[Galerie photos] L’île interdite d’Okinoshima en noir et blanc, l’un des berceaux des rites shintô du Japon
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Un beau matin au début de l’année 2016, j’ai reçu l’appel d’un ami dirigeant une société d’évènementiel sur l’île de Kyûshû, et qui souhaitait que je prenne des photographies des trois sanctuaires de Munakata situés au sud-ouest du pays. Mais ce n’était pas encore le bon moment pour moi : je travaillais déjà dur à la préparation de deux expositions pour le printemps. De plus, j’avais passé près de 8 ans, entre 2006 et 2014, à documenter la reconstruction et la consécration cyclique des grands sanctuaires d’Ise et Izumo, j’avais donc l’impression d’avoir vu assez de sanctuaires pour un moment.
Je n’avais pourtant pas envie de rejeter la proposition de mon ami, et j’ai donc décidé de faire quelques recherches sur Munakata. Plus j’en apprenais sur l’histoire de ce lieu sacré, plus j’étais fasciné par Okinoshima, une île qui compose l’un des trois sites de Munakata. Vierge de toute civilisation, elle était le lieu de naissance du culte religieux indigène du Japon. J’ai senti alors senti qu’un monde inconnu m’appelait à travers les eaux. Incapable d’attendre une minute de plus, j’ai décidé de prendre le premier avion en direction de Fukuoka.
Une île interdite aux visiteurs
Après avoir affrété un petit bateau, je suis finalement arrivé à Okinoshima le 19 février. J’ai alors dû me soumettre à un rituel de purification, en me plongeant nu dans l’eau impitoyable. La mer de Genkai, glaciale, piquait ma peau avec la violence d’un couteau. J’étais désormais prêt à prendre des photos de l’île. Nombre d’anciennes interdictions continuaient de protéger cet endroit sacré, inaccessible de tous, sauf pour quelques privilégiés dont je faisais désormais partie. Après le froid perçant de mon immersion, mon cœur s’est mis à battre de plus belle en imaginant les différentes manifestations de kami (divinité) que j’allais rencontrer.
Je me suis alors dirigé vers Okitsu-miya, à mi-chemin de la pente de l’île, grimpant des marches abruptes dans une forêt dense. À la fin de ma montée, j’ai pu découvrir le sanctuaire, se tenant seul à l’ombre d’énormes rochers. Son office était occupée par un prêtre solitaire, systématiquement remplacé après 10 jours de prières et de services rendus aux kami de l’île.
La clairière située à l’arrière d’Okitsu-miya possède une atmosphère encore plus mystique. Les sites de cérémonies rituelles, pratiquées du milieu du IVe siècle au IXe siècle, sont restés pratiquement intacts. En l’absence de bâtiments de sanctuaire, les rituels étaient effectués sur des rochers, dans des crevasses rocheuses, ou en plein air. Des fragments d’anciennes offrandes votives brisés jonchent le sol, tels que des pierres courbées magatama, des miroirs et des poteries. Certains objets sont encore intacts, comme si même le passage des siècles n’avait pu les atteindre. Une stricte interdiction, scrupuleusement respectée, a permis de préserver les vestiges de toute intervention humaine : on ne peut emporter avec soi le moindre objet de l’île, pas même une feuille ou un caillou.
En découvrant les vestiges de ces rituels, j’ai eu l’intuition que les racines du sentiment religieux du culte indigène de la nature se trouvent dans des sites purs et simples comme ceux d’Okinoshima. Les Japonais de l’époque sentaient probablement la présence des esprits partout autour d’eux dans cette nature luxuriante. En leur honneur, j’ai fait le serment de présenter une vision non altérée des cérémonies de prière, soigneusement préservées depuis un millénaire ou plus, à travers mes photographies.
Préserver une forme ancienne de prière
Mon projet visant à photographier l’ensemble des œuvres de Michel-Ange, en préparation depuis l’an 2000, semblait alors sur le point de s’effondrer, et je me sentais coincé. En février 2001, l’objectif de mon appareil était pointé vers une représentation du Christ dans une église de Rome lorsque soudain, un rayon de lumière traversa une rosace brisée dans le plafond et illumina la figure de Jésus. À cet instant, j’ai ressenti la présence, pourtant palpable, de quelque chose d’invisible. C’est cette expérience mystique qui m’a ensuite conduit vers les grands sanctuaires d’Ise et Izumo, jusqu’à ma rencontre fortuite avec Okinoshima.
À partir de la seconde moitié du VIIe siècle, des rituels similaires à ceux d’Okinoshima se sont répandus aux sanctuaires de Nakatsu-miya, sur l’île d’Ôshima située à 49 kilomètres de l’île principale de Kyûshû, et de Hetsu-miya, sur le continent lui-même, à environ 60 kilomètres d’Okinoshima (voir la carte ci-dessous). Ces trois entités composent l’ensemble des sanctuaires connu sous le nom de Munakata. En reconnaissance de la grande importance culturelle de ces édifices, l’île d’Okinoshima et les sites associés de la région de Munakata ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en 2017. Ma mission en tant que photographe est de transmettre les images de ces sites, intacts depuis plus d’un millénaire et berceau des croyances religieuses et des rituels de prière du peuple japonais, aux générations futures.
(Voir également notre article : Sur les traces des rites ancestraux du Japon : l’île interdite d’Okinoshima livre ses secrets)
(Photo de titre : l’île d’Okinoshima. Toutes les photos : © Masuura Yukihito)