Le Japon et la Corée du Sud sont-ils voués à la méfiance mutuelle ?
Pourquoi Séoul et Tokyo n’arrivent-ils pas à s’entendre ?
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« Le “monstre” est lâché. En mai dernier, quand un homme âgé de 95 ans, qui avait connu la période de domination du Japon sur la péninsule coréenne, a suscité par ses propos sur les beaux jours de la tutelle coloniale une telle rage chez un homme d’une trentaine d’années que ce dernier s’est emparé de la canne du vieillard et l’a battu à mort. Un homme qui avait vécu cette période a été brutalement assassiné par un autre qui ne l’avait pas connue. Tel est le monstre anti-japonais, et personne ne peut l’arrêter. »
Les manifestations anti-japonaises attirent de moins en moins de monde
Depuis la visite effectuée en août 2012 par Lee Myung-bak, le président sud-coréen de l’époque, aux rochers Liancourt (appelés Dokdo par la Corée du Sud, qui les place sous son contrôle de facto, et Takeshima par le Japon qui les revendique—n.d.l.r.), les Japonais s’intéressent de plus en plus au mouvement « anti-japonais » en Corée du Sud. La citation reproduite ci-dessus est extraite de la bande sonore d’un clip diffusé lors d’une émission hebdomadaire japonaise d’actualités et d’opinion (Jôhô 7 days Newscaster, Tokyo Broadcasting System Television, 9 novembre 2013). Les médias japonais proposent presque tous les jours des récits de ce genre sur les activités anti-japonaises, diverses mais toujours extrémistes, dont la Corée du Sud est le théâtre.
La teneur de ces reportages est-elle exacte ? Il est vrai que le gouvernement sud-coréen a durci sa position sur la question territoriale et celle des interprétations de l’histoire (notamment en ce qui concerne la colonisation de la péninsule coréenne par le Japon), deux sujets qui pèsent sur la relation entre les deux pays. Depuis son intronisation, la présidente Park Geun-hye refuse de participer à une rencontre au sommet avec le premier ministre Abe Shinzô, et aucun moyen de sortie de cette impasse bilatérale ne se profile à l’horizon. Les médias sud-coréens présentent eux aussi les choses sous un jour négatif et adoptent une rhétorique dure pour attaquer le virage « droitier » du gouvernement Abe. Et, comme le montrent les chiffres du tableau ci-joint, la tendance à long terme va vers l’augmentation de la fréquence des références aux questions liées à l’histoire et au litige territorial entre les deux pays.
Références à des questions liées au Japon dans Chosun Ilbo, 1945-2009
manuels scolaires | femmes de réconfort | Teishintai (Corps des femmes volontaires pour le travail) | Yasukuni | Jinja+Sanpai (sanctuaire shintô+visites cultuelles) | |
---|---|---|---|---|---|
1945-49 | 0 | 0 | 0,1618123% | 0 | 0 |
1950-54 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
1955-59 | 0,06427% | 0 | 0 | 0 | 0 |
1960-64 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
1965-69 | 0,05992% | 0 | 0 | 0 | 0 |
1970-74 | 0,03898% | 0 | 0 | 0,11694% | 0,01949% |
1975-79 | 0,04597% | 0,02298% | 0 | 0,02298% | 0,04597% |
1980-84 | 2,76865% | 0 | 0,1173158% | 0,02346% | 0,23463% |
1985-89 | 1,27208% | 0 | 0,0942285% | 0,04711% | 0,25913% |
1990-94 | 0,68027% | 9,86395% | 17,6870748% | 0,34014% | 1,81406% |
1995-99 | 0,66994% | 12,01429% | 1,6971862% | 0,49129% | 1,38455% |
2000-04 | 1,14464% | 6,6077% | 1,0405827% | 2,44537% | 4,68262% |
2005-09 | 1,1236% | 5,94569% | 0,5149813% | 4,40075% | 2,05993% |
Dokdo | mouvement d’indépendance | Shinnichiha (sympathisants japonais) | Japon + dommages de guerre | |
---|---|---|---|---|
1945-49 | 0 | 0 | 2,5080906% | 3,802589% |
1950-54 | 2,72277% | 0 | 0,1237624% | 1,608911% |
1955-59 | 0,2892% | 0 | 0 | 0,771208% |
1960-64 | 0,70439% | 0 | 0,0454442% | 0,499886% |
1965-69 | 0,77891% | 0,05992% | 0,0299581% | 0,14979% |
1970-74 | 0,09745% | 0 | 0 | 0,116936% |
1975-79 | 0,98828% | 0 | 0,0229832% | 0,114916% |
1980-84 | 0,30502% | 0,04693% | 0 | 0,093853% |
1985-89 | 0,25913% | 0,07067% | 0,0471143% | 0,094229% |
1990-94 | 0,22676% | 0 | 0,5668934% | 0,793651% |
1995-99 | 1,07191% | 0,17865% | 0,4912908% | 0,267977% |
2000-04 | 0,83247% | 0,05203% | 0,5723205% | 0,156087% |
2005-09 | 4,2603% | 0,14045% | 1,3576779% | 0,327715% |
Source : Kimura Kan « Découverte des litiges : mémoires collectives dans les manuels scolaires et relations entre le Japon et la Corée du Sud » Journal of Korean Studies, vol. 17, no. 1 (printemps 2012).
