[Galerie photos] Le Meiji-mura : un musée géant en plein air sur la modernisation du Japon
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Le premier sauvetage d’un bâtiment historique
Le Meiji-mura a ouvert ses portes en mars 1965 dans la préfecture d’Aichi et était alors le plus grand musée en plein air du Japon. L’installation rassemble et conserve des structures architecturales historiques de l’ère Meiji, époque où les fondations du Japon moderne ont été établies.
L’idée du Meiji-mura est venue à l’architecte Taniguchi Yoshirô (qui en deviendra le premier directeur) alors qu’il observait la démolition du bâtiment Rokumeikan, symbole culturel de l’ouverture du Japon à l’Occident. Empli de regret par la disparition de bâtiments datant de l’ère Meiji, au cours de laquelle il était né, il développe l’idée de préserver des exemples architecturaux de cette époque qui devaient être démolis en les déplaçant dans un autre lieu et en les ouvrant au public, afin qu’ils servent de « cadeaux » aux générations futures.
Quelque 20 ans après la démolition du Rokumeikan, lors d’une réunion d’anciens élèves de son lycée, Taniguchi décrit passionnément à des amis sa volonté de préserver des bâtiments Meiji pour les générations futures. Tsuchikawa Motoo, qui deviendra plus tard président de Nagoya Railways, abonde dans son sens. Le jour-même, Taniguchi et Tsuchikawa s’activent pour lancer le projet du Meiji-mura. Lorsqu’ils apprennent qu’un bâtiment exceptionnel de l’ère Meiji doit être démoli, des historiens membres du comité d’architecture se précipitent sur le site comme des ambulanciers se dépêchant de sauver un blessé.
Ils parviennent ainsi à sauver 15 bâtiments provenant de tout le pays, de Hokkaidô dans le nord jusqu’à Kyoto dans le sud. Ils déplacent ces bâtiments sur un terrain de 50 hectares aux abords du lac Iruka à Inuyama, dans la préfecture d’Aichi, qui appartient à Nagoya Railways. Des paysagistes sont engagés pour s’assurer que les bâtiments soient présentés dans des cadres appropriés. Le musée ouvre ses portes le 18 mars 1965.
Sauver des biens culturels importants
Le travail de sauvetage des bâtiments Meiji se poursuit après l’ouverture du parc. Dix ans plus tard, en 1975, le terrain couvre 100 hectares et abrite plus de 40 bâtiments. Le Japon vit alors une période de forte croissance économique et de nombreux anciens bâtiments Meiji risquent d’être démolis en raison de projets d’infrastructure comme l’élargissement des routes, bien qu’ils aient survécu aux catastrophes naturelles et aux incendies de la Seconde Guerre mondiale. Grâce aux travaux menés sans relâche par le Meiji-mura, ces bâtiments ont pu perdurer jusqu’à aujourd’hui.
Actuellement, 64 bâtiments ont été transférés dans le parc dont 11 officiellement reconnus comme biens culturels importants (jûyô bunkazai). La liste des objets architecturaux conservés est variée : églises, bâtiments de gouvernement préfectoral, concession étrangères, maisons de marchands, écoles, phares, etc. Ces bâtiments proviennent non seulement du Japon, mais aussi de Hawaï, de Seattle, du Brésil et d’autres foyers d’émigration japonaise. En 1968, lorsque le Japon a célébré le « siècle de Meiji », le parc a accueilli plus de 1,5 million de visiteurs. Aujourd’hui, le Meiji-mura s’emploie à préserver les premières structures modernes dans tout le Japon afin d’encourager les habitants des régions à redécouvrir la valeur de leur culture locale.
