Comment faire face à l’envolée de la dette

Hausse de la TVA japonaise : la triste réalité des chiffres

Politique Économie

Kobayashi Keiichirô [Profil]

Le 1er avril 2014, le gouvernement japonais a relevé le taux de la taxe à la consommation de 5 à 8 %, en dépit des fortes réticences que l’annonce de cette mesure avait suscitées. Mais d’après les calculs de plusieurs économistes américains, cette hausse de la TVA et celle — de 8 à 10 % — qui devrait lui faire suite en octobre 2015 seront loin d’être suffisantes pour redresser les finances publiques de l’Archipel. Kobayashi Keiichirô, professeur d’économie à l’Université Keiô, se penche sur les « chiffres inquiétants » proposés par ces éminents chercheurs et sur l’éventualité d’une crise d’endettement au Japon.

Le 1er avril dernier, les autorités japonaises ont procédé à une hausse de 5 à 8 % de la taxe sur la consommation japonaise, la première depuis 1997 où celle-ci était passée de 3 à 5 %. En vertu de la loi adoptée par la Diète en août 2012, du temps où Noda Yoshihiko était premier ministre, la taxe sur la consommation devrait à nouveau augmenter de 2 % en octobre 2015. Ce qui veut dire que la TVA japonaise, dont l’introduction remonte à 1989, aura doublé en l’espace de dix-huit mois. Abe Shinzô, qui a repris les rênes du gouvernement en décembre 2012, a été confronté à une vive opposition envers ces hausses juste avant qu’il ne se décide à approuver la première en octobre 2013. Et depuis que la croissance est de retour grâce à la politique économique énergique de M. Abe (« Abenomics »), les appels en faveur d’une augmentation des taxes et d’une réduction des dépenses pour stabiliser l’endettement public semblent avoir perdu du terrain.

Le 2 décembre 2013, l’Institut de recherches globales Canon (CIGS) de Tokyo a organisé une conférence sur le thème « Abenomics et la persistance de la dette publique ». Les organisateurs, dont je faisais partie, avaient convié plusieurs spécialistes en macroéconomie américains et japonais à présenter leurs points de vue et à discuter sur l’avenir des finances publiques de l’Archipel. Richard Anton Braun et Selahattin Imrohoroglu, les deux intervenants venus des États-Unis, ont dressé un tableau extrêmement pessimiste de la situation. Dans les lignes qui suivent, je me propose d’examiner les implications des conclusions de ces deux économistes en mettant plus particulièrement l’accent sur l’analyse de Richard Anton Braun, conseiller de la banque de réserve fédérale d’Atlanta.

Les chiffres inquiétants de 2011

Richard Anton Braun est un célèbre macro-économiste qui a fait de nombreuses recherches sur l’économie japonaise et a été professeur à l’Université de Tokyo. Avec Douglas Joines, professeur à l’Université de Californie du Sud (USC), il a étudié, par le biais de simulations informatiques, les effets des tendances démographiques japonaises sur la croissance économique, le système de protection sociale et les finances publiques de l’Archipel.

En août 2011, ces deux économistes ont présenté les premiers résultats de leurs travaux dans un rapport intitulé « L’influence du vieillissement de la population de l’Archipel sur la politique sociale du gouvernement japonais ». Pour obtenir une prévision à long-terme de la croissance démographique du pays, ils sont allés au-delà des projections publiées par l’Institut national de recherches sur la démographie et la protection sociale du Japon. D’après leurs calculs, si le taux de fécondité de l’Archipel reste faible, c’est-à-dire autour de 1,3 enfant par femme, la population du Japon, qui compte à l’heure actuelle un peu moins de cent trente millions d’habitants, ne sera plus que d’environ quarante millions d’individus d’ici la fin du XXIe siècle. Ce recul démographique est inexorable, car même si le taux de fécondité remontait subitement jusqu’à deux enfants par femme, le Japon n’aurait de toutes les façons que quelque quatre-vingts millions d’habitants en 2100.

