Yasukuni et les morts au combat pendant la guerre

Le sanctuaire Yasukuni et les criminels de guerre

Politique

Chaque été, les médias rapportent que des politiciens japonais se sont rendus au sanctuaire Yasukuni où sont vénérés des criminels de guerre, et cela ne manque pas de susciter des controverses. Comment ce sanctuaire shintô en est-il arrivé à diviniser des criminels ? Qui sont ces hommes coupables de crimes de guerre ? Higurashi Yoshinobu, spécialiste de la question, nous éclaire.

L’inclusion des criminels de guerre de classe B et C

Au moment où la divinisation des morts pour la patrie était presque terminée, la question de celle des criminels de guerre est aussi entrée dans sa phase finale. En mai 1958 tous les condamnés pour crimes de guerre qui effectuaient leur peine à la prison de Sugamo ont bénéficié de mesures de libération conditionnelle et leurs peines se sont toutes achevées à la fin de la même année. L’inclusion des criminels de guerre dans le registre du sanctuaire Yasukuni est alors devenue une question pratique.

Le Bureau d’aide aux rapatriés du ministère de la Santé et des affaires sociales auquel appartenaient de nombreux anciens soldats y était particulièrement favorable. Il décida de commencer par inclure les criminels de guerre de classes B et C pour éviter d’attirer l’attention. C’est en mars 1959 qu’il envoya les premières fiches les concernant.

Le Yasukuni accepta immédiatement ces demandes et décida en avril de la même année de diviniser 346 criminels de classes B et C. Avec les trois envois qui eurent lieu entre cette date et octobre 1967, leur nombre total passa à 984. Ces décisions furent prises sans solliciter l’aval des familles des défunts (certaines d’entre elles ne souhaitaient pas que l’âme de leur défunt soit confiée au sanctuaire).

Une approche très prudente pour les criminels de classe A

Comme on vient de le voir, l’inclusion des âmes des criminels de guerre de classe B et C, qui étaient pour la plupart des gens peu ou pas connus, fut menée avec beaucoup de précaution.

En février 1966, lorsque ce processus était bien avancé, le ministère de la Santé et des affaires sociales adressa au sanctuaire douze fiches concernant des criminels de guerre de classe A. Il s’agissait de sept condamnés exécutés par pendaison (Doihara Kenji, Hirota Kôki, Itagaki Seishirô, Kimura Heitarô, Matsui Iwane, Mutô Akira, and Tôjô Hideki), et de cinq autres morts en prison. Les cas de Matsuoka Yôsuke et Nagano Osami qui furent aussi poursuivis pour crimes de guerre de classe A mais moururent en prison avant d’être condamnés furent traités séparément.

Le Bureau d’aide du ministère et le sanctuaire Yasukuni convinrent en janvier 1969 d’inclure les criminels de guerre de classe A dans le registre mais d’éviter que cela se sache à l’extérieur. Leur divinisation tarda cependant à se réaliser.

Les dirigeants du sanctuaire adoptèrent une résolution en ce sens et firent pression pour que cela se fasse. Pour eux, ne pas inclure les âmes des criminels de guerre de classe A équivalait à accepter les procès de Tokyo, dont ils niaient la légitimité. Mais la décision finale sur la divinisation revenait au prêtre principal du sanctuaire, Tsukuba Fujimaro, un ancien membre de la famille impériale, qui souhaitait la retarder le plus possible.

Le tour de passe-passe du nouveau prêtre principal

Tsukuba Fujimaro mourut subitement en mars 1978. Son successeur, Matsudaira Nagayoshi nommé en juillet de la même année, était un partisan du rejet des procès de Tokyo et de l’idéologie selon laquelle la vision de l’histoire attribuant l’entière responsabilité de la guerre au Japon était inacceptable. Le 17 octobre 1978, moins de trois mois après son entrée en fonction, il procéda à la divinisation secrète des quatorze criminels de guerres de classe A, y compris Matsuoka Yôsuke et Nagano Osami.

La presse révéla cette initiative dès avril 1979 mais la nouvelle ne fit pas scandale à l’époque. La visite au sanctuaire de Nakasone Yasuhiro, alors premier ministre, le 15 août 1985, à l’occasion du quarantième anniversaire de la fin de la guerre, lui valut cependant de virulentes critiques de la part des pays voisins.

L’année suivante, Nakasone renonça à retourner au sanctuaire en affirmant que sa décision était motivée par sa volonté de ne pas offenser le dirigeant chinois Hu Yaobang. Il n’en demeure pas moins que la visite officielle qu’il avait effectuée l’année précédente est à l’origine de la spirale négative qui continue à avoir un impact néfaste sur les relations du Japon avec ses voisins chaque fois qu’un premier ministre japonais se rend dans le sanctuaire.

La décision d’inclure dans le registre du Yasukuni les criminels de guerre de classe A avait indéniablement une dimension politique qui dépassait les simples motivations religieuses. Elle exprimait une position idéologique qui rejetait en bloc des procès de Tokyo et avait pour but de justifier et légitimer le passé controversé du Japon.

(Photo de titre : Aflo)

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