Abenomics : les cent premiers jours

Abenomics : changer les mentalités

Politique Économie

Depuis qu’il a entamé son second mandat de premier ministre en décembre dernier, Abe Shinzô a accordé toute son attention à la politique économique et s’est donné pour objectif de définir une cible d’inflation. Le marché a répondu favorablement et il semble que l’état d’esprit des Japonais soit en train de changer. Le journaliste Abe Junichi dresse ici un bilan des cent premiers jours du gouvernement Abe.

Cent jours se sont écoulés depuis le début du gouvernement du premier ministre Abe Shinzô, qui semble avoir effectué un bon départ avec sa politique économique, baptisée « Abenomics ». Il est encore trop tôt pour parler de grands changements dans l’économie réelle, mais le yen, jusqu’ici surévalué, a nettement baissé, la bourse est en hausse et le rapport de la Banque du Japon pour le mois de mars sur le climat des affaires à court terme indique, pour la première fois en trois trimestres, une amélioration de la confiance des grandes entreprises.

À quoi tiennent ces phénomènes positifs ? Je crois que le point essentiel réside dans ce qu’en japonais nous appelons keiki, un mot formé de deux idéogrammes chinois dont le premier signifie « paysage » ou « aspect » et le second « esprit », « atmosphère » ou « humeur ». En japonais moderne, c’est surtout dans les discours sur l’économie qu’on rencontre ce mot. Keiki me semble difficile à traduire, du fait de la tonalité psychologique que lui confère le second caractère, mais le terme est emblématique de la vision que les Japonais se font de la situation économique. L’effet des « Abenomics » – et notamment de la proclamation d’un objectif d’inflation de 2 % – sur l’état d’esprit des gens (la psychologie économique, l’économie comportementale) a joué un rôle déterminant dans le bon départ qu’a pris la politique économique du premier ministre, en incitant les gens à remettre en question leur vieille propension déflationniste, autrement dit l’idée que la baisse des prix était faite pour durer.

Dans le mille du premier coup

Les « Abenomics » reposent sur trois points, ou trois « flèches », selon l’expression employée par le premier ministre : assouplissement monétaire audacieux, relance budgétaire dans la souplesse et stratégie de croissance conçue pour encourager l’investissement privé. La seconde flèche – la relance par voie budgétaire – a été utilisée à mainte reprise depuis une vingtaine d’années, et l’état alarmant des finances publiques du Japon suggère qu’il y a des limites à ce que peut faire le gouvernement sur ce front. Quant à la troisième flèche – la stratégie de croissance – elle est vouée à susciter des heurts entre intérêts conflictuels, dont la réconciliation prendra du temps. C’est pourquoi le gouvernement Abe a commencé par accorder la priorité à la première de ses trois flèches, à savoir l’assouplissement de la politique monétaire.

Le 4 avril, cent jours exactement après la formation du gouvernement Abe, la BoJ a adopté un nouveau train de mesures quantitatives et qualitatives d’assouplissement monétaire en conformité avec le programme du premier ministre. Lors de l’annonce de ce train de mesures, Kuroda Haruhiko, le nouveau gouverneur de la BoJ désigné par M. Abe, s’est exprimé très clairement, faisant usage à plusieurs reprises du chiffre « deux » et du mot « double ». Pour atteindre d’ici deux ans sa cible d’inflation de 2 %, la banque centrale va doubler non seulement la base monétaire (le volume total d’argent en circulation, porté d’ici la fin de l’année 2014 à 270 000 milliards de yens), mais encore le rythme de ses achats d’obligations de l’État japonais (qui va dépasser 7 000 milliards de yen par mois) et le montant total de son portefeuille de ces titres (qui va atteindre 190 000 milliards de yen). Le marché a réagi favorablement à ce train de mesures, qui allait au-delà de toutes les attentes. Pour en parler, M. Abe comme M. Kuroda ont utilisé à plusieurs reprises l’expression jigen no chigau, qui veut dire « d’une dimension différente », pour bien faire passer le message que le train de mesures représentait une rupture audacieuse vis-à-vis des politiques précédentes de la BoJ. Ce genre de langage témoigne de la détermination du gouvernement Abe à changer l’état d’esprit de la nation.

Rétrospectivement, on peut dire que l’objectif principal du nouveau gouvernement, dès son accession au pouvoir, a été de fixer une cible d’inflation de 2 %, partagée par l’État et la banque centrale et, pour y parvenir, d’assouplir la politique monétaire. À l’heure de désigner le nouveau gouverneur de la banque centrale, M. Abe a clairement laissé savoir qu’il avait l’intention de choisir quelqu’un qui adhérait à la cible d’inflation qu’il s’était fixée.

C’est en novembre dernier que M. Abe a formulé son appel en faveur d’une cible d’inflation, alors qu’il se trouvait à la tête de l’opposition en tant que président du Parti libéral-démocrate. À l’époque, le premier ministre Noda Yoshihiko (le dirigeant du Parti démocratique du Japon) considérait que ce projet représentait une grave menace pour l’indépendance de la BoJ et Shirakawa Masaaki, le gouverneur en exercice de la BoJ, a tenu à souligner que l’indépendance des banques centrales, acquise au cours d’un long processus historique, était devenue une norme internationale. Le 16 novembre, quand M. Noda a dissout la Chambre des représentants et appelé les électeurs aux urnes en décembre, la politique monétaire est devenue un enjeu de la campagne, ce qui était plutôt inhabituel.

En ce qui concerne l’efficacité ou le bien fondé des cibles d’inflation ou autres mesures hardies conçues pour relancer une économie prise dans une spirale déflationniste, il n’existe aucun consensus, même chez les économistes. Mais la campagne pour les élections générales de décembre a été l’occasion d’un débat à ce sujet, au cours duquel le grand public s’est forgé l’impression que la cible d’inflation souhaitée par M. Abe représentait une nette rupture par rapport à l’approche existante et s’est mis à espérer que l’économie japonaise pourrait peut-être se débarrasser enfin de la déflation.

À l’issue de l’écrasante victoire électorale du PLD, M. Abe a d’emblée demandé à M. Shirakawa, le gouverneur de la BoJ, de se donner pour objectif une cible d’inflation de 2 %. La banque centrale ne pouvait pas ignorer le mandat qu’une campagne dont le programme intégrait la politique monétaire avait conféré à M. Abe. Dès janvier, la BoJ a changé de cap, adopté la cible d’inflation de 2 % et annoncé qu’elle poursuivrait « indéfiniment » sa politique accommodante. Ces décisions ont été rendues publiques sous la forme d’un communiqué conjoint du gouvernement et de la banque. Pour les Japonais, fatigués par des années d’indécision et de paralysie politiques, l’accomplissement de l’engagement, pris par M. Abe pendant la campagne, d’obtenir l’adoption d’une cible d’inflation constituait le signe bienvenu d’un changement de comportement.

Suite > La nomination du nouveau gouverneur de la BoJ

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