Dérive de l’éducation japonaise

Retour sur le débat autour de l’éducation « yutori »

Société

Nakai Kôichi [Profil]

La « baisse du niveau scolaire » des élèves japonais à la fin des années 1990 fut le point de départ d’un considérable débat de société. Au bout du compte, le ministère de l'Éducation, de la Culture, des Sports et des Sciences a été contraint de réviser sa politique « d'éducation yutori (sans pression) », considérée comme à l’origine de cette baisse de niveau. Les nouvelles orientations mises en place cette année par le gouvernement en matière d’éducation pour sortir de cette politique sont l’occasion de jeter un regard en arrière sur ce que recouvrait en réalité la problématique autour de la « baisse du niveau scolaire » et de « l’éducation sans pression ».

Les « laissés pour compte » et l’école dévastée

Parallèlement à la surchauffe de la guerre des concours apparut le problème des élèves « laissés pour compte ». L’expression « 7-5-3 » fit son apparition dans le jargon scolaire, au sens de : 70% des élèves du primaire comprennent les leçons ; ils sont 50% au collège et 30% au lycée. D’autres problèmes émergèrent, tels que violence scolaire, intimidation, absentéisme. Ce qu’on a appelé la faillite du système scolaire.

Compétition scolaire et enfer des concours furent montrés du doigt comme étant la cause de tous ces problèmes. On accusa l’enseignement par « acquisition de connaissances » de n’être qu’un bourrage de crâne. Trouver une solution à ces problèmes fut au cœur des réflexions sur l’éducation des années 70 et 80 et des réformes de l’enseignement. C’est dans ce contexte qu’apparurent les mesures se prévalant d’une « éducation sans pression ». La diminution des programmes et une sélection plus minutieuse des contenus visaient à diminuer la pression sur les élèves, avec l’objectif de diminuer le nombre des laissés pour compte et de résoudre la faillite de l’école. Le système des examens d’entrée fut également amendé, des programmes plus souples furent introduits, laissant plus de place au choix personnel des matières dans des lycées plus diversifiés.

Toutefois, un autre aspect se trouvait au cœur des réformes de l'éducation des années 1980 : le besoin d’adapter l’éducation aux temps à venir. La question était d’établir qu’elles étaient les connaissances requises et nécessaires pour  répondre aux besoins de la société de l’information qui se profilait pour le XXIe siècle. Il apparaissait en effet évident que ce que nous permettait d’acquérir une éducation « bourrage de crâne » « uniformisatrice » n’était pas adapté à l’évolution du monde. Ce dont nous avions besoin pour l’avenir, c’était d’une éducation de type « résolution de problème » et « apprentissage par l’expérience », qui seule pouvait développer « l’aptitude à vivre », c’est à dire une capacité d’apprendre par soi-même et de penser par soi-même. Autrement dit une « nouvelle vision éducative ». Cette question avait été débattue dans les années 1980 dans le cadre de la commission d’enquête extraordinaire sur l’éducation créée par M. Nakasone Yasuhiro, alors Premier Ministre. C’est tout cela que recouvrait la réforme dite « d’éducation sans pression ».

Éducation dite « par acquisition de connaissance » Éducation dite « sans pression »
Accent excessif mis sur les connaissances   Accent mis sur la capacité à vivre (apprendre par soi-même, penser par soi-même)
Accent sur ​​les fondamentaux et les bases, l'apprentissage systématique Apprentissage et enseignement par l’expérience
Bourrage de crâne uniforme Enseignement par résolution de problèmes, individualité, diversité, choix
Société de l’élitisme par l’enfer des concours Apprendre avec un objectif concret 
Égalité, opportunité égalitaire d’éducation  Effondrement de l’égalité et de l’opportunité d’éducation, élargissement des distinctions sociales 
Respect des règles, centralisme, uniformité au niveau de la nation Déréglementation, décentralisation, élargissement des disparités locales 
Réunir la pluralité d’avant-guerre sous une seule ligne Retour éventuel à une certaine forme de pluralité
Compatibilité avec une société industrielle, soutien à une haute croissance économique Compatibilité avec la société de l'information dans une société mondialisée

Toutefois, le lien entre cette « nouvelle vision éducative » et la lutte contre la faillite scolaire n’avait pas été clairement explicité. Ni même ce qu’étaient ces « nouvelles aptitudes scolaires » par rapport aux anciennes. En fin de compte, des mots comme « mettre l’accent sur l’individualité », « la capacité de choix », « diversité », « aptitude à vivre » étaient apparus comme de la poudre aux yeux. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Quelle éducation cela impliquait-il, concrètement ? Rien de tout cela n’était clair, et dans les écoles, l’incompréhension régnait. Ce n’est qu’à la fin des années 90, quand la baisse du niveau scolaire apparut concrètement, que toutes ce questions cachées derrière le vocable « d’éducation sans pression » furent enfin abordées de façon directe, par le débat de société dont nous avons parlé.

Suite > L’angoisse des parents devant des enfants qui n’étudient plus

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Nakai KôichiArticles de l'auteur

Analyste des questions d’enseignement, proviseur du « Keimei gakuen », un établissement d’éducation complémentaire (Juku) spécialisé dans les matières d’enseignement de la langue japonaise. Né à Tokyo en 1954. Diplomé de l’Université de Kyoto, faculté des Lettres. Parallèlement à ses recherches personnelles sur l’enseignement du japonais et de la rédaction, il s’engage dans une activité d’analyste et de critique des réformes de l’éducation entamés depuis les années 1990. Ouvrages (sous son nom ou en collaboration) : Le Lycée renaîtra (Ed. Chuô kôron shinsha, 2000) ; Débat : L’Effondrement du niveau scolaire (Ed. Chukô shinsho La Clef, 2001) ; Débat : L’Effondrement du niveau scolaire 2003 (Ed. Chukô shinsho La Clef, 2003) ; Histoire des concours d’entrée dans les universités depuis la fin de la guerre (Chukô shinsho La Clef, 2007)

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