La compétitivité des universités japonaises dans l'ère de la mondialisation

La mondialisation et les réformes des universités japonaises

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Amano Ikuo [Profil]

Depuis les années 1990, les universités japonaises ont connu plusieurs réformes institutionnelles et organisationnelles. Amano Ikuo, professeur émérite de l’Université de Tokyo, discute des réformes entreprises notamment pour répondre à la mondialisation et des problèmes auxquelles elles sont confrontées aujourd’hui.

Les trois raisons pour lesquelles les universités japonaises doivent se réformer

On peut mentionner trois facteurs propres au Japon qui rendent une réforme des universités nécessaire.

Le premier est son évolution démographique. Le nombre de jeunes âgés de 18 ans, qui était de l’ordre de 1,5 million jusqu’au milieu des années 80, a ensuite rapidement augmenté pour culminer à 2,05 millions en 1992. Il a ensuite connu une baisse rapide en passant à 1,51 million en 2000, et à 1,22 million en 2010 (Graphique 2). Cette évolution drastique a eu un impact important sur l’enseignement supérieur japonais dans lequel la place du secteur privé est très importante. En dépit de la progression du taux d’accès à l’enseignement supérieur, la majorité des universités privées qui ont cherché à s’agrandir lorsque la population augmentait rapidement n’arrivent plus depuis la fin des années 90 à recruter autant d’étudiants qu’elles peuvent en accueillir. Il s’agit d’une expérience nouvelle pour les universités japonaises dont une des caractéristiques a longtemps été les examens d’entrée d’une grande difficulté qu’elles organisaient pour sélectionner les meilleurs parmi les candidats qui étaient bien plus nombreux que les places disponibles. Voilà pourquoi elles doivent aujourd’hui se réformer d’urgence, globalement, non seulement dans leurs méthodes pour attirer et sélectionner les candidats ou le type d’enseignement qu’elles offrent à ceux qu’elles ont admis, mais aussi dans l’organisation de la recherche et de l’enseignement et leurs orientations financières et managériales.

Le deuxième découle des fluctuations de l’économie. Depuis l’effondrement de la bulle spéculative au début des années 1990, l’économie japonaise ne parvient pas à sortir de son marasme et cela a d’importantes répercussions sur la réforme des universités. Le Japon s’est lancé avec retard par rapport aux autres pays dans la mondialisation et la révolution de l’information. La perception que les universités devaient s’améliorer pour former des ressources humaines afin de combler ce retard, et qu’elles devaient aussi relever leur niveau de recherche fondamentale et appliquée, s’est généralisée.

Les partis politiques et les acteurs économiques ont fait assaut de propositions de réformes de l’enseignement focalisées sur l’université en exigeant d’elle des efforts pour promouvoir une plus grande ouverture, un plus grand dynamisme dans le domaine de l’enseignement comme de la recherche, et pour développer plus activement les échanges avec les entreprises, essentiellement par des projets de recherche associant universités et entreprises. Ils leur demandaient aussi de faire preuve de leur capacité à se réformer afin de relever leur niveau de recherches et de s’attaquer à la réforme de leurs structures. Le rôle essentiel que doivent jouer les université dans la société fondée sur le savoir et les connaissances a été identifié très tôt, ainsi que leur importance stratégique comme moyen suprême d’assurer la victoire de leur recherches dans la compétition mondialisée qui fait rage dans les technologies de pointe. Au cœur de la crise économique engendrée par la fin de la bulle spéculative, le lien avec la nécessaire réforme des universités a enfin été abordé.

Le troisième facteur important est le changement de politiques. Lorsque Nakasone Yasuhiro a pris la tête du gouvernement en 1983, il s’est proclamé partisan du néo-libéralisme, et a entamé un changement politique avec pour maîtres mots, la réforme réglementaire et les réformes structurelles. Le gouvernement formé par Koizumi Junichirô en 2001 l’a repris, et ce changement a eu un impact considérable sur la réforme des universités. La déréglementation s’est accélérée dès dans les années 90 par la révision des critères de création des universités, qui définissent les conditions fondamentales de l’organisation et de l’enseignement des universités. Les universités se sont vu accorder la liberté d’organiser leurs cursus jusqu’alors très réglementés, et cela a conduit à la création de nouveaux départements offrant de nombreux nouveaux cursus et dénominations. Le processus d’homologation des nouveaux établissements d’enseignement supérieur a aussi été assoupli, et cela a fait passer le nombre d’universités au Japon de 507 en 1990 à 649 en 200, et 782 en 2013 (Graphique 3).

Les réformes structurelles entraînées par la déréglementation ont aussi progressé dans les universités nationales placées jusqu’alors sous l’autorité directe du ministère de l’Éducation. Les principes de concurrence ont été introduits dans la répartition du financement public, à commencer par celui de la dotation de recherche, et les universités ont été encouragées à accepter des financements privés pour la recherche. Ainsi les universités publiques et privées ont été libérées de la protection et du contrôle du ministère. On attend à présent d’elles qu’elles assument leurs responsabilités non seulement sur le plan de l’enseignement et de la recherche, mais aussi sur celui de leur gestion et leur financement et qu’elles participent à la compétition pour leur développement et leur survie.

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Amano IkuoArticles de l'auteur

Né en 1936 dans la préfecture de Kanagawa, professeur émérite de l’Université de Tokyo, sociologue de l’éducation et spécialiste de l’enseignement supérieur. Titulaire d’un doctorat de sciences de l’éducation, il a occupé des postes de professeur à l’Université de Nagoya et à l’Université de Tokyo, où il a été recteur de la faculté de sciences de l’éducation, puis professeur et ensuite directeur du département recherche du Center for National University Finance and Management, un établissement public rattaché au ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’enseignement supérieur japonais.

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