Quand un dirigeant japonais sauve le chef-d’œuvre architectural d’un Américain
De tous les bâtiments historiques du Meiji-mura, le plus célèbre est le hall principal de l’ancien Hôtel impérial (Teikoku Hotel) qui est l'œuvre d’un des plus grands architectes du XXe siècle, Frank Lloyd Wright. La cérémonie d’inauguration de l’hôtel est tenue le 1er septembre 1923, mais le séisme du Kantô frappe et dévaste Tokyo à peine une heure après. Le bâtiment ne subit que des dommages mineurs et sert même de refuge à de nombreuses victimes. L’hôtel devient par la suite le lieu de séjour des chefs d’État en visite officielle, gagnant une renommée au Japon et dans le monde entier comme véritable chef-d’œuvre du style architectural de Wright.
Cependant, à partir de la seconde moitié des années 1960, l’Hôtel impérial peine à accueillir le nombre toujours plus important de visiteurs. Le bâtiment commence aussi à montrer des signes de vieillissement. Malgré les nombreuses voix s’élevant pour le préserver en tant qu’exemple important de l’architecture du XXe siècle, la direction de l’hôtel décide de le démolir et d’en construire un nouveau. Mais en 1967, lors d’une conférence de presse après un sommet Japon-USA, un journaliste américain demande au Premier ministre Satô Eisaku ce qu’il compte faire de l’Hôtel impérial, ce à quoi il répond aussitôt : « Il sera déplacé au Meiji-mura. » Cette déclaration permet à l’hôtel de continuer à subsister dans le musée en plein air. Seule la section centrale de l’entrée principale a été conservée, mais grâce à la réponse immédiate du Premier ministre Satô, c’est un précieux héritage architectural qui a pu être sauvé pour les générations futures.
Conçu par le célèbre architecte Frank Lloyd Wright, surnommé le « magicien de la lumière » au Japon, l’intérieur est composé de briques et de terre cuite fabriquées à Tokoname (préfecture d’Aichi) et de pierre d’Ôya extraite dans la préfecture de Tochigi. L’ambiance intérieure varie en fonction des saisons, de la météo et de l’heure.
Afin de transmettre la culture de l’ère Meiji, le parc conserve aussi le bâtiment où Mori Ôgai et Natsume Sôseki vivaient à Sendagi, Tokyo. C’est une petite maison japonaise typique, mais elle représente un témoignage important de l’histoire littéraire du Japon : entre ces murs, Ôgai a écrit un des livres de sa trilogie allemande, Fumizukai, et Sôseki Je suis un chat.
Une influence occidentale issue de l’architecture coloniale
Certains des bâtiments du Meiji-mura sont l'œuvre de constructeurs japonais interprétant l’architecture occidentale, en particulier de style colonial. Par exemple, le bâtiment du gouvernement de la préfecture de Mie et le bureau du district de Higashi-Yamanashi, tous deux classés biens culturels importants, sont clairement influencés par l’architecture coloniale de l’Asie du Sud-Est. Ces deux bâtiments ont une véranda sur la façade conçue pour protéger les pièces de la lumière directe du soleil. L’utilisation du mokume-nuri, une technique consistant à peindre à la main un motif de grain de bois aussi bien sur les meubles que sur les cadres de fenêtres, est une autre caractéristique du style colonial au Japon. Elle a été inspirée par le travail des charpentiers japonais à Yokohama, Tsukiji et d’autres zones qui contenaient d’importantes populations étrangères. Le bureau du district de Higashi-Yamanashi impressionne par ses techniques de stuc, surtout dans les coins, qui donne l’impression d’être fait en pierre malgré la construction en bois, ainsi que son plafond de style kachô fûgetsu, un motif japonais traditionnel mêlant plusieurs éléments naturels.
La maison de Saigô Tsugumichi, le frère aîné du fameux Saigô Takamori, est classé bien culturel important. Avec son balcon semi-circulaire en saillie, il affiche de fortes influences de l’ancienne colonie française de Louisiane aux États-Unis, alors une nation relativement jeune.