Note : les chiffres figurant au tableau indiquent les pourcentages des articles parus à la date du 4 février 2011 qui contenaient le mot Ilbon (Japon), ainsi que d’autres termes relatifs aux litiges historique et territorial entre le Japon et la Corée du Sud. La couleur jaune désigne les périodes où les pourcentages ont été les plus élevés, le bleu les quatre périodes occupant les positions suivantes dans ce classement.
Ceci ne doit pas être interprété comme le signe d’une intensification du mouvement d’hostilité au Japon en Corée du Sud. En fait, on constate un déclin à moyen et long terme du nombre des participants aux manifestations anti-japonaises. Contrairement à ce qui se passe en Chine, où de telles manifestations à grande échelle se produisent de temps en temps, on ne voit pas, dans la Corée du Sud d’aujourd’hui, de grandes foules descendre dans la rue pour dénoncer le Japon.
Il en allait tout autrement dans le passé. Jusqu’aux alentours des années 1980, les participants aux manifestations de ce genre se comptaient par dizaines de milliers. Mais aujourd’hui, même le 15 Août, anniversaire de la libération de la Corée de la tutelle japonaise en 1945, n’attire qu’un petit millier de personnes, au grand dam des organisateurs de cet évènement.
La taille modeste des manifestations hostiles au Japon apparaît encore plus clairement si on les compare à des manifestations organisées pour d’autres raisons. Celles, par exemple, qui ont eu lieu en 2008 pour protester contre les importations de bœuf en provenance des États-Unis, ont rassemblé jusqu’à des centaines de milliers de participants et, des dizaines de milliers de gens ont défilé en 2013 pour protester contre la manipulation supposée de l’élection présidentielle de 2012 par des membres des services secrets.
On peut même dire que l’« hostilité au Japon » est devenue un motif de manifestation impopulaire en Corée du Sud. Aujourd’hui, la participation à ces manifestations est même beaucoup plus faible que lors de la « vague anti-sud-coréenne » organisée en 2011 contre la télévision Fuji, manifestation qui aurait regroupé plus de trois mille protestataires venus dénoncer la présence « excessive » de la Corée du Sud dans la programmation de l’une des grandes chaînes de télévision du Japon. Il serait dangereux d’ignorer ces faits et d’accorder trop d’importance au mouvement d’hostilité au Japon en Corée du Sud.
