Le renouveau régional au Japon
Déclin démographique : l’exemple de Hokkaidô
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Hokkaidô, une région à part
Le Japon, dans son ensemble, est confronté à un grave problème démographique en raison du vieillissement et du déclin de sa population. La situation est particulièrement critique dans l’île de Hokkaidô, située tout au nord du pays. Celle-ci correspond en effet à la moins peuplée des 47 préfectures que compte l’Archipel, abritant à peine 4 % de sa population alors qu’elle occupe 20 % de sa superficie totale. Dans cette grande île aux conditions climatiques rigoureuses, avec d’interminables hivers très froids ponctués d’abondantes chutes de neige, les communautés sont très dispersées et la densité de la population est la plus faible du pays (66 habitants par km2).
D’après les dernières prévisions de l’Institut national de recherches sur la démographie et la sécurité sociale, la population de Hokkaidô, qui était de 5,5 millions d’habitants en 2010, devrait diminuer de façon drastique d’ici 2040 où elle ne sera plus que de 4,2 millions. Le déclin démographique touchera l’ensemble des 141 municipalités de l’île dont 80 % risquent de perdre au moins 30 % de leur population. Qui plus est, 78 % d’entre elles font partie de la catégorie – définie par le Conseil politique du Japon (Japon Policy Council) – des agglomérations qui « pourraient disparaître » parce que le nombre des femmes âgées de 20 à 39 ans y aura baissé de 50 % d’ici 2040. Si Hokkaidô n’arrive pas en tête des régions du Japon où le risque de déclin démographique est le plus élevé, elle n’en figure pas moins dans le peloton de tête des préfectures menacées. Ce phénomène est particulièrement important dans les villes qui ont connu un développement fulgurant avec l’essor de l’industrie minière et de la pêche à partir de l’époque Meiji (1868-1912), et sont à présent sur le déclin.
Le développement de Hokkaidô, une affaire d’État
L’île de Hokkaidô se distingue du reste de l’Archipel non seulement par son climat et son peuplement, mais aussi par son histoire. Le gouvernement central n’a commencé à vraiment s’intéresser au développement de cette partie du pays qu’à partir de la Restauration de Meiji (1868). En 1869, il a créé une « mission chargée du défrichement » (kaitakushi) qui a encouragé l’installation de colons et l’exploitation des ressources locales. La population de l’île, qui était de 60 000 individus au début de l’époque Meiji, a atteint 1 740 000 habitants(*1), 40 ans plus tard. Après la Seconde Guerre mondiale, la préfecture de Hokkaidô a été intégré dans le plan global de reconstruction de l’économie du pays. Il a également occupé une place prééminente dans la politique de sécurité nationale japonaise – bien que ceci n’ait jamais été dit de façon explicite –, en raison de sa position stratégique, tout près de l’Union soviétique. Pendant la Guerre froide, la défense de Hokkaidô en tant que territoire national occupé par des Japonais est devenue une priorité.
En 1950, le gouvernement japonais a promulgué une « Loi sur le développement de Hokkaidô » et créé une Agence pour le développement de Hokkaidô placée directement sous sa direction. En 1951, il a ouvert un Bureau pour le développement à Sapporo, le chef-lieu de la préfecture, qui a servi d’antenne locale pour les projets du gouvernement. En 1956, il a créé une Caisse nationale pour le développement de Hokkaidô, chargée de gérer les fonds investis par l’État. Cette institution financière a pris le nom de Caisse nationale pour le développement de Hokkaidô et du Tôhoku dès l’année suivante. Le développement de l’île après la guerre s’est déroulé en grande partie sous la houlette de ces organismes. Par ailleurs un certain nombre de pratiques déjà en usage avant la guerre ont continué, notamment l’intégration de divers crédits dans le budget de développement de Hokkaidô, et le versement de subventions préférentielles pour les projets de développement.