Les charmes de l’architecture japonaise de l’ère Meiji
L’architecture occidentale a définitivement une forte influence au Japon dans les années Meiji, mais c’est aussi une époque où les maîtres de la menuiserie traditionnelle japonaise sont à leur apogée. Malgré l’extérieur terne de la résidence de la famille Nagoya Tômatsu, un autre bien culturel important, il suffit de mettre un pied à l’intérieur de cette maison de marchands pour admirer le travail de ces artisans au sommet de leur art. Le bâtiment sied à la réputation de Nagoya, ville de la cérémonie du thé, avec un atrium qui s’étend jusqu’au troisième étage, un couloir au deuxième étage qui ressemble à un chemin de jardin menant à une salle de cérémonie du thé et une pièce à l’esthétique wabi à l’arrière du troisième étage en demi-niveau qui reflète les goûts du chef de famille. Au-delà de cet aménagement intérieur parfaitement adapté aux occupations du maître de thé, le bâtiment se distingue par sa remarquable combinaison de raffiné et d’ingéniosité, comme les mesures de sécurité prises lorsque le propriétaire a changé de métier, passant de commerce de gros d’huile à la banque, ou l’éclairage et la ventilation conçus pour améliorer la qualité de la vie.
Un mobilier d’intérieur divers et varié
En plus des bâtiments historiques, le Meiji-mura recherche activement des meubles et autres objets historiques. Il compte actuellement plus de 30 000 pièces dans sa collection, dont certaines exposées à l’intérieur des bâtiments. Le musée possède des meubles du Rokumeikan, des palais Meiji et Akasaka, ainsi que d’autres conçus par Frank Lloyd Wright, Takeda Goichi ou Endô Arata : la taille de la collection est inégalée au Japon. Dans chaque bâtiment, le bureau et la salle à manger sont meublés de manière appropriée et les visiteurs du musée sont autorisés à s’asseoir et découvrir les pièces telles qu’elles étaient originellement conçues.
Le musée présente aussi des équipements industriels qui ont contribué à fonder les bases du Japon moderne, notamment une machine à vapeur Brunat de type monocylindre, ainsi que trois biens culturels importants : une raboteuse de sceau du chrysanthème, une machine à filer à anneaux britannique et une pompe centrifuge de style Inokuchi construite à l’aube de l’ère ferroviaire japonaise à l’usine Shinbashi des chemins de fer nationaux. Des guides bénévoles sont présents sur place pour activer certaines de ses machines et expliquer leur fonctionnement.
Des archives de la Croix-Rouge japonaise
Le Meiji-mura possède aussi près de 5 000 documents, livres et photographies de la Croix-Rouge japonaise (JRC), qui ont été sauvés avant la destruction et la reconstruction du siège de l’organisation. Ils comprennent des archives des principales activités de secours de la JRC lors de catastrophes naturelles, ainsi que les premières activités d’aide humanitaire du Japon en faveur des orphelins polonais, constituant des données historiques précieuses qui témoignent des activités de l’organisation.
Un orgue et une locomotive
En 2018, grâce à une campagne de financement participatif, le musée a pu payer les réparations et la restauration d’un grand orgue à anches américain datant de 1890. L’orgue est aujourd’hui joué par les membres du personnel, offrant aux visiteurs un aperçu de la musique de l’ère Meiji.
Le Meiji-mura expose aussi une locomotive à vapeur qui circulait entre Shinbashi et Yokohama à l’époque des premiers chemins de fer, ainsi que le premier tramway du Japon, le Kyoto City Tram. Les visiteurs peuvent monter à bord de ces trains pour être transportés à l’ère Meiji grâce au sifflet à vapeur, le grondement du tramway et la fumée qui s’élève de la locomotive.
L’auteur allemand Johann Wolfgang von Goethe aimait dire que « l’architecture, c’est de la musique figée », signifiant par-là que la beauté de la musique s’estompe après qu’elle a été jouée, tandis que l’architecture confère à cette beauté une forme visible et pérenne. Tout ce qui a une forme finira par être détruit un jour. La préservation de ces importants bâtiments de l’ère Meiji représente un effort d’une valeur incommensurable, aussi longtemps que les visiteurs continueront de venir au musée pour apprendre d’eux.
(Photos et vidéos : © Meiji-mura)