La compétitivité des universités japonaises dans l'ère de la mondialisation

La mondialisation et les réformes des universités japonaises

Science Technologie

Amano Ikuo [Profil]

Depuis les années 1990, les universités japonaises ont connu plusieurs réformes institutionnelles et organisationnelles. Amano Ikuo, professeur émérite de l’Université de Tokyo, discute des réformes entreprises notamment pour répondre à la mondialisation et des problèmes auxquelles elles sont confrontées aujourd’hui.

La réforme des universités nationales

L’évolution qui a vu les universités nationales se transformer en entreprises publiques administrativement indépendantes représente de manière extrême l’orientation des diverses réformes des universités. Pendant très longtemps, elles étaient placées sous l’autorité directe du ministère de l’Éducation ; leurs enseignants appartenaient à la fonction publique d’État, et leur liberté de gestion à commencer par la répartition de leurs moyens financiers et humains, était limitée. Ce sont elles qui ont subi le plus fortement l’impact de la concurrence internationale entre universités induite par les progrès de la mondialisation évoqués ci-dessus.

Parmi les quelque 800 universités japonaises, moins de 90 sont nationales. Elles font partie de celles dont la qualité est la plus élevée, car elles se sont spécialisées dans la formation de chercheurs et d’experts, principalement dans le domaine des sciences de la nature. 57 % des étudiants actuellement inscrits en master, et 69 % de ceux inscrits en doctorat le sont dans des universités nationales. 

Ce sont elles qui occupent les places les plus élevées dans les classements mondiaux des universités. Dans celui de la revue britannique Times Higher Education pour l’année 2013-2014, l’Université de Tokyo est la première université japonaise, à la vingt-troisième place. Parmi les dix autres universités japonaises dans les 400 premières de ce classement, neuf sont des universités nationales, et la dernière est une université publique [le Japon distingue entre les universités nationales, dont le financement provient du budget de l’État, et les universités publiques, financées par les collectivités locales—N.d.T.]. Parmi les dix universités nationales, sept sont d’anciennes universités impériales, c’est-à-dire qu’elles ont une plus longue histoire que les autres universités nationales. Il est à noter que les deux universités privées qui figuraient parmi les 400 premières du classement 2012-2013 ont disparu du classement 2013-2014. Si le Japon veut conserver son rôle dans la compétition économique internationale déterminée par les sciences et les technologies, sa priorité doit être de renforcer la compétitivité internationale de ses universités nationales.

Classement mondial des universités japonaises (2013-2014)

rang  
23 Université de Tokyo (nationale)*
52 Université de Kyoto (nationale)*
125 Université de technologie de Tokyo (nationale)
144 Université d’Osaka (nationale)*
150 Université du Tôhoku (nationale)*
201-225 Université de Nagoya (nationale)*
201-225 Université métropolitaine de Tokyo (publique)
276-300 Université de médecine et d’odontologie de Tokyo (nationale)
300-350 Université de Hokkaidô (nationale)*
300-350 Université de Kyûshû (nationale)*
300-350 Université de Tsukuba (nationale)

* ancienne université impériale
Source : World University Rankings, Times Higher Education

Au terme de longues discussions rendues intenses par l’opposition des universités, les universités nationales ont cessé en 2004 d’être placées sous le contrôle et le patronage direct du ministère de l’Éducation pour devenir des entreprises publiques administrativement indépendantes. Les universités nationales ont été « privatisées ». En effet, leur financement se compose aujourd’hui des subventions de l’État d’une part, et d’autre part, des frais de scolarités, des revenus que leur apportent les institutions qui leur sont rattachées (principalement des hôpitaux), ainsi que des dotations de recherche venant du gouvernement et des entreprises.

C’est de cette façon qu’en 2004, le nouveau slogan de la politique gouvernementale en matière d’universités qui a remplacé « contrôle et patronage » est « liberté et concurrence ». Le but recherché n’était rien moins qu’une révolution de l’enseignement supérieur au Japon.