L’évolution de l’attitude des Sud-Coréens vis-à-vis de M. Abe
Avant son mandat actuel, Abe Shinzô avait déjà été premier ministre pendant un an, à partir de septembre 2006. L’attitude des médias sud-coréens envers sa personne et son gouvernement était alors très différente de celles qu’ils affichent en 2013. En 2006, quand M. Abe est arrivé au pouvoir, le gouvernement comme les médias sud-coréens voyaient la nouvelle équipe au pouvoir sous un jour favorable et nourrissaient l’espoir que son arrivée aux commandes entraînerait une amélioration des relations bilatérales, qui s’étaient détériorées sous le mandat de Koizumi Junichirô (2001-2006). Pourquoi les Sud-Coréens ont-ils aujourd’hui une image beaucoup plus négative de M. Abe ? On comprendrait mieux si ce dernier avait changé d’attitude entre 2006 et 2013 en ce qui concerne le litige territoriale ou les perceptions de l’histoire. Mais dès l’époque de son premier mandat, M. Abe a laissé savoir qu’il voulait « rompre clairement avec le régime d’après-guerre » et formulé à de nombreuses reprises les réserves que lui inspiraient tant la déclaration, faite en 1993 par le secrétaire en chef du cabinet Kôno Yôhei, à propos des « femmes de réconfort », que les excuses pour les agissements du Japon pendant la guerre exprimées par le premier ministre Murayama Tomiichi en 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale. Et il ne s’est pas non plus montré enclin au compromis sur la question du litige territorial.
Faut-il pour autant imputer l’évolution observée entre 2006 et aujourd’hui au fait que, à l’époque du premier mandat de M. Abe, l’attitude des Sud-Coréens en ce qui concerne l’interprétation de l’histoire et le litige territorial était plus accommodante ? En fait, cette forme d’indulgence n’était pas de mise à l’époque. Roh Moo-hyun, qui était alors président, s’était engagé à entreprendre un réexamen de l’histoire (allant, selon toute vraisemblance, dans le sens d’un durcissement des positions sur les désaccords avec le Japon) et, quand le gouvernement de M. Koizumi a envoyé un navire de surveillance dans les eaux avoisinant les îlots Takeshima, il a donné l’ordre de l’arrêter, même s’il fallait pour cela l’éperonner et le couler. Ses idées politiques progressives faisaient en outre de M. Roh un homme très éloigné de M. Abe sur le plan idéologique, davantage en tout cas que Mme Park, l’actuelle présidente, qui est une conservatrice. Cela ne pouvait pas faciliter le dialogue bilatéral au sommet.
Il n’en reste pas moins que le gouvernement et les médias sud-coréens ont fait montre d’indulgence à l’égard de M. Abe à l’époque de son premier mandat. La raison en est claire : les Sud-Coréens considéraient alors que la coopération avec le Japon était nécessaire dans le domaine économique comme dans celui de la sécurité.
L’arrière-plan de l’ancienne attitude conciliante des Sud-Coréens
C’est dans le domaine économique que l’importance du Japon apparaît le plus clairement. Le graphique de la Figure 1, qui représente les parts occupées par le Japon, les États-Unis et la Chine dans les échanges internationaux de la Corée du Sud, montre bien que la part du Japon enregistre un déclin à long terme depuis la fin des années 1970, ce qui implique une diminution de l’importance économique de ce pays pour la Corée du Sud. On remarquera en outre que ce recul n’est pas imputable à la stagnation de l’économie japonaise observée depuis les années 1990. La preuve en est que, même dans les années 1980, au point culminant du boom économique du Japon, la part prise par ce pays dans le commerce international de la Corée du Sud était inférieure aux chiffres enregistrés dans la décennie précédente, et les échanges avec les États-Unis pendant ces mêmes périodes ont suivi une trajectoire similaire.
Pour dire les choses autrement, la raison du déclin de l’importance économique du Japon pour la Corée du Sud est à chercher dans l’évolution de la situation, non pas dans l’Archipel, mais sur la Péninsule. Jadis, du fait de la division de celle-ci pendant la guerre froide, la Corée du Sud n’était pas en mesure de trouver d’autres partenaires économiques que les États-Unis et le Japon. Mais avec la fin de la guerre froide, elle a pu nouer des liens commerciaux avec la Chine et d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est. Son propre développement et la mondialisation de l’économie ont en outre alimenté une spectaculaire augmentation du nombre de ses partenaires économiques, avec pour résultat une nette diminution de sa dépendance à l’égard du Japon et des États-Unis.
