Le manga et l'anime deviennent des marques

Les limites de Naruto : de quoi le « soft power » est-il réellement capable ?

Culture

David Leheny [Profil]

Le concept de « Soft Power » est perçu au Japon comme un moyen de projeter une influence nationale sur la scène mondiale, et comme tel fait l’objet d’une grande attention. Mais le Soft Power impacte-t-il réellement les nations dans le sens que les leaders imaginent ? Le politologue David Leheny fait valoir qu’au bout du compte, seules les formes diffuses du Soft Power ont un effet au niveau populaire.

Camoufler le « hard power »

Malgré les importantes contributions du professeur Nye aux sciences politiques, le soft power est un concept que très peu de politologues prennent réellement au sérieux, et qu’aucun n’a jamais réussi à mesurer ou évaluer de façon sérieuse. Mais il est un article de foi parmi les promoteurs de l’idée du soft power – Journalistes, membres de think tanks, diplomates – selon lequel les Valeurs de l’Amérique (et, partant, du Japon, de la Chine, de la Corée ou de n’importe quel autre pays) seraient en elles-mêmes suffisamment persuasives auprès des publics étrangers que leurs gouvernements parviendraient à réussir des choses qu’il n’auraient jamais pu faire par aucun autre moyen.

Mais où est la preuve ? Malgré la portée extraordinaire de la culture américaine dans le monde – du cinéma au blue-jeans – et le nombre d’étudiants internationaux dans les universités américaines, le président George W. Bush a connu de sérieuses difficultés pour persuader la plupart des publics de la nécessité d’une guerre en Irak. C’est bien plutôt le hard power qui a semblé motiver la participation de la plupart des pays, à savoir la crainte des conséquences en cas de non-conformité avec les souhaits américains parfaitement clairs. On peut également remarquer que malgré l’influence tant vantée de la culture populaire japonaise aux États-Unis, aucun mouvement pour suivre les efforts déployés par les politiciens et les écrivains conservateurs japonais sur les questions largement documentées des atrocités de la guerre, le massacre de Nankin ou le système des « femmes de réconfort », n’a été relevé parmi le public et les politiciens américains.

Présidents et Premiers ministres aimeraient certainement que la visibilité mondiale de La Reine des neiges ou de Pokémon encourage les auditoires étrangers à accorder le bénéfice du doute à leurs objectifs les plus controversés – ceux pour lesquels ils ont vraiment besoin du pouvoir de persuasion supposé de leur soft power. Mais il n’a jamais été démontré que la politique fonctionnait ainsi, et c’est bien pour cela que la plupart des politologues sont si réticents sur le sujet.

Suite > Le besoin de légitimité

Tags

Cool Japan soft power Naruto

David LehenyArticles de l'auteur

Politologue et professeur d’Études Est-Asiatiques à l’Université de Princeton, spécialiste de la politique japonaise. A également enseigné à l’Université du Wisconsin-Madison et a été un associé de recherche à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Tokyo. Auteur de The Rules of Play: National Identity and the Shaping of Japanese Leisure (Les règles du jeu : Identité nationale et Construction des Loisirs japonais, 2003) et Think Global, Fear Local: Sex, Violence, and Anxiety(Pensée Globale, Peur locale : Sexe, Violence et Angoisse, 2006).

Autres articles de ce dossier