La compétitivité des universités japonaises dans l'ère de la mondialisation

La mondialisation et les réformes des universités japonaises

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Amano Ikuo [Profil]

Depuis les années 1990, les universités japonaises ont connu plusieurs réformes institutionnelles et organisationnelles. Amano Ikuo, professeur émérite de l’Université de Tokyo, discute des réformes entreprises notamment pour répondre à la mondialisation et des problèmes auxquelles elles sont confrontées aujourd’hui.

De nouveaux obstacles sur le chemin des réformes

L’internationalisation n’est pas seulement une affaire de classement. Les données des comparaisons internationales publiées chaque année par l’OCDE servent à faire prendre conscience des diverses faiblesses des universités japonaises à la lumière des standards internationaux, en d’autres termes des obstacles qu’elles doivent surmonter pour se réformer.

Prenons par exemple celles qui montrent que la dépense publique pour l’enseignement supérieur rapportée au PIB est au Japon, pays qui compte un très grand nombre d’universités privées, la plus faible de l’ensemble des pays de l’OCDE (Graphique 4). On peut en déduire que les familles doivent dépenser beaucoup pour l’éducation de leurs enfants, ce qui conduit à des inégalités dans l’accès à l’enseignement supérieur, et enfin que le niveau de recherche universitaire des universités privées qui dépendent des revenus que leur apportent les frais de scolarité est faible. Le fait est que depuis plusieurs décennies les aides publiques aux universités privées stagnent à environ 10 % de leur budget. De plus, dans les dix dernières années, les subventions publiques accordées aux universités nationales ont été réduites de 10 %. Si l’universalisation de l’enseignement supérieur doit progresser dans une période de faible dépense publique, le risque de voir une accélération de la baisse de la qualité de la recherche et de l’enseignement existe.

Les données de l’OCDE mettent aussi en évidence qu’au Japon, il y a par comparaison avec les autres pays, un faible taux d’étudiants adultes au sein de la population étudiante. L’écrasante majorité des étudiants japonais dans les universités japonaises qui sélectionnent leurs étudiants par un concours d’entrée à la fin du lycée sont des jeunes dans ce cas. Rares sont qui reprennent des études après avoir travaillé. Cette situation demeure inchangée aujourd’hui alors même que les universités privées connaissent des difficultés à remplir leurs bancs en raison de la baisse démographique. Alors que nous entrons dans l’ère de la société où l’on apprend toute sa vie, les universités japonaises demeurent un univers réservé à la jeunesse, une autre différence importante avec l’Europe et les États-Unis.

Cela a un profond rapport avec le retard pris par les universités japonaises dans le domaine du deuxième cycle de l’enseignement universitaire. Pendant longtemps, les universités japonaises ont considéré que le deuxième cycle avait pour rôle de fournir un enseignement spécialisé ou menant à une spécialisation professionnelle, et qu’il était destiné à former des chercheurs. Malgré la réforme par laquelle après la Deuxième Guerre mondiale elles ont adopté le système américain, ce n’est qu’en 2004 que le Japon a introduit un système de deuxième cycle spécialisé sur le modèle des graduate schools américaines, qui ne concerne aujourd’hui que moins de dix pour cent des étudiants inscrits en master. La demande en ressources humaines ayant reçu une formation spécialisée de haut niveau étant en hausse, le pourcentage d’étudiants s’inscrivant en master avec pour paramètre le nombre d’étudiants ayant obtenu leur licence augmente, passant de 6,4 % en 1990 à 10,3 % en 2000, et à 12,9 % en 2010. Il reste cependant peu élevé comparé aux pays européens et américains.

L’impopularité des formations de deuxième cycle en lettres et sciences humaines est la première raison de ce faible taux. Seuls 17,8 % des étudiants inscrits en deuxième et troisième cycles en 2013 l’étaient en lettres et sciences humaines, tandis 56,5 % l’étaient en sciences (dont 41,5 % en sciences de l’ingénieur). Ces pourcentages signifient que les fonctions du deuxième cycle universitaire en matière de formation de ressources humaines spécialisées dans des domaines autres que les sciences sont faibles, et que les formations de deuxième cycle ne sont pas ouvertes aux étudiants qui reprennent des études. Le manque de popularité des business schools, qui sont représentatives des formations en sciences humaines, symbolise le retard pris par le Japon à cet égard.

Quel avenir pour les réformes universitaires ?

Dans un Japon où le vieillissement démographique progresse dans un contexte de stagnation économique, les dépenses publiques pour la sécurité sociale occupent une place en augmentation constante dans les finances publiques. Loin de croître, les montants consacrés à l’enseignement, dont le niveau est déjà faible du point de vue international, devraient subir de nouvelles réductions. Dans ce contexte difficile, il est fort possible que la liberté et la concurrence dans l’enseignement agrandissent encore l’écart entre les universités en terme de compétitivité, notamment dans le domaine de la recherche, et que l’on arrive à ce que l’on ait quelques gagnants et beaucoup de perdants. Par ailleurs, pour ce qui concerne les universités nationales devenues des entreprises publiques administrativement indépendantes, si le contrôle direct du ministère de l’Éducation a été assoupli, le contrôle indirect par le biais du financement indirect (subventions etc.) a été renforcé, et il est critiqué comme constituant une entrave à leur autonomie.

Il est à craindre que la liberté et la concurrence dans le cadre d’investissements publics limités n’aient pas les effets souhaités, à savoir l’assouplissement et la polyvalence, mais qu’au contraire elles fassent progresser plus encore leur hiérarchisation et mènent à un enseignement supérieur ayant la forme d’une pyramide aux pentes encore plus aiguës. Jusqu’à quel point les réformes mises en place depuis une vingtaine d’année sous l’égide de la déréglementation réussiront-elles à transformer les universités japonaises en les rendant capable de répondre aux demandes diverses du monde de demain, qui sera une société de technologie avancée, basée sur les connaissances, de formation permanente ? Il convient de suivre de près l’orientation qui leur sera donnée.

(D’après un original en japonais publié le 28 janvier 2014. Photo de titre : site Internet de Times Higher Education)

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Amano IkuoArticles de l'auteur

Né en 1936 dans la préfecture de Kanagawa, professeur émérite de l’Université de Tokyo, sociologue de l’éducation et spécialiste de l’enseignement supérieur. Titulaire d’un doctorat de sciences de l’éducation, il a occupé des postes de professeur à l’Université de Nagoya et à l’Université de Tokyo, où il a été recteur de la faculté de sciences de l’éducation, puis professeur et ensuite directeur du département recherche du Center for National University Finance and Management, un établissement public rattaché au ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’enseignement supérieur japonais.

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