Abenomics : les cent premiers jours

Abenomics : changer les mentalités

Politique Économie

Abe Junichi [Profil]

Depuis qu’il a entamé son second mandat de premier ministre en décembre dernier, Abe Shinzô a accordé toute son attention à la politique économique et s’est donné pour objectif de définir une cible d’inflation. Le marché a répondu favorablement et il semble que l’état d’esprit des Japonais soit en train de changer. Le journaliste Abe Junichi dresse ici un bilan des cent premiers jours du gouvernement Abe.

Les négociations du TPP et la stratégie de croissance

Le gouvernement Abe a également tenu à manifester clairement son engagement en faveur du changement dans les domaines qui constituent les deux autres « flèches » du carquois de la politique économique : la relance budgétaire et la stratégie de croissance.

Au mois de juin, le nouveau gouvernement a adopté un train de mesures économiques d’urgence englobant des projets représentant 20 200 milliards de yens (dont 10 300 milliards de dépenses publiques). Dix-sept jours, vacances de fin d’année et du nouvel an comprises, lui auront suffi pour mettre en place ce programme. Désireux de maintenir un flux constant de mesures de relance par voie budgétaire, le gouvernement a rédigé un avant-projet de budget supplémentaire pour l’exercice 2012 (jusqu’en mars 2013) et l’a présenté en tant que « budget pour 15 mois ». Et sa proposition de budget pour l’exercice 2013 se démarquait nettement des pratiques du gouvernement libéral-démocrate qui l’avait précédé, en ce que le poste des dépenses de travaux publics était en nette augmentation – dépenses que le PLD avait régulièrement rognées au cours des trois années passées au pouvoir avec pour mot d’ordre le transfert des dépenses « du béton vers les gens » – ainsi que le poste de la défense, domaine où le Japon se trouve confronté au défi du renforcement de la puissance militaire de la Chine.

En ce qui concerne la stratégie de croissance, le gouvernement s’est vu reproché de ne pas bien coordonner les multiples instances qui se consacrent à cette question, notamment le Conseil pour la politique économique et budgétaire, le Conseil pour la compétitivité industrielle et le Conseil pour la réforme des réglementations, qui tous ont recours à des experts du secteur privé. Lors de la réunion du mois de février du Conseil pour la compétitivité industrielle, les dix membres du secteur privé se sont divisés en deux camps – d’un côté cinq personnes, dont Niinami Takeshi, le président de Lawson, favorables à la mise en œuvre de réformes audacieuses telles que le démantèlement progressif du programme de réduction des surfaces de rizières et l’ouverture totale du secteur agricole à la participation des entreprises commerciales, et de l’autre cinq membres, dont Oka Motoyuki, conseiller principal à Sumitomo Corporation, partisans d’une approche plus graduelle, dans laquelle les réformes seraient d’abord testées dans des zones économiques spéciales. Chacun des deux camps a rédigé un texte pour présenter son point de vue. Les fonctionnaires du secrétariat du conseil se sont trouvés pris dans une lutte d’influence avec les membres du secteur privé et, pour sortir de l’impasse, il a fallu ajouter des membres du secteur privé au personnel du secrétariat et mettre sur pied sept comités spéciaux chargés de se pencher sur des questions particulières.

Le paysage a changé avec la décision du sommet nippo-américain du 22 février à propos de la participation du Japon aux négociations du Partenariat trans-pacifique (TPP) sur le libre-échange. Dans la déclaration commune publiée à cette occasion, le Japon et les États-Unis stipulaient que « pour participer aux négociations du TPP, il n’est pas requis de s’engager au préalable à supprimer unilatéralement tous les droits de douane » ; ce qui a permis à M. Abe de surmonter l’obstacle que constituait l’engagement, pris par le PLD pendant la campagne électorale, de « s’opposer à la participation aux négociations du TPP tant que cette participation sera conditionnée par l’élimination des droits de douane sans exception ». Le 15 mars, le premier ministre a officiellement annoncé que le Japon se porterait candidat pour participer aux négociations du TPP, ce qui a conféré un caractère d’urgence à la question de la réforme du secteur agricole. C’est ainsi que les perspectives de la stratégie de croissance du gouvernement, à laquelle on reprochait de manquer de quoi que ce soit qui puisse attirer l’attention, a fini par accéder au premier plan.

Le changement des mentalités débouchera-t-il sur une reprise à part entière ?

Fin mars, le taux de change entre le yen et le dollar était de 94 yens pour un dollar et l’index Nikkei 225 du cours des actions s’établissait à 12 397 points. Ces chiffres représentaient une baisse de 13 yens pour le premier et une hausse de 37 % pour le second par rapport à leurs niveaux du 16 novembre, jour où le premier ministre Noda a dissout la Chambre des représentants et appelé les électeurs aux urnes.

M. Abe et son équipe n’ignorent pas que la baisse du yen, jusque là surévalué, et la hausse des cours de la Bourse sont en partie imputables à des facteurs extérieurs tels que la reprise américaine et le recul de la crise de la dette en Europe et que le regain d’optimisme a précédé les résultats économiques. Dans l’économie réelle, les dépenses d’équipement ont tout juste commencé à progresser d’une petite marge et les prix des terrains ne font au mieux que donner les signes d’un léger redressement. La reprise à part entière reste une lointaine perspective.

Ceci étant, il est clair que les mentalités sont en train de changer jusqu’à un certain point. Par exemple, quand le gouvernement Abe a pris l’initiative inhabituelle de demander aux entreprises d’augmenter les salaires, certaines ont réagi positivement, y compris Lawson et deux autres grandes chaîne de supermarchés. Cette amélioration de la psychologie économique débouchera-t-elle sur une reprise digne de ce nom ? La réponse va dépendre des détails de la stratégie de croissance que le gouvernement est en train d’élaborer.

(D’après l’original éctit en japonais le 5 avril 2013. Photo de titre : Aflo)

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Abe JunichiArticles de l'auteur

Né en 1961, Abe Junichi est responsable du service enquêtes et recherches du quotidien Yomiuri Shinbun, qu'il rejoint après des études d'économie et de sciences politiques à l'université Waseda. Journaliste économiste, il couvre la politique fiscale, la crise financière, les fusions et acquisitions, les sommets du G8 et du G20, les questions de l'énergie et de l'environnement. Il a co-signé Megachaina honrô sareru sekai uchinaru mujun (Un monde balloté par le géant chinois, une contradiction interne), Editions Chûkô Shinsho, 2011).

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