Le Japon et Taïwan : une histoire d’amour compliquée

Comprendre les liens entre le Japon et Taïwan à travers le phénomène des « hari »

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Hari Kyôko [Profil]

À la fin des années 1990, un groupe de fans inconditionnels du Japon a fait son apparition à Taïwan, et il a surpris autant les adultes taïwanais et les Japonais. Hari Kyôko, la figure marquante de cette « tribu » des jeunes, que l’on désigne sous le nom de « hari », nous raconte comment les choses se sont passées.

Les raisons de ma passion pour le Japon

Quand on parle du Japon et de Taïwan, on ne peut pas passer sous silence l’histoire politique des deux pays dans la mesure où l’île de Taïwan a été occupée par le Japon pendant un demi-siècle, de 1895 à 1945. On y voit encore de nombreux édifices construits durant cette période et quantités de traces laissées par les Japonais qui ont vécu sur place. Les Taïwanais ont donc des sentiments mitigés envers le Japon. Pendant l’occupation nippone, ils ont été contraints d’apprendre le Japonais et de vivre conformément au système mis en place par Tokyo. Pour les Taïwanais, le Japon n’est pas seulement le pays des manga ou des sushi.

Pour comprendre pourquoi le phénomène hari a eu une telle ampleur à Taïwan, il faut remonter aux origines des habitants de l’île. Des Chinois originaires du Fukkien — le sud de la province chinoise du Fujian, appelé aussi Min-nan — ont commencé à arriver en grand nombre à Taïwan au XVIIIe et au XIXe siècles. Leurs descendants ont constitué l’essentiel de la population de l’île jusqu’au milieu du XXe siècle. En 1949, une seconde vague de Chinois s’est réfugiée à Taïwan après la défaite des armées du Kuomintang de Tchang Kai-chek (1887-1975) face à celles des communistes. Taïwan abrite par ailleurs une population d’aborigènes d’origine austronésienne et de Hakka, des Chinois originaires de Chine du Sud et parlant un dialecte qui leur est propre. Chacun de ces groupes a une façon de considérer le Japon qui lui est propre. Certains adorent l’Archipel alors que d’autres le détestent.

Pour ma part, je fais partie des descendants de la première vague de Chinois qui est venue s’installer à Taïwan. Mon père est né en 1912 et il a vécu la période de l’occupation japonaise. Quand j’étais enfant, il parlait souvent en japonais et me chantait des chansons originaires de l’Archipel. En hiver, il portait une large ceinture japonaise en laine (haramaki) pour avoir bien chaud. Il marchait avec des socques de bois (geta) et ne sortait jamais sans un chapeau de feutre sur la tête. Bref, il avait tout à fait l’apparence d’un vrai Japonais. Je ne crois pas qu’il détestait le Japon. Chaque fois que je lui annonçais que j’allais l’intention de m’y rendre, il me demandait de lui trouver tel ou tel produit japonais. Quand je lui envoyais un colis contenant une haramaki, des chaussettes traditionnelles (tabi), des remèdes japonais ou des sucreries japonaises, il me téléphonait longuement pour me remercier et me dire à quel point il était content. Il a continué à me parler souvent en japonais, jusqu’à la fin de sa vie. Pour lui, le Japon était quelque chose de beau qui faisait partie intégrante de son passé.

Voyons maintenant pourquoi je me suis pris d’une telle passion pour le Japon. J’ai toujours aimé dessiner, depuis mon plus jeune âge. Étant tombée sous le charme des mangas, j’envisageais de me spécialiser dans les bandes dessinées japonaises. J’ai passé la plus grande partie de mon enfance à Taïwan, du temps où le pays était soumis à la loi martiale, qui n’a été levée qu’en 1987. À l’époque, les informations et les biens en provenance du Japon arrivaient en cachette à Taïwan dans la mesure où l’on ne pouvait y avoir accès que par le biais d’initiatives privées comme la contrebande ou les relations personnelles. On trouvait beaucoup de produits japonais dans les centres commerciaux et les petites librairies regorgeaient de mangas. Quand nous étions petits, mon jeune frère et moi étions persuadés que Doraemon, Ultraman, ou Osomatsu-kun étaient des mangas taïwanais. Nous gardions notre argent de poche pour pouvoir acheter des posters de vedettes japonaises, des cassettes — piratées, cela va de soi — et des revues en provenance de l’Archipel dans un des grands magasins de Taipei. Pour nous, il n’y avait pas de plus grand bonheur.

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Hari KyôkoArticles de l'auteur

Célèbre écrivaine et auteure de manga taïwanaise. Née à Taipei, elle a effectué plus de soixante voyages au Japon où elle a séjourné au total plus de quatre ans. On lui doit de nombreux textes dont Hari Kyôko no Nippon chûdoku (Hari Kyôko ou l’addiction au Japon). Hari Kyôko publie ses œuvres sur Facebook, sur son blog et sur YouTube.

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