Hommage à William Eugene Smith, le photographe qui a révélé au monde la tragédie de Minamata

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Au début des années 1970, le photojournaliste américain William Eugene Smith a joué un rôle capital dans la lutte contre la pollution industrielle en révélant au monde la tragédie de Minamata, une petite ville du littoral de la préfecture de Kumamoto, au sud-ouest du Japon. Le réalisateur américain Andrew Levitas lui a consacré un film intitulé Minamata (sorti en 2020) où il est incarné par Johnny Depp. Dans les lignes qui suivent, nous rendons hommage à ce personnage hors norme avec l’aide du photographe japonais Ishikawa Takeshi qui a été son assistant de 1971 à 1974, pendant les trois années où il résidé à Minamata.

Minamata au passé et au présent

Une des premières victimes de Minamata qu’Ishikawa Takeshi était impatient de revoir, c’est Tanaka Jitsuko que W. Eugene Smith aimait tout particulièrement. Elle avait été intoxiquée par le mercure et souffrait de graves handicaps depuis sa plus tendre enfance. Le photojournaliste américain avait pris des centaines de photos de cette jeune fille en fleur de 18 ans au sourire radieux qui ne pouvait ni parler, ni marcher ni éprouver la moindre sensation avec ses mains. Il regrettait amèrement de ne pas avoir réussi à saisir l’expression fugitive de sa détresse intérieure avec son objectif. Ishikawa Takeshi se souvient de l’avoir vu « pleurer comme un enfant » en évoquant la destinée tragique de la petite japonaise. Dans Minamata Note, il a inclus deux photographies qu’il a prises de Tanaka Jitsuko en leur donnant le titre de « Jitsuko avant et maintenant ».

Tanaka Jitsuko à l’âge de 18 ans, en compagnie de sa mère. Elle est en train de regarder la mer à travers les fenêtres de la maison familiale. (Photo prise en 1971)
Tanaka Jitsuko à l’âge de 18 ans, en compagnie de sa mère. Elle est en train de regarder la mer à travers les fenêtres de la maison familiale. (Photo prise en 1971)

Tanaka Jitsuko à l’âge de 47 ans. A l’heure actuelle, elle vit chez sa  sœur ainée et son beau-frère. Elle doit faire l’objet de soins spécialisés 24h/24. Et si elle porte un casque, c’est pour éviter de se blesser la tête en tombant. (Photo prise en 2018)
Tanaka Jitsuko à l’âge de 47 ans. À l’heure actuelle, elle vit chez sa  sœur ainée et son beau-frère. Elle doit faire l’objet de soins spécialisés 24h/24. Et si elle porte un casque, c’est pour éviter de se blesser la tête en tombant. (Photo prise en 2018)

De toutes les victimes de Minamata qui ont été photographiées par W. Eugene Smith, la plus connue est incontestablement Kamimura Tomoko (appelée souvent à tort Uemura Tomoko). Quand Ishikawa Takeshi est retourné sur place, elle avait succombé depuis longtemps à la maladie. Ayant été contaminée par le mercure in utero, elle était née avec plusieurs handicaps majeurs et de graves problèmes neurologiques. La photo de W. Eugene Smith intitulée Tomoko and Mother in the Bath (Tomoko et sa mère au bain) a immortalisé  Tomoko à l’âge de 15 ans et elle a fait le tour du monde. Ishikawa Takeshi n’a pas oublié que la première fois qu’il a entendu le mot japonais takarago (littéralement « enfant-trésor », l’équivalent de « mon trésor » en français) c’est dans la bouche de Kamimura Ryôko, la mère de Tomoko. Elle était persuadée que sa fille avait accumulé la totalité des produits toxiques qu’elle avait ingérés durant sa grossesse, si bien que ni elle-même ni ses six autres enfants n’avaient été empoisonnés par le mercure. Kamimura Tomoko est morte en 1977, à l’âge de 21 ans.

