Dérive de l’éducation japonaise

Retour sur le débat autour de l’éducation « yutori »

Société

La « baisse du niveau scolaire » des élèves japonais à la fin des années 1990 fut le point de départ d’un considérable débat de société. Au bout du compte, le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports et des Sciences a été contraint de réviser sa politique « d'éducation yutori (sans pression) », considérée comme à l’origine de cette baisse de niveau. Les nouvelles orientations mises en place cette année par le gouvernement en matière d’éducation pour sortir de cette politique sont l’occasion de jeter un regard en arrière sur ce que recouvrait en réalité la problématique autour de la « baisse du niveau scolaire » et de « l’éducation sans pression ».

L’angoisse des parents devant des enfants qui n’étudient plus

Tout cela parce que, dans les années 1990, une détérioration d’importance s’était produite. Pour dire les choses simplement, les enfants n’étudiaient plus. Ils n’avaient aucune vision de leur avenir. Leur intérêt à progresser, à faire plus d’études, était très faible. Neets et Freeters devinrent de plus en plus nombreux. L’esprit de « classe » (scolaire) s’effondrait. Dans certaines classes, les élèves s’adonnaient à toutes sortes d’activités pendant les cours, n’obéissaient plus à leurs professeurs qui ne pouvaient plus faire classe.

Si les enfants n’étudiaient plus, c’est que « la société de compétition scolaire » ne fonctionnait plus. Après une longue période de crise économique, le système du contrat de travail à vie et de la promotion à l’ancienneté était en ruine. La société ne garantissait plus à personne une vie heureuse et paisible, même à ceux qui sortiraient d’une bonne université. Alors même que, dans le même temps, faisant face à la baisse de la natalité, les universités étaient maintenant prêtes à inscrire tous ceux qui se présenteraient.

Ainsi apparurent les mérites de l’époque de l’enfer des concours et la compétition scolaire, qui étaient restés invisibles jusqu’alors. Acquérir un haut niveau d’études, sortir d’une meilleure université, étaient des objectifs qui avaient encouragé tout le monde à étudier. Et globalement, c’est cela qui avait permis d’atteindre l’un des meilleurs niveaux de connaissances du monde et de rattraper les nations occidentales, de devenir la seconde puissance économique mondiale en termes de PIB, et de jouir d’une prospérité comparable à celle des États-Unis et de l’Europe de l’Ouest.

Non, pas seulement de jouir de la prospérité. L’important, c’est d’avoir réussi à bâtir une « société de classe moyenne ».

Tout le monde avait reçu sa part du gâteau de la prospérité, au rythme de l’accroissement du PIB. Toutes les catégories de la population avaient vu le niveau d’études de leurs enfants progresser grâce à l’accroissement du pourcentage de réussite scolaire et du pourcentage de poursuite d’études supérieures après le lycée. Grâce à cela, la prospérité avait réussi à profiter à tout le monde sans fracture ni augmenter les disparités sociales. La majorité des citoyens se considérait comme appartenant à la « classe moyenne », et la conscience d’une relative égalité prouvait la réalité d’une « société de classe moyenne généralisée ». C’est parce que la conscience d’une égalité était réelle que les citoyens avaient le sentiment de faire « corps », et pouvaient œuvrer « tous ensemble ». À cette époque, l’expression « devenir comme tout le monde » fonctionnait comme un slogan dans lequel tous se reconnaissaient. Car devenir comme tout le monde, cela valait le coup.

Mais tout cela a disparu. Croissance réduite, richesse distribuable réduite, entraînant une compétition féroce pour en avoir sa part. La structure de la société à classe moyenne unique s’est effondrée, les disparités sociales s’élargissent à tous les niveaux. Dans ce contexte, les enfants perdent toute vision d’avenir et ne voient plus l’intérêt de travailler dur pour leurs études. Effondrement de l’esprit de « classe (scolaire) », absentéisme scolaire, multiplication des Neets et Freeters. Avec pour corollaire l’émergence d’une société où la frustration s’exprime vers l’intérieur, sans aucun exutoire extérieur ni expression de colère contre la société. L’apathie des jeunes n’est que le reflet de leurs aînés, d’une société adulte déprimée et névrosée.

L’anxiété des adultes reflète également l’anxiété de la baisse du niveau de connaissance de leurs enfants. Cela a parfois donné un ton hystérique ou pessimiste aux controverses. Mais c’est aussi parce que cette anxiété est répandue dans toute la société qu’un débat sur le système éducatif possède en soi une puissance suffisante pour concerner l’ensemble des citoyens.

Dans ces moments, il n’est pas étonnant de voir fleurir l’opinion selon laquelle « il n’y a qu’à revenir à l’époque d’avant ». La nostalgie du passé révolu se répand. Phénomène classique dans les périodes de transition.

Néanmoins, le retour en arrière est impossible. Car la motivation à faire de bonnes études ou à réussir son entrée dans une université trouvait sa force dans la « pauvreté » de cette époque. Cette pauvreté nous a poussé à acquérir un niveau d’éducation « minimum » et les aptitudes de base nécessaires pour s’accrocher aux États-Unis et à l’Europe de l’Ouest dans le processus de l’industrialisation. Mais maintenant que cet objectif est atteint, ce qui est requis, ce sont des aptitudes et une façon de vivre non pas minimum, mais supérieures.

Nous nous sommes rendu compte aujourd’hui des aspects positifs de l’enfer des concours et de la compétition scolaire. Mais c’est parce que c’est du passé. L’époque qui soutenait ce système est définitivement révolu, nous ne pouvons pas revenir en arrière.

Suite > Deux décennies perdues, et les adultes de faible niveau

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