Chibiusa et Chibi Chibi, la métaphore de la maternité, de l’éducation des enfants en tant que mère est également dépeint du côté des pouvoirs des combattantes Sailors. Ce facteur les sépare nettement de la Magical Girl occidentale, comme nous le verrons plus loin.

Suite > Depuis les années 2000 : l’époque de « l’égalité des sexes »

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Sugawa AkikoArticles de l'auteur

Professeur associée de l’Université nationale de Yokohama depuis 2014. Spécialisée en Médias (anime) et études de genre. Titulaire d’un Ph.D. de l’Université Warwick, Faculté Film et Télévision soutenu en avril 2012. Ouvrages principaux : La réception de l’héroïne magicienne par les jeunes filles (NTT Publishing, 2013), Animation japonaise : perspectives pour l’Asie orientale (University Press of Mississippi, 2013).

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