Kamimura Tomoko est née le 13 juin 1956. Elle a été officiellement reconnue comme atteinte par la maladie de Minamata en novembre 1962. Sur la photo ci-dessus, prise en 1973, elle a 17 ans.
Kamimura Tomoko est née le 13 juin 1956. Elle a été officiellement reconnue comme atteinte par la maladie de Minamata en novembre 1962. Sur la photo ci-dessus, prise en 1973, elle a 17 ans.

Sakamoto Shinobu à l’âge de 16 ans. Elle avait 6 ans lorsqu’on a diagnostiqué chez elle la maladie de Minamata en tant que pathologie congénitale. (Photo prise en 1972)
Sakamoto Shinobu à l’âge de 16 ans. Elle avait 6 ans lorsqu’on a diagnostiqué chez elle la maladie de Minamata en tant que pathologie congénitale. (Photo prise en 1972)

Sakamoto Shinobu 37 ans plus tard, devant la digue située en face de sa maison. (Photo prise en 2009)
Sakamoto Shinobu 37 ans plus tard, devant la digue située en face de sa maison. (Photo prise en 2009)

Trois amies d’enfance, lors d’un pique-nique à Yunoko, dans la ville de Minamata. Ces jeunes filles ont toutes été affectées par la pollution au mercure. (De gauche à droite) Kagata Kiyoko, 19 ans, Sakamoto Shinobu, 16 ans et Maeda Emiko, 19 ans. (Photo prise en 1972)
Trois amies d’enfance, lors d’un pique-nique à Yunoko, dans la ville de Minamata. Ces jeunes filles ont toutes été affectées par la pollution au mercure. (De gauche à droite) Kagata Kiyoko, 19 ans, Sakamoto Shinobu, 16 ans et Maeda Emiko, 19 ans. (Photo prise en 1972)

Les trois amies d’enfance victimes de la maladie Minamata, 40 ans plus tard. Sakamoto Shinobu est à gauche. Maeda Emiko (au centre) est morte en 2018 et Kagata Kiyoko (à droite) ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. (Photo prise en 2012, dans le parc Yunoko de Minamata)
Les trois amies d’enfance victimes de la maladie Minamata, 40 ans plus tard. Sakamoto Shinobu est à gauche. Maeda Emiko (au centre) est morte en 2018 et Kagata Kiyoko (à droite) ne se déplace plus qu’en fauteuil roulant. (Photo prise en 2012, dans le parc Yunoko de Minamata)

Nagai Isamu à l’âge de 14 ans. En partie paralysé depuis l’enfance, il a dû se soumettre à des séances quotidiennes de rééducation particulièrement éprouvantes. Mais les traitements se sont tous avérés sans effet. Passionné de photographie depuis son plus jeune âge, il a bénéficié des encouragements de William Eugen Smith qui lui a donné accès à son laboratoire pour qu’il puisse y développer ses propres photos. (Photo prise en 1973)
Nagai Isamu à l’âge de 14 ans. En partie paralysé depuis l’enfance, il a dû se soumettre à des séances quotidiennes de rééducation particulièrement éprouvantes. Mais les traitements se sont tous avérés sans effet. Passionné de photographie depuis son plus jeune âge, il a bénéficié des encouragements de William Eugen Smith qui lui a donné accès à son laboratoire pour qu’il puisse y développer ses propres photos. (Photo prise en 1973)

Nagai Isamu 17 ans plus tard. En décembre 2010, son état s’est subitement aggravé si bien qu’il est désormais incapable de s’asseoir dans son fauteuil roulant ou d’en sortir sans assistance. (Photo prise en 2011)
Nagai Isamu 17 ans plus tard. En décembre 2010, son état s’est subitement aggravé si bien qu’il est désormais incapable de s’asseoir dans son fauteuil roulant ou d’en sortir sans assistance. (Photo prise en 2011)

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