Hommage à William Eugene Smith, le photographe qui a révélé au monde la tragédie de Minamata

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Au début des années 1970, le photojournaliste américain William Eugene Smith a joué un rôle capital dans la lutte contre la pollution industrielle en révélant au monde la tragédie de Minamata, une petite ville du littoral de la préfecture de Kumamoto, au sud-ouest du Japon. Le réalisateur américain Andrew Levitas lui a consacré un film intitulé Minamata (sorti en 2020) où il est incarné par Johnny Depp. Dans les lignes qui suivent, nous rendons hommage à ce personnage hors norme avec l’aide du photographe japonais Ishikawa Takeshi qui a été son assistant de 1971 à 1974, pendant les trois années où il résidé à Minamata.

Une disparition prématurée

William Eugene Smith ne s’est jamais complètement remis de ses très graves blessures de la bataille d’Okinawa où un éclat d’obus lui a notamment traversé la joue et la main. Ishikawa Takeshi se rappelle qu’il avait une façon très particulière de s’alimenter. Son régime constitué uniquement d’aliments mous incluait notamment une dizaine de bouteilles de lait de 20 centilitres par jour assorties d’un flacon de whisky Suntory de 64 centilitres. D’après lui, la consommation quotidienne de scotch devait avoir pour effet d’apaiser les douleurs récurrentes du photographe.

En 1972, l’état de santé de W. Eugene Smith s’est encore aggravé après l’agression dont il a été victime de la part d’employés de la firme Chisso. Un jour qu’il accompagnait un groupe de malades de Minamata à un rendez-vous avec des dirigeants de Chisso à Ichihara, dans la préfecture de Chiba, il a été pris à parti par un groupe hostile de travailleurs. Ceux-ci l’ont frappé  avec une telle violence qu’il a été pratiquement assommé et qu’il a failli perdre l’usage de son œil droit. Par la suite, le photojournaliste américain a eu des difficultés à utiliser ses appareils photo en raison de névralgies chroniques consécutives imputables à ce sinistre épisode. Mais cela ne l’a pas empêché de retourner à Minamata et de continuer à travailler sur place jusqu’en novembre 1974, date à laquelle il est rentré aux États-Unis pour terminer son livre intitulé Minamata.

Eugene Smith n’est jamais retourné au Japon. En 1977, ses problèmes de santé ont empiré. Il a commencé à enseigner à l’Université de l’Arizona de Tucson, où il est mort un an plus tard d’un accident vasculaire cérébral, le 15 octobre 1978, à l’âge de 59 ans.

William Eugene Smith dans un restaurant de sushis, en train de boire du whisky contenu dans une tasse à thé japonaise traditionnelle. (Photo prise en 1974)
William Eugene Smith dans un restaurant de sushis, en train de boire du whisky contenu dans une tasse à thé japonaise traditionnelle. (Photo prise en 1974)

Un apprenti qui refait le parcours de son maître

Ishikawa Takeshi est toujours resté en contact avec les victimes de Minamata et leurs familles. Mais il n’a pas publié le travail qu’il avait effectué sur place pendant les trois années qu’il avait passé aux côtés des Smith. Après tout, Minamata était l’apanage du grand William Eugene Smith. Il a donc continué sa carrière de photographe en se focalisant sur d’autres sujets.

En 2008, trente ans après la mort du photojournaliste américain, une commémoration a été organisée en son honneur, à Kyoto. Plus de 150 personnes s’étaient réunies pour l’occasion dont Ishikawa Takeshi. Mais celui-ci a eu la surprise de constater que le nombre de ceux qui l’avaient effectivement rencontré au Japon était très faible. Quatre ou cinq tout au plus. Il a donc eu envie d’évoquer et de faire revivre les liens que W. Eugene Smith avait noués avec Minamata et ses habitants et d’aller voir par lui-même comment la situation avait évolué. Il s’est rendu sur place pour photographier une nouvelle fois cette communauté victime de la pollution par le mercure. « Je me suis lancé dans une quête qui m’a amené à refaire le parcours d’Eugene et à revenir aux racines de mon propre travail », explique Ishikawa Takeshi.

Entretemps, les choses avaient bien changé. Les preuves des crimes de la firme Chisso avaient été soigneusement dissimulées par des travaux de drainage et de construction. Une partie des personnes photographiées par W. Eugene Smith étaient mortes. Mais Minamata a réservé à Ishikawa Takeshi un accueil particulièrement chaleureux qui l’a profondément touché. « Tout le monde se souvenait de moi. J’ai commencé à ressentir le besoin de reprendre les choses là où Eugene les avaient laissées, en tant que témoin des souffrances et des angoisses des victimes de la pollution. » En 2012, il a publié un recueil intitulé Minamata Note (1971-2012) (Notes sur Minamata, 1971-2012) où ses photographies des années 1970 étaient, quand c’était possible, appariées avec des clichés récents des mêmes personnes, pris aux mêmes endroits que trente ans plus tôt.

Suite > Minamata au passé et au présent

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