Le Japon et la Corée du Sud sont-ils voués à la méfiance mutuelle ?

Pourquoi Séoul et Tokyo n’arrivent-ils pas à s’entendre ?

Politique

Kimura Kan [Profil]

Le refroidissement actuel des relations entre le Japon et la Corée du Sud a de quoi surprendre si on le compare avec la relative chaleur qui les caractérisait en 2006, quand Abe Shinzô a entamé son premier mandat de premier ministre. Les raisons de cette évolution tiennent aux mutations qui se sont produites entre-temps dans la situation de la Corée du Sud.

Le mécanisme de restauration des liens ne fonctionne plus

Le point clé, c’est que la situation a grandement changé en Corée du Sud entre les deux mandats de M. Abe, sans oublier que le Japon a perdu beaucoup d’importance pour ce pays, avec pour conséquence un accroissement de la fréquence probable des poussées de tension liées aux perceptions de l’histoire ou au litige territorial. La meilleure façon de comprendre cela est sans doute d’avoir recours à un outil comme le modèle que je propose en Figure 2. L’importance des questions historique et territoriale pour la Corée du Sud a tendance à décliner au fil du temps. L’ère coloniale s’inscrit dans un passé de plus en plus lointain et, à mesure de la maturation de la société sud-coréenne, les sujets auxquels s’intéresse le public se diversifient. Telle est l’explication de l’inexorable déclin à long terme du nombre des participants aux manifestations antijaponaises.

Dans le même temps, toutefois, le recul de l’importance du Japon pour la Corée du Sud procède à un rythme encore plus rapide. Dans les années 1970, le Japon jouait un rôle clé pour la Corée du Sud non seulement sur le plan économique mais aussi sur celui de la sécurité. C’est pourquoi, quand il se produisait de fortes explosions d’hostilité envers le Japon, il se trouvait des gens pour prendre promptement des initiatives en vue d’apaiser les choses. Les intérêts concrets pesaient plus lourd que les pulsions nationalistes. Mais, maintenant que la relation bilatérale n’est plus aussi essentielle aux yeux de la Corée du Sud, ce mécanisme a cessé de fonctionner.

Si l’intérêt des Sud-Coréens pour les questions historique et territoriale est en train de décliner, il n’est pas pour autant sur le point de disparaître. Dans l’état actuel des choses, si l’importance des relations avec le Japon tombe au-dessous d’un certain seuil, les gens qui auraient pu prendre des initiatives pour les restaurer s’en garderont bien, de peur de subir un retour de bâton sous la forme d’une explosion de sentiments nationalistes. Ils auraient plus à perdre qu’à gagner en tentant quoi que ce soit. Cet état de fait explique parfaitement pourquoi le gouvernement de Mme Park ne va rien faire en vue d’améliorer les relations avec Tokyo, aussi gravement qu’elles puissent se détériorer, et aussi bas que puisse tomber le nombre des participants aux activités anti-japonaises.

Que doit faire le Japon ?

Si tel est le cas, la ligne de conduite que doit adopter le Japon est claire. Dans la mesure où l’état actuel de la relation bilatérale est dû, non pas à la personne de la présidente Park ou à un organe particulier des médias, mais à des mutations structurelles de l’environnement international au sein duquel évolue la Corée du Sud, les mesures employées autrefois pour améliorer les liens ne sont plus d’aucun secours. En témoigne l’échec de l’initiative prise par le gouvernement actuel de M. Abe peu après son arrivée au pouvoir. Le message que Tokyo a voulu faire passer à Séoul était fondé sur la « diplomatie des valeurs », avec une forte insistance sur les valeurs démocratiques que partagent le Japon et la Corée du Sud.

Dès le départ, les chances de voir Park Geun-hye faire bon accueil à ce message étaient nulles. Il impliquait inévitablement une relation d’opposition avec la Chine, qui ne partage pas ces valeurs. Or la présidente Park, nous l’avons vu, accordait une grande importance aux liens de la Corée du Sud avec ce pays. Son gouvernement n’avait aucune raison d’accepter une invitation à faire cause commune avec le Japon.

Le choix du Japon se limite à deux possibilités. Soit il s’efforce de trouver une solution aux questions historique et territoriale et de leur faire perdre de leur prépondérance ; soit il entreprend de renforcer l’importance du Japon pour la Corée du Sud dans d’autres domaines. Si la situation interne du Japon fait de la première hypothèse un choix difficile, il n’a pas d’autre option que la seconde. N’oublions pas que le Japon reste un grand pays, qui se place au troisième rang mondial par la taille de son économie. Cela nous donne une belle marge de manœuvre. Nous pouvons, par exemple, offrir un accès à notre immense marché par le biais d’un accord de libre-échange. Une autre idée consisterait à mettre en place un dispositif sécuritaire plus performant pour la Corée du Sud, en encourageant les États-Unis à intégrer pleinement l’armée sud-coréenne dans l’alliance nippo-américaine.

La balle est désormais dans le camp du Japon. Le défi auquel nous sommes confrontés s’adresse, me semble-t-il, à notre intelligence : nous devons trouver une façon de mettre à contribution notre influence latente pour améliorer la relation bilatérale.

(D’après un original en japonais écrit le 11 décembre 2013. Photo de titre : devant l’ambassade du Japon à Séoul, un Sud-Coréen lit une déclaration reprochant au Japon d’avoir affirmé sa souveraineté sur les îlots Takeshima [Dokdo], qui font l’objet d’un litige. =Yonhap/Aflo)

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Kimura KanArticles de l'auteur

Professeur à l’Université de Kobe ; président du Forum Pan-Pacifique. Titulaire d’un doctorat de droit de l’Université de Kyoto. A été expert invité à l’Université Harvard, à l’Université de Corée et à l’Institut Sejong. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Kankoku ni okeru « ken'ishugiteki » taisei no seiritsu (La mise en place du système autoritaire sud-coréen), qui a reçu le Prix Suntory pour les sciences sociales et humaines.

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