Ceci, toutefois, ne suffit pas à pleinement rendre compte du changement intervenu entre 2006 et 2013. Le poids de l’économie japonaise avait déjà considérablement baissé en 2006, et il ne semble pas que la Corée du Sud ait eu besoin d’avoir des égards pour le Japon. Le fait important dans ce contexte est qu’en 2006 moins d’une décennie s’était écoulée depuis la crise monétaire qui avait balayé l’Asie de l’Est en 1997. Les Sud-Coréens redoutaient l’éventualité d’une nouvelle crise, et c’est cette inquiétude qui a poussé le président Roh à adopter des politiques économiques néolibérales totalement contraire à sa propre idéologie. Pour la Corée du Sud de cette époque, qui voulait être à même de faire face à l’éventualité d’une nouvelle crise monétaire, il était essentiel d’entretenir de bonnes relation avec le Japon, première puissance économique de l’Asie de l’Est.
La Chine passe du statut d’ennemi potentiel à celui d’ami le plus important
Les changements intervenus dans le domaine de la sécurité constituent un autre élément déterminant dans la différence entre la Corée du Sud de Roh Moo-hyun (2003-2008) et celle Park Geun-hye, la présidente actuelle. À l’époque où M. Roh était aux commandes, l’un des principaux objectifs stratégiques de la politique de la nation consistait à faire en sorte que la Corée du Sud joue un rôle de « modérateur », autrement dit qu’elle contribue, par son comportement, au maintien de l’équilibre entre les États-Unis et la Chine, les deux puissances entre lesquelles elle était prise en étau, et prévienne ainsi le déclenchement des crises sécuritaires en Asie du Nord-Est.
Il est deux facteurs clés qu’il faut avoir présents à l’esprit à cet égard. Le premier est que l’idée de jouer un rôle de « modérateur », dans la perspective, semble-t-il, d’amener les États-Unis et la Chine à une position de neutralité, reposait dans le même temps sur l’hypothèse d’une confrontation entre ces deux puissances.
Le second point important est la détérioration des relations entre Séoul et Washington sous le présidence de M. Roh. En 2003, les États-Unis ont retiré une partie des forces qu’ils avaient déployées sur la ligne de front face à la Corée du Nord, pour les envoyer combattre en Iraq. Dans le même temps, divers événements, dont le premier essai nucléaire de la Corée du Nord en 2006, sont venus aggraver les tensions avec ce pays. On voit donc que le paysage sécuritaire n’était pas favorable à la Corée du Sud.
Cette situation dangereuse tendait tout naturellement à pousser les gouvernements sud-coréens à chercher à se réconcilier avec Tokyo. Le Japon, avec les nombreuses bases américaines qu’il héberge, était en effet voué à jouer un rôle crucial en cas de crise sécuritaire grave sur la péninsule coréenne. C’est pourquoi en 2006, quand M. Abe est arrivé au pouvoir, les médias sud-coréens, notamment ceux du camp conservateur, où les questions sécuritaires suscitent beaucoup d’intérêt, y ont vu une opportunité de faire avancer la restauration des liens bilatéraux, même si la position idéologique de M. Abe le plaçait plus à droite que M. Koizumi.
En 2013, en revanche, la situation avait grandement changé. Dès son arrivée au pouvoir au mois de février, Park Geun-hye, dont la position pro-chinoise est bien connue, a proclamé à plusieurs reprises son intention d’adopter une politique de renforcement des liens avec Pékin. Si bien que, sous son gouvernement, la Chine a acquis une telle importance pour la Corée du Sud que non seulement elle est passée devant le Japon mais elle rivalise avec son allié, les États-Unis. Dans le même temps, Pékin a apporté son soutien au gouvernement pro-chinois de Séoul et, quand Mme Park s’est rendue en Chine, elle y a reçu un accueil beaucoup plus chaleureux qu’aucun autre président sud-coréens avant elle.
Pour dire les choses simplement, sous la présidence de Mme Park, la Chine est passée pour la Corée du Sud du statut d’ennemi potentiel à celui d’ami le plus important.
