La démocratie parlementaire japonaise

Pourquoi les chefs de gouvernement sont si éphémères en Italie et au Japon

Politique

Ikeya Tomoaki [Profil]

Dans les années 1990, le Japon et l’Italie ont tous les deux introduit dans leurs systèmes électoraux des circonscriptions uninominales avec le même but, parvenir au bipartisme. Comparer ces deux pays qui se ressemblent à certains égards, notamment par l’instabilité de leurs gouvernements, permet de mettre en évidence les spécificités du système politique japonais.

Italie : les partis se multiplient, la coalition au pouvoir change à chaque élection

En Italie, les premières après la réforme du système électoral, celles de 1994, ont vu la victoire d’une coalition entre le centre et la droite, celles de 1996, d’une coalition entre le centre et la gauche, et celles de 2001 le retour d’une coalition droite-centre. En 2005, le système a à nouveau été modifié, devenant un système proportionnel avec un bonus accordé au parti arrivé en tête. Les élections de 2006 ont conduit à une coalition gouvernementale centre-gauche, défaite en 2008 par une coalition centre-droite. Comme les coalitions changent à chaque élection, il est naturel que le chef de l’exécutif change aussi. Cette alternance du pouvoir signifie que les réformes du système électoral ont abouti au résultat recherché. Le problème est qu’aucune de ces coalitions ne parvient au terme de son mandat de cinq ans, et qu’il y a fréquemment des élections.

Qu’un système bicaméral dans lequel les deux Chambres sont égales fragilise la position du chef du gouvernement est devenu encore plus visible après l’introduction de la proportionnelle à bonus. Celle-ci fonctionne en attribuant des sièges proportionnellement aux votes obtenus, avec un bonus au parti (ou à l’union de partis) ayant obtenu le plus de votes, dans le but de rendre les gouvernements plus stables.

A la Chambre basse, qui compte 630 membres, le gagnant est assuré d’obtenir 340 sièges, mais à la Chambre haute, où le bonus est accordé région par région, il est difficile d’obtenir une majorité stable. Le gouvernement Prodi issu des élections de 2006, n’avait qu’une majorité de deux sièges à la Chambre haute et il s’est effondré lorsqu’un petit parti ne disposant que de trois sièges a quitté la coalition au pouvoir. Lors des élections de cette année, la coalition centre-gauche a remporté la victoire à la Chambre basse sans réussir à obtenir la majorité à la Chambre haute, et deux mois ont été nécessaires pour arriver à la formation d’un gouvernement de grande coalition.

Italie : l’apparition de gouvernements de non-parlementaires

Avec la modification des règles du jeu politique par la réforme du système électoral en 1993 qui a conduit à la disparition des partis politiques traditionnels, notamment par la dissolution de la Démocratie chrétienne, et l’apparition de nouveaux joueurs, à commencer par Forza Italia, un an plus tard, l’Italie pensait passer de sa première république à sa deuxième. Mais même après ce changement, les partis ont continué à se multiplier. La loi électorale de 1993 comme celle de 2005 n’ont abouti qu’à deux formes d’alliances, entre le centre et la gauche, ou entre le centre et la droite. C’est une situation qui n’a rien à avoir avec le bipartisme : 2008 n’a pas été la seule occasion où la désertion d’un petit parti a entraîné la chute d’un gouvernement.

Lorsque cela se produit, et qu’il n’y a pas ensuite d’élections, choisir un nouveau chef de gouvernement est extrêmement difficile. Le président de la République joue alors un rôle essentiel. Il se fait conciliateur entre les partis, et nomme un successeur une fois qu’il a obtenu l’assentiment de leurs dirigeants. Etant donné qu’il n’est pas nécessaire que le chef du gouvernement ou les ministres soient des parlementaires, il arrive que les périls politiques soient contournés grâce à un gouvernement composé de représentants de la société civile. Depuis le gouvernement Ciampi de 1993, l’Italie a connu quatre présidents du conseil des ministres qui n’étaient pas membres du parlement.

Les gouvernements de deux d’entre eux, MM. Dini et Monti, étaient entièrement composés de personnalités ne siégeant pas au parlement. Dans les deux cas, il s’agissait de gouvernements qui n’étaient pas créés avec un objectif précis en termes de mesures politiques, qui ne disposaient pas de base au parlement et n’étaient pas conçus pour garder le pouvoir longtemps puisqu’ils avaient été mis sur pied pour gérer la situation dans l’attente d’élections. Comme nous venons de le voir, si l’Italie voit se succéder de nombreux chefs de gouvernement, c’est parce qu’elle a un système bicaméral dans lequel les deux Chambres ont des pouvoirs égaux, des partis politiques nombreux qui forment des alliances fragiles, et que l’apparition de gouvernements de non-parlementaires augmente la fréquence des élections, ce qui signifie que le problème est un effet pervers de la réforme électorale qui avait pour but de permettre l’alternance au pouvoir.

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Ikeya TomoakiArticles de l'auteur

Professeur à l’Université Waseda, où il enseigne les sciences politiques. Ce spécialiste de politique italienne né en 1960 a été assistant à la faculté de sociologie de Waseda de 1994 à 1996, puis nommé maître de conférence et ensuite professeur à l’Université Takushoku. Il rejoint Waseda en avril 2013.

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