Dans le cadre de la politique menée par l’État japonais, des sommes très importantes – en comparaison des autres régions – ont été investies dans des projets de travaux publics, ce qui a permis un développement rapide des infrastructures de l’île. Dans le même temps, la population de Hokkaidô a continué à croître jusque dans les années 1990. C’est ainsi qu’elle a atteint 5,7 millions d’habitants à la fin du XXe siècle, un chiffre nettement plus élevé que dans d’autres préfectures excentrées du nord du Tôhoku ou du sud de Kyûshû. Hokkaidô a joué un rôle vital dans l’économie du pays, en lui fournissant non seulement des denrées alimentaires mais aussi des ressources minières, essentiellement sous la forme de charbon.
(*1) ^ Augustin Berque (professeur au Collège de France) , Dictionnaire historique du Japon (Maison Franco-Japonaise,Tokyo), fascicule VIII, page 33, article Hokkaidô. — N.d.T
Une dépendance excessive des investissements de l’État
Cependant, une grande partie des objectifs fixés par les plans d’ensemble pour le développement de Hokkaidô successifs n’ont pas été atteints, en particulier en ce qui concerne l’accroissement de la population, l’amélioration des structures industrielles, la croissance économique et le drainage de nouveaux investissements dans des usines et des équipements. L’ampleur de ces projets de développement a eu par ailleurs l’inconvénient de rendre l’économie de l’île beaucoup trop dépendante des travaux publics. D’autant plus qu’à partir des années 1990, l’importance de Hokkaidô dans la politique du gouvernement japonais a considérablement diminué, en raison de la fin de la Guerre froide et de la mondialisation de l’économie.
Dès le début de la modernisation du Japon, après la Restauration de Meiji (1868), Hokkaidô a joué un rôle important dans le développement économique du pays, grâce aux relations informelles et complémentaires qu’elle a entretenues avec l’État. Le reste de l’Archipel a profité des abondantes ressources de l’île qui a en retour bénéficié d’un grand nombre de projets de développement. La préfecture et l’État y ont trouvé chacun leur compte. Mais ces relations fructueuses ont commencé à se détériorer à la fin des années 1970. Les priorités du gouvernement se sont en effet trouvées de plus en plus souvent en conflit avec les intérêts des habitants de Hokkaidô.
Les gouverneurs successifs de l’île se sont efforcés de proposer des mesures politiques indépendantes pour résoudre les problèmes qui se posaient. C’est ainsi qu’Hokkaidô a été la première à prendre des initiatives telles que la mise en application d’un arrêté sur l’évaluation des conséquences sur l’environnement, la construction de logements sociaux équipés de centres de soins ou la pratique d’évaluations ponctuelles(*2). Et elle a été désignée comme « région » modèle dans le cadre du système des blocs régionaux (dôshûsei) qui doivent remplacer les 47 préfectures actuelles de l’Archipel(*3). Les gouverneurs de l’île ont fait face, chacun à sa manière, aux problèmes locaux, tantôt en coopérant avec Tokyo, tantôt en résistant aux demandes de l’État et en trouvant eux-mêmes des solutions.
Toutefois, depuis quelque temps, Hokkaidô fait preuve de beaucoup moins d’esprit d’initiative à cause des contraintes fiscales qui ont obligé l’administration de la préfecture à faire des coupes drastiques dans le personnel, les salaires et les nouveaux projets.
(*2) ^ Une mesure qui consiste à procéder à une évaluation ponctuelle des projets de travaux publics suspendus depuis longtemps, afin de décider s’il y a lieu de les continuer ou pas. Hokkaidô était la première à l'introduire en 1997.
(*3) ^ L’île de Hokkaidô a été nommée « région » modèle du système dôshûsei en 2006 et un certain nombre de compétences jusque-là nationales lui ont été transférées.
Niseko, un exemple pour l’avenir
Dans ces conditions, comment l’île de Hokkaidô doit-elle réagir face au déclin rapide de sa population ? La première chose à faire, c’est de proposer une politique industrielle qui mette en valeur les points forts de la région dans la période de mondialisation de l’économie que nous connaissons actuellement. Depuis l’an 2000, la crise économique et la triple réforme de décentralisation des finances locales opérée par le gouvernement japonais ont eu un effet dévastateur sur beaucoup de municipalités de l’île, à commencer par la ville de Yûbari qui a déposé son bilan en 2007.