Le Japon est désormais vu comme un obstacle
L’amélioration des relations entre Séoul et Pékin a aussi exercé une influence notable sur la politique de la Corée du Sud vis-à-vis de son voisin du Nord. L’attitude conciliante qui prévalait sous les présidences de Kim Dae-jung (1998-2003) et Roh Moo-hyun a laissé place à une position plus dure avec l’arrivée au pouvoir de Lee Myung-bak (2008-2013), qui a remis au premier plan la coopération avec les États-Unis et le Japon. Il faut toutefois préciser que ces politiques apparemment opposées avaient un point commun : aucune d’entre elles n’accordait un rôle actif à la Chine. Dans un cas comme dans l’autre, la Corée du Sud considérait que la Chine constituait pour elle une entrave dans sa quête de réunification et un rival en termes d’influence sur la Corée du Nord.
Sous la présidence de Mme Park, en revanche, Séoul voit Pékin, non plus comme un rival, mais comme un collaborateur dans la politique adoptée vis-à-vis de Pyongyang. Cette évolution majeure de la politique sécuritaire de la Corée du Sud l’a amenée à changer sa façon de voir le Japon. La Chine n’étant plus considérée comme un adversaire, c’est la Corée du Nord qui occupe désormais la première place dans les préoccupations sécuritaires de la Corée du Sud, laquelle jouit d’une avance substantielle sur son voisin en termes d’armements conventionnels. Les armes nucléaires de celui-ci constituent, bien entendu, un problème séparé, mais le parapluie nucléaire américain suffit à contrer cette menace. Or, si toute possibilité de conflit conventionnel de grande échelle avec la Corée du Nord est écartée, il n’est plus nécessaire d’accorder une considération particulière au Japon sous prétexte qu’il héberge sur son sol des bases militaires américaines.
En fait le Japon, qui est en conflit avec la Chine à propos des îles Senkaku, est devenu un obstacle pour la Corée du Sud. Si le litige à propos de ces îles venait à s’envenimer et que les États-Unis étaient amenés à entrer en lice, les fondements mêmes de la politique sécuritaires de Séoul, qui repose sur les liens étroits avec Washington comme avec Pékin, s’en trouveraient mis à mal. Il est donc de l’intérêt de la Corée du Sud de semer la discorde entre le Japon et les États-Unis. Voilà pourquoi la présidente Park n’hésite pas à s’en prendre au Japon et à mettre sur la table la question des perceptions de l’histoire même lorsqu’elle s’adresse à des Américains.
Les médias conservateurs sud-coréens soutiennent fermement la politique sécuritaire du gouvernement de Mme Park. La Chine compte désormais pour 25 % dans le commerce international de la Corée du Sud, un chiffre supérieur à la part cumulée du Japon et des États-Unis. Et le commerce occupe une telle place dans son économie que ce chiffre correspond à plus d’un quart de son produit intérieur brut. Cette lourde dépendance vis-à-vis de la Chine a poussé les milieux d’affaire sud-coréens à mettre au premier plan les relations avec ce pays, et c’est ce qui a incité les médias conservateurs à changer de ton.
Les commentaires sur la menace chinoise, jadis fréquents dans les médias conservateurs sud-coréens, ont peu à peu disparu et le courant dominant véhicule désormais des messages qui insistent sur l’importance des liens amicaux avec la Chine. Quant au gouvernement conservateur de Mme Park, il est tout naturel qu’il subisse l’impact de cette tendance des médias du même bord.
Le mécanisme de restauration des liens ne fonctionne plus
Le point clé, c’est que la situation a grandement changé en Corée du Sud entre les deux mandats de M. Abe, sans oublier que le Japon a perdu beaucoup d’importance pour ce pays, avec pour conséquence un accroissement de la fréquence probable des poussées de tension liées aux perceptions de l’histoire ou au litige territorial. La meilleure façon de comprendre cela est sans doute d’avoir recours à un outil comme le modèle que je propose en Figure 2. L’importance des questions historique et territoriale pour la Corée du Sud a tendance à décliner au fil du temps. L’ère coloniale s’inscrit dans un passé de plus en plus lointain et, à mesure de la maturation de la société sud-coréenne, les sujets auxquels s’intéresse le public se diversifient. Telle est l’explication de l’inexorable déclin à long terme du nombre des participants aux manifestations antijaponaises.
