Yasukuni et les morts au combat pendant la guerre

La commémoration des victimes de la guerre au Japon

Politique Société

La commémoration des victimes de la guerre au Japon, dans sa version moderne, prend sa source dans les conflits qui ont accompagné la restauration du pouvoir impérial au XIXe siècle. Ces conflits sont à l’origine de la construction du sanctuaire Yasukuni — lieu du culte dédié, au niveau national, aux Japonais morts en combattant pour l’empereur —, mais aussi de l’émergence de divers rituels et monuments locaux. Ce double dispositif s’est perpétué jusqu’aujourd’hui.

La suite des événements après guerre

Après la défaite, choqués de voir leur pays réduit en cendres et traumatisés par l’hécatombe provoquée par le conflit, les Japonais ont changé radicalement de valeurs et de point de vue sur la guerre. Ils ont adopté une tournure d’esprit pacifique, fondée sur le regret, la contrition et le désir de paix. Suite à ce revirement, de nouvelles installations de commémoration des victimes de la guerre ont vu le jour et des victimes issues de toutes les couches de la population ont été intégrées dans les cérémonies à la mémoire des morts.

En 1959, le cimetière national de Chidorigafuchi a été ouvert à Tokyo pour servir de dernière demeure aux victimes de la guerre tombées outre-mer. Au niveau national, il est le seul lieu officiel dédié à la commémoration des victimes de la guerre. Mais un certain nombre d’autres installations ont été fondées pour honorer la mémoire de certaines catégories particulières de victimes, dont un cimetière à Okinawa pour les victimes des combats qui se sont déroulés dans la région et des mémoriaux pour la paix dédiés aux victimes de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki, tandis que des monuments étaient élevés outre-mer pour les soldats tombés sur divers champs de bataille ou morts en détention en Sibérie.

C’est au cimetière national de Chidorigafuchi que se trouve le Hall hexagonal qui, en date de mai 2013, abritait les restes de 358 260 soldats et civils.

Il existe un grand nombre d’autres installations commémoratives locales, fondées par les autorités et divers institutions et organismes. À titre d’exemples, on peut citer le Musée du mémorial pour la paix de Hiroshima, le Parc mémorial pour les victimes de la guerre de Tokyo, le Hall mémorial de Tokyo, le Cénotaphe pour les victimes des raids aériens de la guerre du Pacifique, le Hall mémorial pour la paix de la colonie de Mandchourie-Mongolie, le Musée de la paix de Chiran pour les pilotes kamikaze et le Hall mémorial des Kaiten (les hommes morts aux commandes des « torpilles humaines »). En dehors du sanctuaire de Yasukuni et des gokoku jinja fondés avant la guerre, il existe aussi des installations religieuses plus récentes, telles que la Pagode Nihon Chûreiden du Zenkôji, célèbre temple bouddhiste de Nagano, où la mémoire des victimes de la guerre est célébrée.

Au cours de la période qui a suivi la guerre, la célébration de la mémoire des victimes de la guerre a aussi donné lieu à des cérémonies dans lesquelles étaient inclus des civils. En témoigne au premier chef la Cérémonie commémorative pour les victimes de la guerre organisée par l’État le 15 août de chaque année, date anniversaire de la fin des hostilités. Cette cérémonie, qui est dédiée à la mémoire des victimes des affrontements qui ont commencé en 1937, au début de la guerre, ne prend pas en compte les victimes des guerres précédentes menées par le Japon impérial. La commémoration de ces dernières est laissée à la libre décision des autorités ou des collectivités locales et des groupes de citoyens ayant des liens avec les victimes. Le plus gros des cérémonies commémoratives célébrées dans ce cadre s’appuient sur des formes japonaises traditionnelles.

Pour résumer, la commémoration des victimes de la guerre au Japon a son origine dans les rites consacrés aux « loyaux serviteurs » morts au service de leurs seigneurs. C’est ainsi qu’elle a hérité d’une double configuration, avec d’un côté le centre (le pouvoir impérial) et de l’autre les régions (les anciens domaines féodaux). Les logiques fondamentales sur lesquelles reposaient ces deux dispositifs diffèrent selon qu’on se place au niveau local ou au centre. Depuis lors, ces deux dispositifs coexistent sur un mode complémentaire. On peut ajouter que cet ensemble de caractéristiques de la commémoration à la japonaise est enraciné dans les traditions culturelles du pays.

(Photo de titre : Mainichi Shimbun /Aflo)

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