
Images du « satoyama » : comment préserver et transmettre le paysage originel du Japon
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L’homme et la nature, deux dons du ciel
Il existe au Japon un mot, satoyama (sato, « village », yama, « montagne »). Coincé entre deux antonymes, la « nature » comme celle de la forêt primaire, et l'« artificiel » comme celui des villes où se dressent une multitude de bâtiments, le terme satoyama désigne le territoire intermédiaire qui relève à la fois de ces deux éléments. Les rizières en sont un exemple : il s’agit d’un environnement « artificiel », où l’on cultive le riz qui est traditionnellement l’aliment de base au Japon, mais lorsque celles-ci sont mises en eau au printemps, elles deviennent un élément de « nature » dans lequel grandissent les naïades, c’est-à-dire les larves de libellules.
Dans la forêt où l’homme vient chercher du bois, habitent divers insectes. Dans les prairies où l’on coupe l’herbe pour nourrir les bœufs, éclosent de magnifiques fleurs au fil des saisons. Depuis quelques années, on appelle cette combinaison de faune et de flore la « biodiversité », et on utilise aussi le mot satoyama pour désigner le lieu où vivent diverses formes de vivant. Le satoyama était le paysage originel du Japon où les Japonais ressentent la nostalgie.
Une rizière en automne. Après la récolte, les gerbes de riz sont mises à sécher sur les hasa, des structures en bois créées à cet effet.
Deux libellules Sympetrum frequens s’accouplent sur les hasa.
Du lys doré du Japon (Lilium auratum), cultivé à l’origine par des paysans, fleurit sur le talus d’une ancienne voie de chemin de fer.
Des fleurs dent-de-chien asiatiques (Erythronium japonicum) au début du printemps dans une châtaigneraie.
Une lucane cerf-volant (Lucanus maculifemoratus) dans un fourré en été.
Une cigale Hyalessa maculatiollis achève sa mue en plein été dans une forêt de banlieue.
Un joli papillon Cuivré commun qui vit sur les berges des rizières.
Une libellule Nannophya pygmaea dans une zone marécageuse du satoyama.
Prenons l’exemple de la luciole pour expliquer les relations entre l’homme et la nature dans le satoyama. Ces insectes qui se trouvent dans le monde entier sont souvent vus dans la « nature » à l’écart des zones où vit l’homme, par exemple dans des forêts d’arbres à feuillage caduc, ou encore dans les mangroves. Mais la luciole Luciola crucata (appelée Genji-botaru en japonais) a pour habitat les canaux d’irrigation des rizières. Elles sont moins nombreuses qu’autrefois, lorsqu’il était normal d’en voir la nuit dans les villages, à proximité des habitations.
Avant l’ère de la mécanisation, ces voies d’irrigation, creusées à la houe pour faire venir l’eau des rivières dans les rizières, offraient un environnement très proche d’un milieu naturel, même s’il était « artificiel » car créé par l’homme, et constituaient un excellent habitat pour les lucioles qui y trouvaient beaucoup de gastéropodes semisulcospira libertina pour se nourrir. Aujourd’hui, les canaux d’irrigation construits en béton, sont purement « artificiels », et ne permettent pas aux lucioles d’y vivre.
Une luciole Luciola crucata en train d’émettre de la lumière.
De nombreuses Luciola crucata dans une rizière une nuit d’été.
La biodiversité du satoyama est née parce que l’homme utilisait la terre à des fins variées. Les méthodes d’utilisation n’étaient pas décidées au hasard mais planifiées afin de permettre à l’homme de subvenir à ses propres besoins dans chaque hameau ou village, qui était la plus petite unité dans lequel il vivait.
Lorsque les habitants de ces hameaux coupaient des arbres pour obtenir du bois ou du foin, chaque hameau utilisait les ressources naturelles de manière appropriée, et il existait toutes sortes de règles pour éviter de les épuiser. Les travaux qui ne pouvaient être menés individuellement, tel le brûlage des herbes mortes au début du printemps dans les prairies, étaient effectués par l’ensemble du hameau comme une tache partagée. On utilise aujourd’hui le terme « durable » notamment en relation avec l’énergie, mais à l’époque où l’homme vivait en autarcie dans le satoyama, le hameau pensait à long terme.
Brûlage des herbes sèches, pratiqué au début du printemps afin d’entretenir les prairies.
Une nature qui disparaît de la sensibilité humaine
Le satoyama s’est beaucoup transformé depuis cinquante ans. La croissance économique rapide a été accompagnée par la construction de nouvelles routes dans les campagnes, et il est devenu possible de se déplacer partout au Japon en voiture. Le développement de ce réseau routier a permis la mise en place d’un système de distribution des marchandises tellement efficace qu’elles peuvent toutes se procurer dans les magasins. L’autarcie a ainsi cessé d’être une nécessité.
Avec la généralisation des réchauds à gaz, l’homme n’a plus eu besoin de chercher du bois de chauffage dans la forêt ou de fabriquer du charbon de bois. La généralisation des motoculteurs et des tracteurs a réduit la durée du travail dans les rizières, et éliminé la nécessité d’élever des bœufs. Ces changements ont été rendus possibles par les combustibles fossiles que sont le gaz ou le pétrole.
Un vieil hêtre appelé « Agariko » (dans la préfecture d’Akita) dont la forme étrange est due au fait que ses branches ont été coupées à de nombreuses reprises pour fournir du bois.
La vie en autarcie des villages ayant disparu, le satoyama est devenu incapable de préserver la biodiversité. Les différentes fleurs sauvages qui s’y épanouissaient au fil des saisons ont cessé de le faire, et la plupart d’entre elles ont disparu. Les bordures de rizières ont été façonnées en utilisant des équipements lourds pour que les machines agricoles puissent y entrer, et les prairies ont été remplacées par des herbes européennes. Les fleurs d’ominaeshi (patrinia scabiosifolia) et les kikyô, campanules à grandes fleurs platycodon grandiflora, que l’on y voyait autrefois en été, ont disparu. Il ne reste aujourd’hui qu’un seul endroit où se reproduisent les papillons Melitaea diamina qui se nourrissent d’ominaeshi et cette espèce risque de disparaître.
Le papillon Melitaea diamina, une espèce menacée d’extinction
Les fleurs des champs ne disparaissent pas seulement du satoyama, mais aussi de la sensibilité humaine. Les Japonais de l’époque où le satoyama était une réalité tangible appréciaient les fleurs sauvages des quatre saisons et écrivaient des poèmes sur la nature. De nombreuses plantes du satoyama sont célébrées dans le Man’yôshû, cette anthologie de poèmes qui était déjà lue il y a mille ans, mais elles sont quasiment inexistantes dans les œuvres littéraires actuelles. Les Japonais ont l’habitude de célébrer en plein été la fête de l’O-bon, pendant laquelle les âmes des ancêtres reviennent visiter les vivants qui les accueillent, et les fleurs qui ornaient l’autel bouddhique familial (butsudan) étaient dans tout le Japon des ominaeshi et des campanules kikyô. Si les enfants avaient alors pour mission de les cueillir dans le satoyama, aujourd’hui, les autels bouddhiques sont ornés de fleurs achetées chez le fleuriste.
Des fleurs d’ominaeshi dans une prairie en été
Des agriculteurs les bras chargés de fleurs d’ominaeshi et de campanules kikyô destinées à orner l’autel bouddhique de leur foyer.