Un grand nombre d’agglomérations de Hokkaidô ont toutefois pris depuis longtemps des initiatives pour former des communautés indépendantes. Et ces tentatives figurent parmi les plus audacieuses recensées dans l’Archipel. Un exemple particulièrement remarquable est celui de Niseko, la première municipalité du Japon à avoir pris un arrêté sur l’autonomie locale fondamentale fondé sur les principes de participation de la population et de partage de l’information.
Depuis, Niseko s’est affirmée comme l’une des municipalités de Hokkaidô les plus ouvertes sur le monde. Elle accueille beaucoup de touristes venus, entre autres, d’Australie, et nombreux sont ceux qui viennent s’y installer pour travailler, qu’ils soient originaires du Japon ou d’autres pays. Le gouvernement japonais a certes mis en œuvre toutes sortes de mesures pour attirer les visiteurs venus de l’étranger dans l’Archipel. Mais la ville de Niseko a aussi pris elle-même les devants en vantant les charmes de ses stations de ski en Australie et dans les pays de l’Asie de l’Est et en encourageant les échanges entre ses habitants et les touristes étrangers. C’est ainsi qu’elle a réussi à devenir une « communauté » originale centrée sur le tourisme, l’agriculture et l’environnement.
La ville de Shimokawa a, quant à elle, entrepris de développer une « communauté » fondée sur l’exploitation durable de ses ressources forestières à partir des années 1980. Et depuis quelque temps, elle utilise la biomasse d’origine forestière en tant que source d’énergie dans le cadre du projet de regroupement et de redynamisation d’Ichinohashi, un des districts de la ville. Une expérience qui a suscité beaucoup d’intérêt.
Depuis un certain nombre d’années, Kushiro reçoit aussi des visiteurs qui viennent y faire de longs séjours pendant l’été. Les habitants de la ville n’apprécient pas particulièrement cette saison qui est souvent fraîche et brumeuse. Mais pour ceux qui vivent dans le centre du Japon où ils doivent supporter la chaleur humide caractéristique de cette partie de l’année, les températures modérées sont une véritable bénédiction. Kushiro a un tel pouvoir de séduction qu’elle accueille non seulement des estivants mais aussi des conférences et des événements sportifs. La politique habile de la municipalité a eu toutes sortes d’effets positifs, en particulier de donner un coup de fouet à l’économie locale, d’encourager de nouveaux styles de vie et de diminuer la consommation d’électricité.
Parallèlement à ces initiatives locales, le gouvernement japonais a apporté son soutien à l’île de Hokkaidô en créant le « Hokkaido Food Complex », une zone spéciale globale pour le développement de la compétitivité internationale de l’île. Dans le cadre de cette expérience, les autorités de la préfecture, la Fédération économique de Hokkaidô et les villes de Sapporo, Ebetsu, Hakodate et Obihiro ont entrepris de faire des recherches pour trouver des solutions qui permettent d’encourager la production alimentaire, de créer des produits locaux à valeur ajoutée et d’améliorer la compétitivité et les débouchés de l’industrie agro-alimentaire locale.
Le meilleur moyen pour combattre le déclin démographique, c’est bien entendu de créer des emplois. Pour ce faire, le secteur public et le secteur privé doivent unir leurs efforts afin de développer et de peaufiner les multiples caractéristiques uniques de l’île, et de lui permettre d’affronter la concurrence.
Créer des synergies
Pour que Hokkaidô puisse donner toute sa mesure, il faudra renforcer et développer les réseaux dans l’île et en dehors. L’opération la plus délicate va consister à utiliser pleinement les infrastructures sociales qui se sont constituées au fil du temps, autrement dit à trouver un nouveau système qui permette de gérer les infrastructures déjà en place d’une façon plus efficace. L’île de Hokkaidô occupe une position géographique privilégiée. Elle se trouve en effet à proximité non seulement des autres îles du Japon, mais aussi du reste de l’Asie de l’Est, de l’Europe, et de l’Amérique du Nord. Une position idéale pour créer un pôle des routes aériennes et maritimes de l’hémisphère nord. L’arrivée du Shinkansen (le train à grande vitesse japonais) à Hakodate, prévue en 2016, devrait encore augmenter le potentiel de l’île en matière de transport.
