La question des manuels d’histoire japonais

Le système des manuels scolaires d’histoire au Japon

Politique Société

Mitani Hiroshi [Profil]

En ce qui concerne le traitement des manuels scolaires, l’inspection pour autorisation des manuels d’histoire au Japon soulève de nombreuses critiques aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Comment les manuels d’histoire utilisés dans l’éducation publique sont-ils réalisés et inspectés ? M. Mitani Horishi, professeur à l’Université de Tokyo, lui-même auteur de manuels d’histoire actuellement utilisés dans les collèges et les lycées, nous explique ce processus.

Adoption par les régions

Nous arrivons ensuite à l’étape de l’adoption. Une fois la barrière franchie, les manuels approuvés peuvent arriver dans les salles de classe des écoles et à portée de la main des élèves. Pour les écoles primaires et les collèges privés (environ 6 % de la totalité des élèves) et nationaux (environ 1 %), et tous les lycées, chaque établisement peut sélectionner parmi les manuels approuvés, mais les écoles primaires et les collèges départementaux et municipaux doivent utiliser les manuels qui ont été sélectionnés par le comité de leur zone d’adoption.

Tout d’abord, un Conseil de sélection des manuels, composé des directeurs des écoles, d’enseignants, de membres du Comité éducatif et de spécialistes, est établi dans chaque département. Sous la direction du conseil de sélection, les enseignants dans chacune des matières procèdent à une étude en tant qu’enquêteurs. Le Conseil de sélection élabore des documents de sélection sur la base de ces rapports d’enquête et il présente un rapport au Comité éducatif. Dans ce système, il faut noter que, par rapport à la procédure d’inspection du ministère de l’Éducation, non seulement les opinions des instituteurs et des professeurs des écoles primaires et collèges et des spécialistes mais également celles des parents d’élèves entre autres, sont souvent prises en considération durant cette procédure de sélection.

L’importance du système des manuels scolaires au Japon

Dans le système des manuels scolaires au Japon, une grande importance est attachée à la transparence de la procédure à l’étape de l’inspection par le ministère de l’Éducation alors que l’accent est mis sur les opinions des citoyens à l’étape de l’adoption dans les régions. En d’autres termes, la procédure de décision transparente et dispersée qui est appliquée convient parfaitement au régime de démocratie libérale du pays tel que défini dans la Constitution du Japon.

Toutefois, ce système n’est pas né immédiatement après la fin de la Seconde Guerre mondiale durant le processus de démocratisation du pays. A partir de la seconde moitié des années 1960, l’inspection des manuels effectuée par le ministère de l’Éducation nationale de l’époque, a provoqué de violents mouvements de protestation tout d’abord parmi les auteurs de textes scolaires, dont Ienaga Saburô, et les employés de maisons d’édition puis par les enseignants des colléges et des lycées. Pour eux, l’inspection du ministère de l’Éducation nationale correspondait à une censure interdite par la Constitution et trois procès ont été intentés. S’ils ont été déboutés pratiquement par tous les tribunaux au départ, ils obtiennent véritablement gain de cause dans les années 1990. Le tribunal a reconnu à ce moment-là que l’inspection par le ministère de l’Éducation était conforme à la Constitution mais que les demandes de révision individuelles du Ministère étaient arbitraires et illégales. Depuis, le ministère de l’Éducation s’est conformé à cette décision et a maîtrisé ses demandes de révision lors de l’inspection.

Deux changements sont intervenus pour expliquer ce contexte. Le premier, c’est que la société japonaise était alors parvenue à un stade où la démocratie libérale était devenue pour elle une valeur évidente. Ce sont des personnes ayant reçu l’éducation démocratique d’après-guerre qui sont devenues cadres du ministère de l’Éducation et un changement de génération s’est également opéré parmi les juges. L’autre changement, ce sont les critiques qui ont commencé à être formulées par les pays voisins sur le contenu des manuels d’histoire japonais à partir des années 1980. À l’époque, les gouvernements cherchaient à faire du Japon une grande puissance politique après l’étape de la grande puissance économique et ils ont par conséquent attaché une attention particulière à la collaboration avec les pays voisins. Les critères d’inspection des manuels scolaires ont donc été révisés afin de répondre à ces critiques et une clause parlant de « la prise en considération des pays voisins » y a été intégrée.

La plus grande transparence du système d’inspection des manuels scolaires et la suppression des interventions arbitraires ont eu en définitive pour résultat de maîtriser les réclamations faites par les pays voisins.

La Corée du Sud et la Chine croyaient au départ qu’à l’instar de leur propre pays où un système de manuels scolaires agréés par le gouvernement est appliqué, le gouvernement japonais avait droit de regard sur le contenu des manuels scolaires. La Corée du Sud et la Chine ont donc fait pression sur le Ministère des Affaires étrangères du Japon pour ce qui est de l’interprétation de l’histoire. Mais ceci s’est avéré en fait être une décision dangereuse. Car autoriser le gouvernement du pays à faire des interventions majeures dans le contenu des manuels scolaires reviendrait en réalité à augmenter les dangers qu’une certaine partie des hommes ou des regroupements politiques au Japon ne modifie les manuels scolaires d’histoire dans une optique nationaliste.

L’existence de ce « piège » a été véritablement mise à jour par le mouvement mené par « l’Association pour la création de nouveaux manuels d’histoire » apparu dans la seconde moitié des années 1990 ou les violents conflits sur les manuels qui ont eu lieu en 2001.

Toutefois, cette nouvelle méthode d’application libérale pour les manuels scolaires formée jusqu’aux années 1990 a été capable de passer sous la barrière de ces violents mouvements politiques et a donc fait preuve de sa solidité. A l’heure actuelle, au Japon, il n’y a pratiquement aucune possibilité pour que des mouvements en vue d’une modification drastique de ce système ou de ces usages parviennent à acquérir une force suffisante à cet effet.

Mais le secteur de l’enseignement émet aujourd’hui des regrets pour ce qui est des manuels d’histoire eux-mêmes. La séparation entre histoire du Japon et histoire mondiale est-elle vraiment appropriée aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation ? L’enseignement de l’histoire doit-il se borner à être la mémorisation de connaissances sans intérêt ? Viendra bientôt la période de révision des Directives d’enseignement qui a lieu une fois tous les dix ans et il est à espérer qu’à ce moment-là les débats actuels soient dûment pris en compte.

(D'après un original en japonais)

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Mitani HiroshiArticles de l'auteur

Professeur de la Faculté d’Arts et Sciences de l’Université de Tokyo. Spécialiste de l’histoire du Japon et de l’Asie de l’Est au XIXe siècle ainsi que de sociologie historique. Né en 1950. Obtient le diplôme de docteur en sciences humaines de l’Institut de troisième cycle de l’Université de Tokyo. Auteur notamment de “Meiji Ishin to Nashonarizumu” (La Restauration de Meiji et le nationalisme) (1997, éditions Yamakawa), “Higashi Asia no Kôron Keisei” (La formation de l’opinion publique en Asie de l’Est) (2004, éditions de l’Université de Tokyo), “Higashi Asia Rekishi Taiwa” (Dialogue sur l’Asie de l’Est) (en collaboration avec Kim Tae-Chang, 2007, éditions de l’Université de Tokyo).

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