Dérive de l’éducation japonaise

Retour sur le débat autour de l’éducation « yutori »

Société

Nakai Kôichi [Profil]

La « baisse du niveau scolaire » des élèves japonais à la fin des années 1990 fut le point de départ d’un considérable débat de société. Au bout du compte, le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports et des Sciences a été contraint de réviser sa politique « d'éducation yutori (sans pression) », considérée comme à l’origine de cette baisse de niveau. Les nouvelles orientations mises en place cette année par le gouvernement en matière d’éducation pour sortir de cette politique sont l’occasion de jeter un regard en arrière sur ce que recouvrait en réalité la problématique autour de la « baisse du niveau scolaire » et de « l’éducation sans pression ».

Deux décennies perdues, et les adultes de faible niveau

Nous pouvons enfin débattre de la question de la baisse du niveau scolaire, et réfléchir aux questions des « connaissances scolaires » et de l’éducation « sans pression » qui en découlent.

Le vrai problème aujourd’hui n’est pas la baisse du niveau scolaire de nos enfants, mais l’évolution dramatique de ces enfants. Et la cause de ses changements ne se situe pas dans une politique d’éducation « sans pression », mais dans les changements à un niveau bien plus important de la place du Japon dans le monde qui l’entoure. Bien au contraire, puisque la doctrine de « l’éducation sans pression » avait justement été élaborée pour prendre en compte ces changements. À tout le moins la direction de cette politique n’était pas fausse. Mais elle n’a pas fonctionné correctement. Les problèmes de « l’éducation sans pression » se situent là, pas ailleurs.

En premier lieu, les politiques ont échoué à clarifier le rapport existant entre le niveau éducatif requis à l’époque où le Japon devait rattraper le peloton des nations avancées, et celui requis maintenant que cet objectif est atteint : à savoir, que le second implique le premier.

En second lieu, la réforme a échoué à expliquer que le niveau scolaire constituait une compétence, et que les compétences requises aujourd’hui devaient être bien supérieures au faible niveau précédent. Par conséquent un apprentissage astreignant et sévère est nécessaire pour atteindre ce nouveau niveau. En outre, la réforme avait échoué à prendre la mesure de ce qui était en jeu : non pas seulement un degré supérieur de compétences, mais un changement dans les mentalités et les modes de vie.

En troisième lieu, le problème est que les enseignants et les adultes capables d’enseigner ces nouvelles mentalités et ces nouveaux modes de vie sont extrêmement peu nombreux. De fait, la réforme ne pouvait pas imaginer cette réalité.

Autrement dit, ce n’est pas la baisse du niveau des enfants qui posait problème, c’est notre manque de compétence à nous autres, adultes, le bas niveau de notre « mode de vie ».

Le problème de la société japonaise aujourd’hui, c’est qu’elle a perdu son objectif en ayant atteint le précédent, celui de la prospérité. Nous n’avons plus d’image en nous de la société à laquelle nous aspirons. La capacité qui nous est demandée maintenant, c’est celle de nous fixer un nouvel objectif, de nous azimuter dessus et de progresser dans cette direction. Trouver la force de nous donner de nouvelles valeurs, des nouveaux objectifs sociaux, des principes organisationnels et des axes de vie individuelle. Mais autant l’admettre dès maintenant, il s’agit d’axes de vie que nous autres, adultes, n’aurons pas la capacité de suivre.

Dix ans se sont écoulés depuis le grand débat de société sur la « baisse du niveau scolaire ». Depuis, notre société actuelle n’a toujours aucune image de son futur en vue, ni ne parvient à se fixer un objectif. Les dix dernières années du XXe siècle et les dix premières du XXIe constituent de ce point de vue deux décennies perdues. Le séisme du 11 mars 2011 et l’accident nucléaire qui ont provoqué des dégâts catastrophiques sont venus comme pour secouer le Japon à la dérive. À nous, les adultes, de montrer si nous sommes capables de renaître.

(D'après un original en japonais)

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Nakai KôichiArticles de l'auteur

Analyste des questions d’enseignement, proviseur du « Keimei gakuen », un établissement d’éducation complémentaire (Juku) spécialisé dans les matières d’enseignement de la langue japonaise. Né à Tokyo en 1954. Diplomé de l’Université de Kyoto, faculté des Lettres. Parallèlement à ses recherches personnelles sur l’enseignement du japonais et de la rédaction, il s’engage dans une activité d’analyste et de critique des réformes de l’éducation entamés depuis les années 1990. Ouvrages (sous son nom ou en collaboration) : Le Lycée renaîtra (Ed. Chuô kôron shinsha, 2000) ; Débat : L’Effondrement du niveau scolaire (Ed. Chukô shinsho La Clef, 2001) ; Débat : L’Effondrement du niveau scolaire 2003 (Ed. Chukô shinsho La Clef, 2003) ; Histoire des concours d’entrée dans les universités depuis la fin de la guerre (Chukô shinsho La Clef, 2007)

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