Depuis un siècle, la productivité de la main-d’œuvre augmente à un rythme moyen de 2 % par an dans les pays industrialisés. Mais ce taux est peu susceptible d’augmenter de façon significative en raison du caractère fondamental des progrès technologiques actuels. Quand on additionne le taux de croissance de la productivité de la main d’œuvre d’un pays et le taux de croissance de sa population active, on obtient une estimation à long-terme relativement fiable de sa croissance économique. Le Japon aura beaucoup de chance s’il réussit à conserver un taux de croissance économique de 2 % en dépit du déclin démographique qui le caractérise, et ce même si la politique économique d’Abe Shinzô  est couronnée de succès.

Pour remédier à cet état de faits, une augmentation de la taxe sur la consommation semble inéluctable. Reste à savoir dans quelles proportions. Dans le rapport qu’ils ont publié il y a trois ans, Richard Anton Braun et Douglas Joines étaient arrivés à la conclusion que pour assainir les finances publiques du Japon, il fallait en passer par une hausse permanente de la TVA à 33 %. C’est un chiffre qui donne le vertige, surtout dans le contexte politique japonais actuel. D’après les simulations informatiques des deux économistes américains, 33 % c’est pourtant le taux qu’il faudrait adopter pour stabiliser le ratio de la dette publique au produit intérieur brut (PIB) du Japon à 60 % d’ici l’année 2100 en supposant que le taux de fécondité ne progresse pas de façon remarquable, que le taux de croissance reste de 2 %, que l’inflation stagne aux alentours de 1 % et que le gouvernement ne procède à aucun changement dans le système de protection sociale.

Richard Anton Braun et Douglas Joines ont essayé de faire d’autres simulations informatiques en partant d’hypothèses plus optimistes mais les résultats se sont avérés tout aussi décourageants. À supposer que le taux de fécondité grimpe du jour au lendemain de 1,3 à 2 enfants par femme, il faudrait quand même relever le taux de la TVA à 28,5 % pour assainir les finances publiques. Une éventuelle amélioration du taux de fécondité aurait semble-t-il peu d’influence sur la santé des finances publiques. Et même si l’inflation et la croissance de la productivité étaient de 2 % — ce qui impliquerait que la politique de M. Abe réussisse pleinement —, la taxe sur la consommation devrait passer à 25,5 % pour que la dette publique se stabilise.

Ces chiffres, qui ne sont guère mentionnés dans les mass media, ont quelque chose d’incroyable. Pourtant, ils ne sont pas en contradiction avec les thèses d’autres économistes spécialistes du Japon. Dans une étude publiée en 2013, deux chercheurs — Gary Hansen, professeur de macroéconomie à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA), et Selahattin Imrohoroglu, professeur d’économie et de gestion de la protection sociale à l’USC — en arrivent à la conclusion que pour assainir les finances publiques du Japon, il faudrait porter la TVA à 35 %. Et certains économistes japonais, y compris des experts du Ministère des finances, sont pratiquement du même avis.

En d’autres termes, des chercheurs qui s’étaient penchés il y a trois ans sur la situation de l’économie, des finances publiques et de la protection sociale du Japon affirmaient déjà que, pour que l’État japonais retrouve une certaine stabilité budgétaire, il fallait, dans le meilleur des cas, relever le taux de la TVA aux environs de 30 %, voire plus. 

Suite > Des prévisions récentes encore plus pessimistes

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Kobayashi KeiichirôArticles de l'auteur

Professeur d’économie à l’université Keiô, il est membre du sous-comité de lutte contre l’épidémie de coronavirus. Après une maîtrise en ingénierie mathématique, il entre au ministère du Commerce international et de l’Industrie (aujourd’hui ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie) et obtient son doctorat d’économie à l’Université de Chicago. Il fait de la recherche en macro-économie.

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