Yasukuni et les morts au combat pendant la guerre

Le sanctuaire Yasukuni et les criminels de guerre

Politique

Chaque été, les médias rapportent que des politiciens japonais se sont rendus au sanctuaire Yasukuni où sont vénérés des criminels de guerre, et cela ne manque pas de susciter des controverses. Comment ce sanctuaire shintô en est-il arrivé à diviniser des criminels ? Qui sont ces hommes coupables de crimes de guerre ? Higurashi Yoshinobu, spécialiste de la question, nous éclaire.

Les procès de Tokyo, les seuls à juger des criminels de classe A

Dans le cas du Japon, seuls les procès de Tokyo (c’est-à-dire le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient qui a fonctionné de 1946 à 1948), dans le cadre desquels onze pays alliés ont jugé vingt-huit dirigeants japonais, ont poursuivi des accusés de classe A.

Étant donné que les crimes de classe A sont des crimes liés à des mesures prises à un niveau élevé puisqu’il s’agit d’ouvrir les hostilités, les vingt-huit accusés étaient des dirigeants de l’État, ministres et généraux. Du point de vue de leur rang dans la société ou de leurs titres, ces accusés étaient des personnalités plus importantes que ceux poursuivis pour des crimes de classe B ou C (les accusés des procès de Tokyo étaient inculpés non seulement de crimes de classe A mais aussi de classe B et C).

Les autres procès organisés par les Alliés dans les autres pays ont été menés par des tribunaux militaires poursuivant uniquement des criminels de guerre de classe B et C. Les actions contrevenant aux lois de la guerre comme les mauvais traitements infligés aux prisonniers ont été jugées par les tribunaux militaires de pays donnés, dans lesquels les accusés étaient en majorité de simples soldats ou des sous-officiers. Selon les statistiques du ministère de la Santé et des affaires sociales (aujourd’hui ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales), le nombre total d’accusés de crimes de classe B et C était de 4830 (dans ce total ne sont pas inclus les accusés morts pendant leur procès).

Circonstances de la divinisation au sanctuaire Yasukuni

Quelles sont les raisons pour lesquelles les âmes des criminels de guerre sont vénérées au Yasukuni ? Pourquoi l’opinion publique y était-elle favorable ?

Le sanctuaire Yasukuni a été créé pour célébrer les âmes des morts pour la patrie. Pendant la guerre, de nombreux soldats japonais se promettaient de se revoir là-bas. Être divinisé dans ce sanctuaire établit que l’on est mort pour la patrie, et que cette mort est respectable.

Avant même la fin de l’occupation du Japon, les condamnés pour crimes de guerre qui allaient être exécutés comme leurs familles aspiraient à ce que leurs âmes soient confiées à ce sanctuaire.

La fin de l’occupation, c’est-à-dire le retour du Japon à la souveraineté, a constitué un tournant. En mai 1952, le ministère de la Justice a publié une circulaire qui annulait le dispositif stipulant qu’un criminel de guerre devait être traité de la même manière qu’une personne ayant été condamnée par un tribunal et restaurait leurs droits civiques.

À partir de 1953, un amendement à la loi relative à l’assistance publique assimila les criminels de guerre condamnés à mort ou morts en prison aux personnes mortes pour la patrie. Sous la pression de l’Association des familles des défunts créée en 1947, le ministère de la Santé et des affaires sociales et le sanctuaire Yasukuni ont entamé en 1956 une « coopération pour l’inscription sur le registre des esprits héroïques. »

Le poids des anciens soldats au sein du ministère de la Santé

Comment expliquer l’implication de ce ministère dans le travail du sanctuaire ?

Avant la guerre, le Yasukuni était une institution nationale spéciale placée sous l’autorité conjointe des ministères de l’Armée, de la Marine, et de l’Intérieur, et la tâche de préparer les registres des personnes dont les âmes seraient divinisées incombait aux deux premiers.

Après la guerre, en septembre 1946, ce sanctuaire est devenu une organisation religieuse privée, conformément au principe de la séparation de la religion et de l’État inscrit dans l’article 20 de la Constitution japonaise. Comme le sanctuaire était incapable d’établir sans aide extérieure l’identité des morts pour la patrie ou des criminels de guerre exécutés, il a dû faire appel aux services de l’État pour ces recherches.

Après la suppression en 1945 des ministères de l’Armée et de la Marine dans le cadre de la démilitarisation du Japon menée par l’armée d’occupation, le ministère de la Démobilisation a été créé pour traiter les affaires en suspens. Suite à plusieurs réorganisations administratives, le Bureau d’aide aux rapatriés du ministère de la Santé et des affaires sociales (transformé en Bureau d’assistance du même ministère en 1961) s’est vu confier l’assistance aux militaires et aux criminels de guerre. C’est de cette façon que de nombreux anciens militaires sont entrés dans le Bureau d’aide aux rapatriés.

La procédure pour tenir le registre des personnes dont les âmes sont accueillies dans le sanctuaire est la suivante :

  1. Le sanctuaire Yasukuni demande aux autorités nationales des renseignements sur les morts à la guerre.
  2. Le ministère de la Santé et des affaires sociales informe les autorités régionales de ces requêtes et leur demande de faire les recherches nécessaires. La tâche de vérifier que les personnes mentionnées sont effectivement décédées est confiée aux municipalités.
  3. Le ministère collecte les résultats de ces enquêtes et rédige des fiches pour chaque personne à inclure dans le registre qu’il envoie ensuite au Yasukuni.
  4. Le sanctuaire prend la décision de les inscrire dans son registre.

C’est de cette façon que « le registre des morts liés à la Grande Guerre de l’Asie de l’Est » a été quasiment achevé en avril 1959 lors d’une célébration spéciale.

Suite > L’inclusion des criminels de guerre de classe B et C

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