Abenomics : les cent premiers jours

Abenomics : changer les mentalités

Politique Économie

Abe Junichi [Profil]

Depuis qu’il a entamé son second mandat de premier ministre en décembre dernier, Abe Shinzô a accordé toute son attention à la politique économique et s’est donné pour objectif de définir une cible d’inflation. Le marché a répondu favorablement et il semble que l’état d’esprit des Japonais soit en train de changer. Le journaliste Abe Junichi dresse ici un bilan des cent premiers jours du gouvernement Abe.

La nomination du nouveau gouverneur de la BoJ

Le choix du nouveau gouverneur de la BoJ par M. Abe a encore renforcé l’impression de changement en cours. Parmi les personnalités qui avaient émergé en tant que candidats potentiels figuraient les noms de Mutoh Toshirô (président de l’Institut de recherche Daiwa, ancien vice-misnistre administratif des Finances et vice-gouverneur de la BoJ), Kuroda Haruhiko (président de la Banque asiatique de développement et ancien vice-ministre des Finances pour les Affaires internationales), Iwata Kazumasa (président du Centre japonais de recherche économique, ancien vice-gouverneur de la BoJ) et Iwata Kikuo (professeur à l’Université Gakushûin). Mais M. Abe se trouvait confronté à un problème, du fait que son choix devait obtenir l’approbation des deux chambres de la Diète.

Grâce à sa victoire aux élections de décembre dernier, la coalition au pouvoir, constituée du PLD et du Nouveau Kômeitô, dispose d’une solide majorité à la Chambre des représentants ; mais elle ne détient que 102 des 236 sièges de la Chambre haute (la Chambre des conseillers). Pour obtenir l’approbation de son choix à la Chambre haute, le gouvernement a tout d’abord misé sur le soutien de Votre parti. Or cette petite formation de l’opposition était favorable à l’assouplissement monétaire, mais elle s’opposait à la désignation d’un vétéran du ministère des Finances. Dans le même temps, Asô Tarô, proche allié de M. Abe que celui-ci avait nommé vice-premier ministre et ministre des Finances et à qui il avait également confié la responsabilité de l’Agence des services financiers, convaincu depuis longtemps de la nécessité d’une gestion unifiée des politiques budgétaire et monétaire, était en faveur de M. Mutoh, un vétéran du ministère des Finances.

Dans le cercle rapproché du premier ministre, des voix se sont élevées pour le presser de prendre en considération les enjeux politiques et de se préoccuper en premier lieu d’obtenir l’approbation de la Chambre des conseillers. Mais au moment où ces voix commençaient à se faire entendre, M. Abe a bénéficié d’un encouragement : le taux d’approbation de son cabinet, qui, après deux mois d’une progression ininterrompue consécutive à son inauguration, a atteint 71 % en février (sondage Yomiuri Shimbun). Dans le même temps, certains observateurs en étaient venus à la conclusion qu’Iwata Kazumasa, qui était partisan du programme de relance, avait de bonnes chances de s’imposer comme le candidat le mieux placé pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre, mais Votre parti se prononça contre lui sous prétexte qu’il avait soutenu le mouvement de 2006 visant à mettre fin à l’assouplissement quantitatif, alors qu’il était vice-gouverneur de la BoJ.

M. Kuroda, sur qui M. Abe finit par porter son choix, est un partisan de longue date de la relance, comme en témoigne un article de lui publié dans le Financial Times en 2002 (alors qu’il était vice-ministre des Finances pour les Affaires internationales), article dans lequel il se faisait l’avocat des cibles d’inflation. En septembre dernier, quand M. Abe, alors candidat à la présidence du PLD, se déclara partisan d’un assouplissement monétaire audacieux, M. Kuroda lui apporta son soutien et les deux hommes ne tardèrent pas à nouer des relations étroites. En choisissant M. Kuroda pour prendre la direction de la BoJ, M. Abe donnait satisfaction à M. Asô, qui souhaitait voir cette responsabilité confiée à un ancien du ministère des Finances, mais allait contre les vœux de Votre parti, résolument opposé à la nomination d’un mandarin de ce ministère. Il décida alors de se passer du soutien de cette formation et, misant sur la force que lui procurait le taux élevé d’approbation de son cabinet, de rechercher et d’obtenir le consentement du PDJ et d’autres groupes de l’opposition.

M. Kuroda est certes un ancien du ministère des Finances, mais pas du Bureau du budget, qui a longtemps été considéré comme le centre du pouvoir au sein du ministère. Il a passé une bonne partie de sa carrière à travailler sur la scène internationale et il s’est taillé une réputation d’avocat de la relance. Sa désignation a donc constitué un signal clair de l’engagement résolu de la nouvelle équipe sur le chemin de l’assouplissement monétaire. Dans le même temps, son ancienne appartenance au ministère des Finances a rassuré les acteurs du marché qui commençaient à s’inquiéter que le gouvernement et la BoJ n’aillent trop loin. On voit donc que M. Abe a joué habilement la carte de la désignation du gouverneur de la banque centrale.

Suite > Les négociations du TPP et la stratégie de croissance

Tags

Banque du Japon TPP économie agriculture réforme entreprise stratégie abenomics déflation monétaire

Abe JunichiArticles de l'auteur

Né en 1961, Abe Junichi est responsable du service enquêtes et recherches du quotidien Yomiuri Shinbun, qu'il rejoint après des études d'économie et de sciences politiques à l'université Waseda. Journaliste économiste, il couvre la politique fiscale, la crise financière, les fusions et acquisitions, les sommets du G8 et du G20, les questions de l'énergie et de l'environnement. Il a co-signé Megachaina honrô sareru sekai uchinaru mujun (Un monde balloté par le géant chinois, une contradiction interne), Editions Chûkô Shinsho, 2011).

Autres articles de ce dossier