Renforcer la compétitivité passe par l’internationalisation

Dix ans plus tard, cette révolution n’est pas terminée. Globalement, ces mesures destinées à apporter « liberté et concurrence » ont fait naître plus de nouveaux problèmes qu’elles n’ont produit de résultats, et elles ont suscité de nouvelles prises de conscience.

La question perçue comme la plus importante est sans aucun doute l’internationalisation des universités confrontées à la mondialisation. Parallèlement au changement de statut juridique des universités nationales, l’intérêt pour les classement internationaux a progressé, et la nécessité de développer et de renforcer des « universités de recherche » est devenue prépondérante.

Comme nous venons de la voir, les classements internationaux ne sont pas défavorables aux universités japonaises. On peut rappeler au passage que le Japon est le seul pays non-européen et non-américain à avoir produit plusieurs prix Nobel. Il n’en est pas moins vrai que globalement, les universités japonaises ne sont pas au même niveau que les universités américaines ou anglaises, et que peu d’entre elles se situent dans le haut des classements. De plus, au moment où les universités des pays et régions d’Asie de l’Est gagnent du terrain dans ces classements, l’inverse se produit au Japon. Ces classements s’intéressent d’abord au niveau des activités d’enseignement et de recherche. Au Japon, on a compris aujourd’hui que ce qui fait avant tout perdre des places aux universités japonaises, c’est leur faible niveau dans les indices liées à l’internationalisation, comme le nombre de professeurs étrangers, ou d’étudiants étrangers.

Les universités japonaises ont pendant de longues années contribué significativement à la croissance économique et à la modernisation du pays. Elles ont pu le faire parce qu’elles ont réussi en peu de temps à sortir le pays de sa dépendance sur l’Occident dans les domaines de l’enseignement et de la recherche, parce qu’elles ont réussi en d’autres termes à devenir autonomes. Dès le début du siècle dernier, l’enseignement supérieur au Japon se faisait en japonais par des Japonais, et les universités produisaient déjà des résultats de recherche, certes peu nombreux, de niveau mondial dans des domaines comme la physique, les technologies ou la médecine. Avant guerre, les universitaires avaient l’habitude d’aller étudier deux ou trois ans à l’étranger tôt dans leur carrière, non pour obtenir un grade universitaire, mais pour être en contact avec les sciences occidentales les plus avancées, et le nombre d’étudiants japonais à l’étranger était très limité. Cette « autonomisation » des universités a permis de former des ressources humaines en grande quantité, rapidement, à peu de frais, et elle a contribué au succès de la modernisation et de l’industrialisation du Japon.

La raison pour laquelle les universités japonaises ont réagi avec retard à la mondialisation est que Cette autonomisation s’est ensuite transformée en une structure rigidifiée, hiérarchisée, fermée. Pour augmenter le nombre d’universités de recherche figurant dans les classements mondiaux, et améliorer le rang des universités japonaises dans ceux-ci, il est essentiel de promouvoir la compétition entre les universités au Japon. Cela seul ne suffira pas. Il faut aussi chercher à relever leur niveau et à dynamiser la recherche universitaire, en acceptant activement plus de chercheurs et d’étudiants étrangers de qualité, en augmentant les cours et les cursus universitaires offerts en anglais, et enfin en envoyant plus de chercheurs et d’étudiants japonais à l’étranger. Le moment est venu pour les universités japonaises qui ont fait de si grands efforts pour devenir autonomes de se lancer dans leur troisième ouverture, après celles des débuts de l’ère Meiji et de l’immédiat après-guerre.

Suite > De nouveaux obstacles sur le chemin des réformes

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Amano IkuoArticles de l'auteur

Né en 1936 dans la préfecture de Kanagawa, professeur émérite de l’Université de Tokyo, sociologue de l’éducation et spécialiste de l’enseignement supérieur. Titulaire d’un doctorat de sciences de l’éducation, il a occupé des postes de professeur à l’Université de Nagoya et à l’Université de Tokyo, où il a été recteur de la faculté de sciences de l’éducation, puis professeur et ensuite directeur du département recherche du Center for National University Finance and Management, un établissement public rattaché au ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’enseignement supérieur japonais.

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