Le Japon et la Corée du Sud sont-ils voués à la méfiance mutuelle ?

Pourquoi Séoul et Tokyo n’arrivent-ils pas à s’entendre ?

Politique

Le refroidissement actuel des relations entre le Japon et la Corée du Sud a de quoi surprendre si on le compare avec la relative chaleur qui les caractérisait en 2006, quand Abe Shinzô a entamé son premier mandat de premier ministre. Les raisons de cette évolution tiennent aux mutations qui se sont produites entre-temps dans la situation de la Corée du Sud.

L’évolution de l’attitude des Sud-Coréens vis-à-vis de M. Abe

Avant son mandat actuel, Abe Shinzô avait déjà été premier ministre pendant un an, à partir de septembre 2006. L’attitude des médias sud-coréens envers sa personne et son gouvernement était alors très différente de celles qu’ils affichent en 2013. En 2006, quand M. Abe est arrivé au pouvoir, le gouvernement comme les médias sud-coréens voyaient la nouvelle équipe au pouvoir sous un jour favorable et nourrissaient l’espoir que son arrivée aux commandes entraînerait une amélioration des relations bilatérales, qui s’étaient détériorées sous le mandat de Koizumi Junichirô (2001-2006). Pourquoi les Sud-Coréens ont-ils aujourd’hui une image beaucoup plus négative de M. Abe ? On comprendrait mieux si ce dernier avait changé d’attitude entre 2006 et 2013 en ce qui concerne le litige territoriale ou les perceptions de l’histoire. Mais dès l’époque de son premier mandat, M. Abe a laissé savoir qu’il voulait « rompre clairement avec le régime d’après-guerre » et formulé à de nombreuses reprises les réserves que lui inspiraient tant la déclaration, faite en 1993 par le secrétaire en chef du cabinet Kôno Yôhei, à propos des « femmes de réconfort », que les excuses pour les agissements du Japon pendant la guerre exprimées par le premier ministre Murayama Tomiichi en 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. Et il ne s’est pas non plus montré enclin au compromis sur la question du litige territorial.

Faut-il pour autant imputer l’évolution observée entre 2006 et aujourd’hui au fait que, à l’époque du premier mandat de M. Abe, l’attitude des Sud-Coréens en ce qui concerne l’interprétation de l’histoire et le litige territorial était plus accommodante ? En fait, cette forme d’indulgence n’était pas de mise à l’époque. Roh Moo-hyun, qui était alors président, s’était engagé à entreprendre un réexamen de l’histoire (allant, selon toute vraisemblance, dans le sens d’un durcissement des positions sur les désaccords avec le Japon) et, quand le gouvernement de M. Koizumi a envoyé un navire de surveillance dans les eaux avoisinant les îlots Takeshima, il a donné l’ordre de l’arrêter, même s’il fallait pour cela l’éperonner et le couler. Ses idées politiques progressives faisaient en outre de M. Roh un homme très éloigné de M. Abe sur le plan idéologique, davantage en tout cas que Mme Park, l’actuelle présidente, qui est une conservatrice. Cela ne pouvait pas faciliter le dialogue bilatéral au sommet.

Il n’en reste pas moins que le gouvernement et les médias sud-coréens ont fait montre d’indulgence à l’égard de M. Abe à l’époque de son premier mandat. La raison en est claire : les Sud-Coréens considéraient alors que la coopération avec le Japon était nécessaire dans le domaine économique comme dans celui de la sécurité.

L’arrière-plan de l’ancienne attitude conciliante des Sud-Coréens

C’est dans le domaine économique que l’importance du Japon apparaît le plus clairement. Le graphique de la Figure 1, qui représente les parts occupées par le Japon, les États-Unis et la Chine dans les échanges internationaux de la Corée du Sud, montre bien que la part du Japon enregistre un déclin à long terme depuis la fin des années 1970, ce qui implique une diminution de l’importance économique de ce pays pour la Corée du Sud. On remarquera en outre que ce recul n’est pas imputable à la stagnation de l’économie japonaise observée depuis les années 1990. La preuve en est que, même dans les années 1980, au point culminant du boom économique du Japon, la part prise par ce pays dans le commerce international de la Corée du Sud était inférieure aux chiffres enregistrés dans la décennie précédente, et les échanges avec les États-Unis pendant ces mêmes périodes ont suivi une trajectoire similaire.

Pour dire les choses autrement, la raison du déclin de l’importance économique du Japon pour la Corée du Sud est à chercher dans l’évolution de la situation, non pas dans l’Archipel, mais sur la Péninsule. Jadis, du fait de la division de celle-ci pendant la guerre froide, la Corée du Sud n’était pas en mesure de trouver d’autres partenaires économiques que les États-Unis et le Japon. Mais avec la fin de la guerre froide, elle a pu nouer des liens commerciaux avec la Chine et d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est. Son propre développement et la mondialisation de l’économie ont en outre alimenté une spectaculaire augmentation du nombre de ses partenaires économiques, avec pour résultat une nette diminution de sa dépendance à l’égard du Japon et des États-Unis.

Ceci, toutefois, ne suffit pas à pleinement rendre compte du changement intervenu entre 2006 et 2013. Le poids de l’économie japonaise avait déjà considérablement baissé en 2006, et il ne semble pas que la Corée du Sud ait eu besoin d’avoir des égards pour le Japon. Le fait important dans ce contexte est qu’en 2006 moins d’une décennie s’était écoulée depuis la crise monétaire qui avait balayé l’Asie de l’Est en 1997. Les Sud-Coréens redoutaient l’éventualité d’une nouvelle crise, et c’est cette inquiétude qui a poussé le président Roh à adopter des politiques économiques néolibérales totalement contraire à sa propre idéologie. Pour la Corée du Sud de cette époque, qui voulait être à même de faire face à l’éventualité d’une nouvelle crise monétaire, il était essentiel d’entretenir de bonnes relation avec le Japon, première puissance économique de l’Asie de l’Est.

Suite > La Chine passe du statut d’ennemi potentiel à celui d’ami le plus important

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