Le réseau routier de Hokkaidô doit être lui aussi amélioré et développé de façon à faciliter l’accès aux biens, la prévention des catastrophes et les soins de santé. Mais il faut savoir que si certaines zones se prêteront à un renforcement et à une concentration des agglomérations, d’autres resteront peu peuplées pour des raisons d’ordre socio-économique.
Protéger le territoire et l’environnement : une nécessité
Une autre priorité, c’est une politique de protection du territoire et de l’environnement qui soit adaptée aux besoins spécifiques de Hokkaidô. Mais en raison des caractéristiques climatiques et démographiques de l’île, faire bénéficier sa population des services publics est beaucoup plus coûteux qu’ailleurs, même en prenant les mesures les plus efficaces possibles. Pour améliorer la compétitivité du secteur agricole, il faut envisager de verser des subventions directement aux exploitants, comme le fait l’Union européenne. Il est par ailleurs nécessaire de veiller à ce qu’il y ait des communautés permanentes d’une taille suffisante dans les îles et les zones isolées situées à proximité de frontières avec d’autres pays, et ce, dans une perspective non seulement de protection du territoire mais aussi de sécurité nationale. Dans l’île de Hokkaidô, il n’y a pratiquement aucun endroit qui soit dépourvu de toute activité humaine, même dans les sites inscrits au patrimoine mondial de l’humanité et dans les parcs nationaux. Mais pour que cet environnement naturel continue à être entretenu et protégé en tant que patrimoine national, la population ne doit pas décliner au-delà d’un certain seuil.
Le terrible séisme suivi d’un tsunami du 11 mars 2011 a suscité une vive inquiétude à propos de la gestion des catastrophes. À cette occasion, les autorités de la préfecture de Hokkaidô ont proposé d’organiser une « structure de secours » qui permettrait un transfert des fonctions économiques centralisées dans la métropole de Tokyo. Le groupe d’assurances AXA Japon a d’ores et déjà décidé d’installer à Sapporo une partie des activités de son siège, situé à Tokyo.
Le rôle respectif de l’État et des autorités locales
Les effets négatifs du déclin démographique rapide commencent à se faire sentir non seulement au niveau de la préfecture, mais aussi – et de façon beaucoup plus aigüe – dans un certain nombre d’agglomérations de Hokkaidô, et ce, en raison du contexte géographique et climatique de l’île et de l’histoire de son développement dans le cadre d’une politique menée par l’État japonais. Mais il existe aussi de nombreux exemples d’initiatives locales prometteuses qui s’appuient sur les ressources disponibles, l’environnement naturel et la situation géographique particulière de Hokkaidô.
Il faut espérer que les autorités locales, les entreprises et les habitants de l’île vont comprendre la nécessité d’une intégration indispensable des systèmes et des infrastructures, d’un partenariat des secteurs public et privé et d’un développement optimal des réseaux locaux et internationaux. Dans le même temps, il faudrait que le gouvernement japonais aille dans le sens d’une décentralisation du pouvoir politique de façon à encourager les initiatives en reconnaissant que le rôle des autorités locales ne se limite pas à se concurrencer les unes les autres comme des entreprises privées sur le marché.
Enfin, il ne faut pas oublier à quel point la protection du territoire et de l’environnement est difficile à assurer avec des normes uniformes conçues à l’échelle du pays. De ce point de vue, Hokkaidô doit servir d’exemple à bien des égards pour l’élaboration d’un modèle de redynamisation régionale à travers une proche collaboration de l’État et des autorités locales.
(D’après un texte en japonais du 12 décembre 2014. Photo de titre : Dans la station de ski de Niseko, très fréquentée par les Australiens, beaucoup des enseignes et des panneaux de signalisation sont en anglais. — Février 2011, Jiji Press.)
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