Dans le même temps, toutefois, le recul de l’importance du Japon pour la Corée du Sud procède à un rythme encore plus rapide. Dans les années 1970, le Japon jouait un rôle clé pour la Corée du Sud non seulement sur le plan économique mais aussi sur celui de la sécurité. C’est pourquoi, quand il se produisait de fortes explosions d’hostilité envers le Japon, il se trouvait des gens pour prendre promptement des initiatives en vue d’apaiser les choses. Les intérêts concrets pesaient plus lourd que les pulsions nationalistes. Mais, maintenant que la relation bilatérale n’est plus aussi essentielle aux yeux de la Corée du Sud, ce mécanisme a cessé de fonctionner.
Si l’intérêt des Sud-Coréens pour les questions historique et territoriale est en train de décliner, il n’est pas pour autant sur le point de disparaître. Dans l’état actuel des choses, si l’importance des relations avec le Japon tombe au-dessous d’un certain seuil, les gens qui auraient pu prendre des initiatives pour les restaurer s’en garderont bien, de peur de subir un retour de bâton sous la forme d’une explosion de sentiments nationalistes. Ils auraient plus à perdre qu’à gagner en tentant quoi que ce soit. Cet état de fait explique parfaitement pourquoi le gouvernement de Mme Park ne va rien faire en vue d’améliorer les relations avec Tokyo, aussi gravement qu’elles puissent se détériorer, et aussi bas que puisse tomber le nombre des participants aux activités anti-japonaises.
Que doit faire le Japon ?
Si tel est le cas, la ligne de conduite que doit adopter le Japon est claire. Dans la mesure où l’état actuel de la relation bilatérale est dû, non pas à la personne de la présidente Park ou à un organe particulier des médias, mais à des mutations structurelles de l’environnement international au sein duquel évolue la Corée du Sud, les mesures employées autrefois pour améliorer les liens ne sont plus d’aucun secours. En témoigne l’échec de l’initiative prise par le gouvernement actuel de M. Abe peu après son arrivée au pouvoir. Le message que Tokyo a voulu faire passer à Séoul était fondé sur la « diplomatie des valeurs », avec une forte insistance sur les valeurs démocratiques que partagent le Japon et la Corée du Sud.
Dès le départ, les chances de voir Park Geun-hye faire bon accueil à ce message étaient nulles. Il impliquait inévitablement une relation d’opposition avec la Chine, qui ne partage pas ces valeurs. Or la présidente Park, nous l’avons vu, accordait une grande importance aux liens de la Corée du Sud avec ce pays. Son gouvernement n’avait aucune raison d’accepter une invitation à faire cause commune avec le Japon.
Le choix du Japon se limite à deux possibilités. Soit il s’efforce de trouver une solution aux questions historique et territoriale et de leur faire perdre de leur prépondérance ; soit il entreprend de renforcer l’importance du Japon pour la Corée du Sud dans d’autres domaines. Si la situation interne du Japon fait de la première hypothèse un choix difficile, il n’a pas d’autre option que la seconde. N’oublions pas que le Japon reste un grand pays, qui se place au troisième rang mondial par la taille de son économie. Cela nous donne une belle marge de manœuvre. Nous pouvons, par exemple, offrir un accès à notre immense marché par le biais d’un accord de libre-échange. Une autre idée consisterait à mettre en place un dispositif sécuritaire plus performant pour la Corée du Sud, en encourageant les États-Unis à intégrer pleinement l’armée sud-coréenne dans l’alliance nippo-américaine.
La balle est désormais dans le camp du Japon. Le défi auquel nous sommes confrontés s’adresse, me semble-t-il, à notre intelligence : nous devons trouver une façon de mettre à contribution notre influence latente pour améliorer la relation bilatérale.
(D’après un original en japonais écrit le 11 décembre 2013. Photo de titre : devant l’ambassade du Japon à Séoul, un Sud-Coréen lit une déclaration reprochant au Japon d’avoir affirmé sa souveraineté sur les îlots Takeshima [Dokdo], qui font l’objet d’un litige. =Yonhap/Aflo)
Corée du Sud histoire relations Takeshima Yasukuni femmes de réconfort